mercredi 16 juin 2010

Ce que le juge Goldstone a appris à ses dépens

mardi 15 juin 2010 - 06h:26
Neve Gordon
Richard Goldstone a appris une chose ou deux l’année dernière. Depuis que Goldstone, qui se décrit lui-même comme un juge juif et sioniste d’Afrique du Sud a émis un rapport accusant Israël (et le Hamas) de crimes de guerre, il a été la victime d’une campagne bien orchestrée visant à le discréditer.
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Ce travail de sape contre Goldstone n’est qu’un petit échantillon de ce dont est capable l’appareil d’Etat au service de la promotion d’Israël.
Il y a deux semaines de nouvelles "révélations" se sont répandues dans la presse, accusant Goldstone d’avoir envoyé 28 Sud-Africains noirs à la mort pour des offenses criminelles quand il était juge à l’époque de l’apartheid. "Le juge qui a condamné des Noirs à la peine capitale" a déclaré Reuven Rivlin, porte-parole de la Knesset israélienne "n’a aucun droit de faire la leçon à un Etat démocratique qui se défend contre le terrorisme".
Et ce n’est que le dernier épisode d’une campagne incessante de dénigrement. De nombreux observateurs ont remarqué que, si cet acharnement à détruire le messager a pour but de détourner l’attention de la vérité, il faut aussi souligner que ce travail de sape contre Goldstone n’est qu’un petit échantillon de ce dont est capable l’appareil d’Etat au service de la promotion d’Israël. Il est donc nécessaire de donner une vue d’ensemble.
En 2004, le ministre des Affaires étrangères israélien s’est offert les services des firmes spécialisées dans les relations publiques internationales pour planifier et coordonner une campagne pour améliorer l’image d’Israël qui se détériorait rapidement. Ils ont offert à Ido Aharoni le poste de responsable du département du ministère de la Promotion d’Israël qui a fait plusieurs études sur la question. En voici la teneur : Chaque endroit a une image... Chaque lieu a un ADN, une personnalité, exactement comme un être humain. Le Brésil est associé au plaisir, Paris à l’amour, Las Vegas au péché... Et Israël ?... Pour tout le monde l’ADN d’Israël, c’est le conflit, de sorte que le contexte dans lequel Israël est perçu est négatif que vous soyez d’accord avec sa politique ou non.
Afin de restaurer son image, le ministre des Affaires étrangères a décidé de détourner l’attention du conflit du Moyen-Orient en mettant en avant la recherche israélienne sur les cellules souches et les jeunes experts de l’informatique qui ont donné le message instantané "chat" au monde. Aharoni pour sa part, a soutenu qu’Israël devait promouvoir son style de vie, ses loisirs, son environnement, son art et sa culture, ses réalisations scientifiques, sa haute technologie, sa population et son héritage culturel en s’appuyant sur le livre de Dan Senor et Saul Singer "promouvoir une nation". Le seul problème d’après Aharoni "c’est que quand nous parlons d’Israël nous parlons du conflit et cela rebute jusqu’à nos plus enthousiastes supporters". Aharoni est convaincu que si Israël change de discours sur lui-même, son image à l’étranger changera.
Martin Kace, fondateur et président d’Empax, consultant en entreprise, n’est pas d’accord avec cette approche. A la conférence annuelle de Herzliya sur la Sécurité nationale, il a affirmé :
C’est exact que le pays peut s’enorgueillir d’une quantité incroyable d’innovations techniques. Israël est numéro un dans le domaine de la production agricole, dépose plus de brevets biomédicaux que n’importe qui d’autre chaque année, reçoit beaucoup de prix Nobel, a des plages magnifiques, une population superbe et légèrement vêtue, une communauté gay très active, etc...
"Voilà ce que le ministre des Affaires étrangères propose comme matière pour sa campagne de communication en faveur d’Israël, cela échouera misérablement... parce que cela exige des gens qu’ils changent complètement leur perception d’Israël". Une campagne de communication, selon Kace, doit se baser sur la vérité et une grande partie de la vérité est qu’Israël est engagée dans un conflit contre ses voisins depuis des dizaines d’années. Par conséquent il est impossible de centrer une campagne de communication pour promouvoir Israël sur le progrès, le plaisir et la modernité en demandant au monde de faire comme si le conflit n’existait pas.
Kace ne recommande pas qu’Israël mette fin au conflit mais que le conflit soit intégré à la campagne de communication d’Israël, car d’après lui, l’image d’Israël ne peut être améliorée que si le message est crédible et il ne le sera pas si on laisse de côté le conflit. Son idée est de présenter Israël comme le pays de l’expertise sécuritaire.
Sans attendre ces débats, d’autres acteurs en Israël avaient déjà compris que le projet du ministre des Affaires étrangères d’ignorer le conflit et de promouvoir les innovations médicales, environnementales et technologiques d’Israël ne sauverait pas la réputation du pays. Cependant leur stratégie est très différente de celle de Kace. Contrairement aux campagnes de communication d’autres pays dont le but est de créer des associations positives grâce à l’utilisation ou la répétition d’images valorisantes, ces architectes de la machine israélienne de communication ont décidé de passer à l’offensive en faisant tout ce qu’ils peuvent pour semer le doute et le discrédit sur la réputation de quiconque ose faire état des manquements d’Israël aux droits humains.
