Chems Eddine Chitour
« Il  est erroné de parler de flottille humanitaire, il s’agit d’une  flottille de solidarité. La flottille est une action politique et  symbolique. Il s’agit de dénoncer ce qui se passe à Ghaza. Ce territoire  est toujours occupé. Ghaza reste une prison. Les matons sont à  l’extérieur. » Rony Brauman. Ancien président de Médecins sans  frontières
Pendant près de deux mois, la  communauté internationale a été tenue en haleine à l’approche de  l’anniversaire du carnage sur le Mavi Marmara le 31 mai 2010. Pour  rappel, une flottille humanitaire a eu pour ambition coupable de porter  assistance aux Ghazaouis coincés dans une prison à ciel ouvert. Résultat  des courses, une dizaine de morts, une enquête de l’ONU bâclée, la  récompense par le gouvernement israélien avec ostentation du commando de  tueurs et le black-out total. Un an après, le blocus est toujours là,  on annonce des flottilles et on se prend à rêver qu’elles puissent  atteindre les côtes de Ghaza pour y apporter une aide symbolique et de  la compassion en témoignant sur l’atrocité de la situation actuelle.
La solidarité par les flottilles
« Le siège inhumain de Ghaza a commencé avec la prise de  pouvoir par le Hamas de la bande de Ghaza. Rappelons que le Hamas a été  élu démocratiquement - de l’avis de tous les observateurs  internationaux dont le président Carter -par les Ghazaouis. Pour l’avoir  élu, les Ghazaouis sont mis au ban, le Hamas diabolisé par les pays  occidentaux et Israël n’a fait que mettre en musique cette sanction en  décrétant un blocus inhumain. « Depuis les bateaux Free Ghaza arrivés en  2008, écrit Eva Barlett, le mouvement qui amène des bateaux à Ghaza  s’est développé de manière exponentielle. Free Ghaza a réussi à rentrer  cinq fois dans le port de Ghaza et quatre autres expéditions ont été  violemment contrecarrées par la marine israélienne. L’expédition  maritime de 2008 a été interrompue par un navire de guerre israélien qui  a arraisonné un bateau de Free Ghaza transportant du matériel médical,  des militants non violents, des chirurgiens et des journalistes. La  tentative de 2009 a avorté quand les soldats israéliens sont montés à  l’abordage. En juin 2009, un autre bateau a été stoppé par la marine  israélienne et ses passagers ont été kidnappés et déportés. Israël  bloque le passage des bateaux qui veulent rentrer et sortir de Ghaza  sous le prétexte de la sécurité pour soi-disant empêcher que des armes  de contrebande n’entrent à Ghaza. Loin de défaire le mouvement des  bateaux vers Ghaza, les agressions d’Israël ont eu l’effet inverse.
Des bateaux en provenance de Libye, de Malaisie et un  bateau transportant des militants juifs ont fait route sur Ghaza et ont  été bloqués par des navires de guerre israéliens avant d’arriver à la  bande de Gaza. En mai 2010, Free Gaza, soutenu par l’organisation  humanitaire turque IHH, a envoyé à nouveau des bateaux et des militants  vers la bande de Ghaza assiégée, cette fois accompagnés par le grand  bateau turc le Mavi Marmara. (...) Tout de suite après le massacre de  l’année dernière, les autorités égyptiennes ont ouvert partiellement le  passage de Rafah. Le siège de Ghaza a un impact sur l’eau potable (95%  de l’eau de Ghaza a une qualité inférieure aux normes de l’Organisation  mondiale de la santé), le système sanitaire (les eaux usées sont pompées  quotidiennement dans la mer par manque de capacité de stockage), et les  secteurs de l’agriculture et de la pèche (les soldats israéliens tirent  tous les jours sur les pêcheurs et les fermiers). »(1)
Le blocus absolument illégal de Ghaza est considéré par  le Conseil de sécurité des Nations unies comme « insoutenable et  injustifiable punition collective imposée aux Ghazaouis. Pourtant et  curieusement l’ONU donne raison à Israël, Eva Barlette écrit : « Le  secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a suggéré que les nations  empêchent leurs citoyens de prendre la mer en disant que les  gouvernements devraient « utiliser leur influence pour décourager de  telles flottilles qui peuvent engendrer une escalade de la  violence ».(...) »(1)
