Leïla Shahid
«  On a franchi 
un Rubicon  »
«  La politique criminelle  d’Israël a été démasquée. Comme toujours, Israël a essayé de traiter ce  qui s’est passé comme un simple incident qui ne l’empêcherait pas d’être  “la seule démocratie” du Proche-Orient. Mais ce n’est pas vrai. Même  Daniel Bensimon (1) a dit  : “Regardons enfin la réalité en face  : on  tire d’abord et on parle après. On tue, comme s’il n’y avait pas  d’autres moyens d’agir.” D’habitude, les gens sur qui «  on  » tire sont  des Palestiniens, mais cette fois, il y avait des internationaux, et on  leur a tiré dessus dans les eaux internationales.
Comme le bateau était turc, Israël a aussi essayé de  faire passer cela pour un “clash entre judéo-chrétiens et musulmans”.  C’est complètement faux. Il y avait 52 nations représentées sur ce  bateau. Les Turcs sont les derniers arrivés. C’est une avocate  britannique qui a lancé les campagnes «  Free Gaza  » pour forcer le  blocus, il y a deux ans. Elle a expliqué  : «  C’est nous qui, cette  année, avons sollicité l’IHH (2), car nous avions besoin d’un port  proche de Gaza. » On a franchi un Rubicon parce que l’intervention de la  société civile a mis les gouvernements européens au pied du mur.  Depuis, ils ont demandé la levée du blocus de Gaza. »
Et maintenant  ?
«  Maintenant, il faut changer le rapport de forces. Il  faut aller à la Cour pénale internationale. Il faut appliquer la  compétence universelle  : ainsi, Ehoud Barak n’a pas osé se rendre au  Salon du Bourget, de peur d’être convoqué devant un juge après la  plainte de militants français qui étaient sur la flottille. Il faut  continuer, et faire en sorte que tous ces acquis soient cumulatifs.  Après «  Plomb durci  » et ses 1 400 tués palestiniens, presque tous  civils comme l’a confirmé le rapport Goldstone, qui s’ajoutent aux morts  de l’été 2006 au Liban où c’était aussi une guerre contre des civils,  on arrive à la conclusion qu’il ne s’agit pas d’un incident, mais bien  d’une dérive fascisante  : ce sont les militaires qui décident.
C’est Ehoud Barak qui a décidé l’attaque. Non seulement  il est ministre de la Défense, mais il est en même temps président du  Parti travailliste  ! Il ne faut pas se laisser prendre aux subterfuges  d’Israël, comme l’annonce d’un «  allégement  » du blocus. La presse se  focalise sur la liste des produits autorisés, mais le problème n’est pas  là. Le problème, c’est l’économie de Gaza qui doit redémarrer. Pour  cela, il faut que Gaza soit ouverte sur la Cisjordanie. L’important,  c’est la frontière terrestre. Selon les accords de 2006, qui prévoyaient  une police européenne pour contrôler les frontières, il y avait six  points de passage équipés de scanners pour examiner tout ce qui entre et  sort. Il faut les ouvrir avec l’aide de l’UE. Si on casse le siège de  Gaza, on peut casser celui de Jérusalem-Est, celui d’Hébron dont je  salue la délégation. Car c’est toute la Palestine qui est assiégée.  »
La communauté juive
«  On doit travailler avec la communauté juive. Nous le  faisons, nous, avec les Israéliens qui se battent contre le mur. Il faut  le faire aussi en France. Il faut faire tomber les murs invisibles.  Mais il faut être sévère avec ces intellectuels qui, comme Finkielkraut,  continuent le jeu dangereux de la croisade contre les musulmans lancée  par Bush et dont on paie encore la facture. Elle a entraîné une  introversion des communautés  : les musulmans se sentent accusés et les  juifs ont peur. Obama a mis fin à cette croisade avec son discours  du Caire, mais certains intellectuels français la continuent. Il faut  être d’autant plus attentif aux citoyens juifs qui sont avec nous dans  le camp du droit que la France est le pays d’Europe où se trouvent la  première communauté arabe et la plus grande communauté juive. C’est donc  là que l’affrontement idéologique est le plus violent. »
Quel boycott ?
«  Nous sommes absolument pour le boycott des produits  des colonies. Et leur premier marché, c’est nous. Notre gouvernement a  fait toute une liste des produits interdits. Il est hors de question de  nourrir ces colons qui nous prennent nos terres, notre eau et notre  main-d’œuvre, qu’ils paient à des prix dérisoires. Le boycott est la  méthode la plus pacifique et la plus légitime contre un pays qui en  occupe un autre. Mais c’est à vous de décider comment le cibler pour ne  pas diviser, mais, au contraire, créer des alliances dans un combat  commun. Pour moi, le dernier domaine à boycotter, c’est le culturel. Le  cinéma israélien, par exemple, a réussi à faire passer des tas d’idées.  Imaginez-vous qu’on boycotte les films de Simone Bitton  ? C’est la  porte ouverte à l’arbitraire.  »
(1) Il a été chef du groupe travailliste à la Knesset  
et a démissionné de cette fonction.
(2) L’IHH est une fondation d’assistance humanitaire  
créée en 1992 à Istanbul pour venir en aide aux musulmans de Bosnie.  Elle a déjà acheminé plusieurs convois d’aide à Gaza, par voie  terrestre.
Propos recueillis par Françoise Germain-Robin
Leïla Shahid, déléguée générale  de la Palestine auprès de l’Union européenne, s’exprimait lors d’un  débat public  au siège de l’Humanité,  Le 21 juin, à l’initiative de  Patrick Le Hyaric, député européen et vice-président du groupe de la  Gauche unitaire européenne (GUE), avec aussi  Pascal Boniface, directeur  de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques). [1]
Propos recueillis par Françoise Germain-Robin
publié par l’Humanité