Le but de cette offensive est d’interrompre le flux d’informations collectées sur le terrain. Informations qui sont rassemblées, organisées et relayées par des associations de défense des droits de l’homme ou par les médias internationaux.
La répartition des tâches à l’intérieur de la machine de communication de l’Etat d’Israël est assez claire désormais. Les ONG de droite et les mouvements sociaux comme l’ONG Monitor de Gerald Steinberg et Im Tirzu font le plus gros du sale travail McCarthiste. Leur liste noire inclut non seulement des personnes qui critiquent les violations des droits de l’homme en Israël, comme Goldstone, mais aussi des ONG pour les droits humains autochtones ou internationales et leurs donateurs, en particulier l’Union européenne, la fondation Ford et le New Israel Fund. Récemment L’ancienne membre de la Knesset, Naomi Chazan, qui est à la tête du New Israel Fund a été représentée avec une corne sur la tête sur des affiches géantes, parce que son organisation avait financé des organismes de droits de l’homme qui ont donné des renseignements au juge Goldstone.
Ces organisations McCarthistes travaillent, en fait, main dans la main avec des législateurs de droite. Le 28 avril 2010, 19 membres de la Knesset ont proposé une loi destinée à interdire une ONG "s’il y avait de sérieuses présomptions qu’elle ait communiqué des informations à des entités étrangères ou qu’elle soit impliquée dans des procédures à l’étranger pour poursuivre pour crime de guerre des membres haut placés du gouvernement israélien ou des officiers de l’armée israélienne". Si elle est adoptée, les organisations israéliennes de défense des droits humains ne pourront plus communiquer leurs rapports à l’ONU ni à l’Union européenne ce qui revient à étouffer toute information sur les violations des droits humains et les crimes de guerre.
Des think tanks de droite comme l’intitut Reut, ont suivi le mouvement en proposant des grilles de lecture au décideurs. Ainsi dans le projet "Construire un pare-feu politique contre ceux qui discréditent Israël", Reut soutient que toute personne qui critique Israël fait partie d’un "réseau visant à disqualifier Israël" et donc représente "une menace existentielle". Selon Reut ce réseau comprend "des organisations ou individus occidentaux - principalement des membres de l’extrême gauche européenne, des Arabes, des groupes islamiques et des juifs et des Israéliens dits post ou anti-sionistes [qui] nient le droit d’Israël à l’existence à l’aide d’arguments politiques ou philosophiques". Dans ses conclusions le think tank adopte le paradigme de Huntington sur le choc des civilisations et prétend que "la disqualification d’Israël se nourrit du rejet de l’existence d’Israël et donc aucune stratégie ni expert en relation publique n’y mettra fin". Et donc qu’il faut absolument "faire une campagne de communication contre l’autre camp" (c’est à dire celui des critiques d’Israël) si l’on veut sauver la réputation et même l’existence d’Israël.
Les campagnes de communication diffamatoires sont une réalisation internationale et ne sont pas l’œuvre des seuls Israéliens. Les principaux acteurs en sont bien sur Alan Dershowitz mais d’autres moins connus jouent aussi un rôle. Dr Mitchell Bard, le directeur exécutif de l’Entreprise coopérative israélo-américaine et l’historien Gil Troy de l’Université MacGill, ont récemment publié un article résumant les discussions du groupe de travail sur la disqualification au Forum global contre l’antisémitisme de 2009. Les deux auteurs suggèrent qu’il est primordial de "renommer et redéfinir" le boycott palestinien "Désinvestissement et sanctions" (BDS). "Nous devons montrer que BDS n’est pas une remise en cause légitime mais une expression de l’antisémitisme ancestral". Le rapport présente la lutte contre BDS comme une guerre, avec les mots comme "ennemi", "quartier général", "poste de commandement", "combat", "bataille" et "champ de bataille" pour montrer que la stratégie qu’ils préconisent doit être dirigée contre les artisans du boycott.
Mais la campagne de communication ne s’attaque pas seulement aux organisations des droits de l’homme, à leurs donateurs, aux critiques individuels ou aux militants de BDS. Elle s’attaque aussi ironiquement aux lois humanitaires et des droits humains internationales - les lois mêmes qui ont été votées suite aux horreurs de l’holocauste. C’est en tous cas ce qui ressort d’une conférence organisée par le "Projet de guerre juridique" (en anglais Lawfare Project - NdT). La logique est claire : la loi internationale des droits de l’homme est utilisée pour critiquer la politique d’Israël dans les Territoires occupés et est préjudiciable à la réputation d’Israël, elle doit donc disparaître.
En menaçant la loi internationale des droits de l’homme, un des piliers essentiels du monde d’après guerre, la campagne de communication pour réhabiliter Israël pourrait avoir des conséquences qui dépassent largement le conflit israélo-palestinien. Et c’est une éventualité extrêmement inquiétante.
(JPG) Neve Gordon est président du département Politique et Gouvernement à l’université de Ben-Gurion du Néguev et auteur de L’occupation d’Israël (Presse Université de Californie - 2008).
Source : alternative.ca - Article repris ici : Michel Collon et Journal des Alternatives - Source en anglais Counterpunch - traduction en français : Dominique Muselet
 http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8921