« Pis encore, Le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon  a appelé les gouvernements des pays de la Méditerranée à tout faire  pour empêcher l’envoi d’une flottille pour Ghaza, expliquant que ces  bateaux n’ont aucun intérêt humanitaire et ajoutant que pour envoyer de  l’aide, il est possible de le faire à travers la route égyptienne ou les  ports israéliens. Ban Ki-moon se dit particulièrement préoccupé par  l’envoi d’une nouvelle flottille dans la mesure où la communauté  internationale considère que ces activistes mènent une « action  militaire contre Israël » (organiser quelque chose pour violer un blocus  est "militaire"). »(2)
On remarquera que Ban Ki-moon n’a fait qu’obéir aux  « ordres » à la fois des Etats-Unis et d’Israël, il ne propose pas de  solution pour lever le blocus de Ghaza ! Même son de cloche de la part  du Quartette - analogue à un groupe musical qui joue une partition, : le  requiem de la cause palestinienne. Avec tout cela on nous dit qu’il n’y  a pas de crise humanitaire. Laurent Zecchini écrit : « Les  organisateurs de la nouvelle flottille pour Ghaza, dont le départ des  ports grecs est désormais sérieusement compromis en raison du refus des  autorités d’Athènes de la laisser appareiller. La dernière manifestation  du succès remporté par cette offensive diplomatique israélienne est la  déclaration publiée, samedi 2 juillet, par le Quartette pour le  Proche-Orient (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies et Russie),  qui demande « à tous les gouvernements concernés d’user de leur  influence pour dissuader toute nouvelle flottille, qui met en péril la  sécurité des participants et fait peser la menace d’une escalade ».  (...) Sur le plan régional, Israël a obtenu une victoire tactique  significative en convainquant la Grèce, Chypre et la Turquie de refuser  toute aide logistique à la flottille. »(3)
La situation à Ghaza et la politique de fuite en avant d’Israël
Laurent Zecchni poursuit en rapportant l’ambivalence du  discours sans, toutefois, le critiquer : « « Ehud Barak(ministre  israélien de la Défense) n’a pas tort de dire qu’il n’y a pas de crise  humanitaire à Ghaza », résume, à Jérusalem, un haut responsable  européen, « les gens ne meurent pas de faim dans les rues, mais tous les  indicateurs, l’éducation, la pauvreté, le chômage, l’accès à l’eau,  montrent une évolution négative ». Plus de 70% des quelque 1,5 million  de Ghazaouis reçoivent une aide humanitaire internationale, et le taux  de chômage, officiellement estimé à 30,7%, atteint en réalité 45,2%  (l’un des taux les plus élevés du monde), selon l’Unwra, Depuis que le  blocus de Ghaza a été imposé par Israël, le nombre de gens vivant dans  une extrême pauvreté (avec 1,5 dollar par jour), a triplé, pour  atteindre 300.000 personnes. Celle-ci, insiste Gisha, « a été accrue par  des années de blocus et de restrictions de mouvements ». Selon le  Programme alimentaire mondial (PAM), l’allégement du blocus n’a eu qu’un  « impact positif marginal ». Ghaza reste, d’autre part, un territoire  étranglé : Vers le sud, le blocus de Ghaza n’a été que partiellement  allégé : l’Egypte a annoncé, le 28 mai, l’ouverture du point de passage  de Rafah. Mais celui-ci est exclusivement réservé aux mouvements de  personnes et ces derniers restent limités. »(3)
Dans le même ordre, après le massacre opéré sur la  flottille humanitaire l’an dernier, il faut garder en tête le fait qu’en  l’espace des six derniers mois, 700 personnes (Palestiniennes, cela va  de soi...) ont fait l’objet de déplacement forcé et 600 structures  civiles (immeubles d’habitation, structures sanitaires, citernes  d’eau,etc.) ont été détruites. Les expropriations et la construction de  colonies en Cisjordanie ne font que se poursuivre ; les violences  émanant de colons et des IDF (Israeli Défense Forces) est bien réelle (y  compris à l’encontre d’enfants lorsque ceux-ci sont sur le chemin de  l’école) ; les restrictions aux libertés d’associations et d’expression  font rage ; la liberté de circulation quant a elle, est à l’agonie  (check-points où on peut être retenue des heures pour des motifs  fallacieux d’y voir des personnes âgées ou handicapées y faire preuve de  patience dans la peine et des soldats de 20 ans aboyer sur des  individus trois fois leurs aînés. Pendant ce temps, sur les autoroutes  passent à grande vitesse des familles israéliennes les cheveux au vent  et riant à gorge déployée.
Une tentative bloquée par l’Europe sur ordre d’Israël
« D’autre part, Israël présenté comme un îlot de  démocratie dans un océan moyen-oriental d’arriération fait de la  discrimination dans sa politique envers les Palestiniens. L’Etat  d’Israël dépense 5 fois plus d’argent pour un écolier juif qu’un écolier  arabe, la discrimination à l’embauche et la ségrégation grandissante en  matière d’habitat. On dit qu’en 2010, la ségrégation en Israël entre  Arabes et Juifs est presque totale : sous le couvert du nom faussement  banal. La Knesset a finalisé un projet de loi destiné à contourner les  décisions antérieures de la Haute Cour de Justice. Il ne sera pas  possible de le décrire autrement que comme une loi d’apartheid. Le  projet de loi permettrait dans les petites banlieues rurales de rejeter  les demandes de familles arabes qui « sont incompatibles avec le tissu  socio-culturel de la communauté. S’il devient loi, l’amendement donnera  aux comités des villages communautaires le pouvoir de limiter la  résidence dans leurs villes exclusivement aux Juifs. »(4)
L’opération « flottille » n’a pu être concrétisée du  fait de l’aide de toutes les compagnies aériennes européennes qui ont  reçu des listes d’Israël pour ne pas laisser embarquer des militants de  la cause palestinienne. La flottille pour Ghaza n’a pas dépassé les  ports grecs, les pro-palestiniens de l’opération « Bienvenue en  Palestine » iront-ils plus loin que les passerelles de l’aéroport Ben  Gourion de Lod ? Les autorités israéliennes sont déjà sur le pied de  guerre et des militants ont été refoulés à l’embarquement de  Roissy-Charles-de-Gaulle jeudi après-midi. Une liste noire de 329 ou de  342 militants jugés indésirables aurait été communiquée aux compagnies  aériennes desservant Israël. Selon le Haaretz, un poste de commandement  militaire devait ouvrir dans la soirée de jeudi à Ben Gourion. Avec en  perspective une bataille d’images à livrer. Trente-six militants  pro-palestiniens venus d’Europe et interdits d’entrée en Israël, ont été  expulsés dimanche 10 juillet. 82 étaient toujours détenus dans  l’attente de leur expulsion. Israël est parvenu à bloquer depuis jeudi  la venue de centaines de militants qui voulaient débarquer à l’aéroport  de Tel-Aviv pour se rendre en Cisjordanie occupée, soit à leur arrivée,  soit en amont en dissuadant des compagnies aériennes de les  embarquer »(5).
Ghaza refuse la charité du gouvernement grec
La lettre qui suit a été adressée au gouvernement grec,  le 12 juillet 2011, pour lui dire clairement que la population de Ghaza  ne veut pas la charité mais la liberté et le respect de ses droits  humains, dont le droit à mener une vie digne. Sourd semble-t-il à sa  position, un porte-parole du ministère grec des Affaires étrangères,  M. Delavekouras, a réitéré « l’offre généreuse » de son gouvernement de  livrer une quantité limitée d’aide humanitaire à la population de Ghaza,  au lieu de l’aider à recouvrer la liberté à laquelle elle a droit.
« Nous, membres de la société civile palestinienne à  Ghaza, avons observé les actions entreprises par votre gouvernement pour  empêcher la Flottille de la Liberté 2 de naviguer vers la plus grande  prison à ciel ouvert - la Bande de Ghaza - pour défier le blocus  criminel d’Israël, qui nous prive de choses que la plupart des gens  considèrent comme acquises, et d’abord et avant tout, notre liberté de  mouvement. Nous sommes dans l’impossibilité de bénéficier de soins de  santé adéquats ou de débouchés d’enseignement parce que nous ne pouvons  pas voyager librement. Nous sommes coupés de nos familles dans les  autres parties du territoire occupé et à l’étranger, et nous ne sommes  pas autorisés à inviter des gens à venir nous voir à Ghaza. Et  maintenant, vous avez étendu cette restriction aux gens dont la  principale mission est de se tenir en solidarité avec nous. La  population de Ghaza n’a besoin d’aide humanitaire que parce que nous ne  pouvons pas bâtir notre économie. Nous ne sommes pas autorisés à  importer des matières premières ou à exporter ; nos pêcheurs et nos  fermiers sont la cible de tirs lorsqu’ils essaient de pêcher et de  cultiver leur terre. A cause de la politique israélienne délibérée, 80%  de notre population dépend de l’aide alimentaire, nos infrastructures  sont en ruine et nos enfants ne peuvent imaginer un jour où ils  connaîtront la liberté. »(6)
« Votre proposition de livrer la cargaison de la  Flottille de la Liberté implique la notion que l’aide humanitaire  résoudra nos problèmes et c’est une tentative médiocre de masquer votre  complicité dans le blocus israélien. Les organisateurs et les  participants de la Flottille de la Liberté reconnaissent que notre  situation désespérée n’est pas une question d’aide humanitaire ; c’est  une question de droits de l’homme. Ils emmènent avec eux quelque chose  de plus important que l’aide ; ils emmènent l’espoir, l’amour, la  solidarité et le respect. Bien qu’il soit évident que vous avez subi  d’énormes pressions politiques pour vous soumettre à la volonté du  régime israélien, de collaborer avec Israël pour violer le droit  international et légitimer le siège, nous refusons d’accepter vos  miettes. Nous avons soif de liberté, de dignité et de la capacité à  faire des choix dans nos vies quotidiennes. Nous vous exhortons à  reconsidérer immédiatement votre décision et à laisser partir la  Flottille de la Liberté (...) défiant ainsi le blocus illégal israélien  de la Bande de Ghaza et l’occupation illégale de la terre  palestinienne. »(6)
Beau plaidoyer en vérité qui n’a pas convaincu... Si ce  n’est pas une crise humanitaire ? Quelle est la solution ? Que font les  pays occidentaux pour lever le blocus ? Israël continuera-t-il à imposer  le fait accompli ? Chaque nouvelle bravade par de nouvelles  constructions constitue un précédent irréversible. Que le Quartette  avoue il y a quelques jours son impuissance n’augure rien de bon ! Les  Palestiniens veulent leur Etat dans les frontières de 1967. Israël n’en  veut pas ! Israël va-t-il rester dans sa tour d’ivoire et son bunker  mental ! L’Heure de la raison et des concessions a sonné. Le calvaire de  près d’un siècle du peuple de Palestine doit cesser. C’est une exigence  morale. A quand un président ou une autorité disposant d’un magister  moral capable de dire à la face du monde , à l’instar de John Fidgerald  Kennedy au plus fort du blocus de Berlin avec son célèbre « Ich bin ein  Berliner ! » , « Ich bin ein Ghazoui ! » [1]
[1] 1.Eva Bartlett. Invincibles, les flottilles de la liberté se multiplient http://www.ipsnews.net/news.asp ?idn..., Le 9 juin 2011
2.Jeremiah Albert – JSSNews
3.Pas de « crise humanitaire » à Ghaza, mais un blocus persistant et destructeur. Le Monde 06.07.11
4.Amnon Be’eri-Sulitzeanu. La ségrégation des Juifs et des Arabes d’Israël en 2010 est presque absolue. Ha’aretz 29/10/10
5.http://www.lemonde.fr/proche-orient...
6.http://www.alterinfo.net/Gaza-refus... grec_a61175.html ?preaction=nl&id=2634765&idnl=93642&
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
publié par Agoravox