Neve Gordon
          Richard Goldstone a appris une chose ou deux l’année dernière.  Depuis que Goldstone, qui se décrit lui-même comme un juge juif et  sioniste d’Afrique du Sud a émis un rapport accusant Israël (et le  Hamas) de crimes de guerre, il a été la victime d’une campagne bien  orchestrée visant à le discréditer.         
Ce travail de sape contre Goldstone  n’est qu’un petit échantillon de ce dont est capable l’appareil d’Etat  au service de la promotion d’Israël.
 Il y a deux semaines de nouvelles "révélations" se sont  répandues dans la presse, accusant Goldstone d’avoir envoyé 28  Sud-Africains noirs à la mort pour des offenses criminelles quand il  était juge à l’époque de l’apartheid. "Le juge qui a condamné des Noirs à  la peine capitale" a déclaré Reuven Rivlin, porte-parole de la Knesset  israélienne "n’a aucun droit de faire la leçon à un Etat démocratique  qui se défend contre le terrorisme".
Et ce n’est que le dernier épisode d’une campagne  incessante de dénigrement. De nombreux observateurs ont remarqué que, si  cet acharnement à détruire le messager a pour but de détourner  l’attention de la vérité, il faut aussi souligner que ce travail de sape  contre Goldstone n’est qu’un petit échantillon de ce dont est capable  l’appareil d’Etat au service de la promotion d’Israël. Il est donc  nécessaire de donner une vue d’ensemble.
En 2004, le ministre des Affaires étrangères israélien  s’est offert les services des firmes spécialisées dans les relations  publiques internationales pour planifier et coordonner une campagne pour  améliorer l’image d’Israël qui se détériorait rapidement. Ils ont  offert à Ido Aharoni le poste de responsable du département du ministère  de la Promotion d’Israël qui a fait plusieurs études sur la question.  En voici la teneur : Chaque endroit a une image... Chaque lieu a un ADN,  une personnalité, exactement comme un être humain. Le Brésil est  associé au plaisir, Paris à l’amour, Las Vegas au péché... Et  Israël ?... Pour tout le monde l’ADN d’Israël, c’est le conflit, de  sorte que le contexte dans lequel Israël est perçu est négatif que vous  soyez d’accord avec sa politique ou non.
Afin de restaurer son image, le ministre des Affaires  étrangères a décidé de détourner l’attention du conflit du Moyen-Orient  en mettant en avant la recherche israélienne sur les cellules souches et  les jeunes experts de l’informatique qui ont donné le message  instantané "chat" au monde. Aharoni pour sa part, a soutenu qu’Israël  devait promouvoir son style de vie, ses loisirs, son environnement, son  art et sa culture, ses réalisations scientifiques, sa haute technologie,  sa population et son héritage culturel en s’appuyant sur le livre de  Dan Senor et Saul Singer "promouvoir une nation". Le seul problème  d’après Aharoni "c’est que quand nous parlons d’Israël nous parlons du  conflit et cela rebute jusqu’à nos plus enthousiastes supporters".  Aharoni est convaincu que si Israël change de discours sur lui-même, son  image à l’étranger changera.
Martin Kace, fondateur et président d’Empax, consultant  en entreprise, n’est pas d’accord avec cette approche. A la conférence  annuelle de Herzliya sur la Sécurité nationale, il a affirmé :
C’est exact que le pays peut s’enorgueillir d’une  quantité incroyable d’innovations techniques. Israël est numéro un dans  le domaine de la production agricole, dépose plus de brevets biomédicaux  que n’importe qui d’autre chaque année, reçoit beaucoup de prix Nobel, a  des plages magnifiques, une population superbe et légèrement vêtue, une  communauté gay très active, etc...
"Voilà ce que le ministre des Affaires étrangères  propose comme matière pour sa campagne de communication en faveur  d’Israël, cela échouera misérablement... parce que cela exige des gens  qu’ils changent complètement leur perception d’Israël". Une campagne de  communication, selon Kace, doit se baser sur la vérité et une grande  partie de la vérité est qu’Israël est engagée dans un conflit contre ses  voisins depuis des dizaines d’années. Par conséquent il est impossible  de centrer une campagne de communication pour promouvoir Israël sur le  progrès, le plaisir et la modernité en demandant au monde de faire comme  si le conflit n’existait pas.
Kace ne recommande pas qu’Israël mette fin au conflit  mais que le conflit soit intégré à la campagne de communication  d’Israël, car d’après lui, l’image d’Israël ne peut être améliorée que  si le message est crédible et il ne le sera pas si on laisse de côté le  conflit. Son idée est de présenter Israël comme le pays de l’expertise  sécuritaire.
Sans attendre ces débats, d’autres acteurs en Israël  avaient déjà compris que le projet du ministre des Affaires étrangères  d’ignorer le conflit et de promouvoir les innovations médicales,  environnementales et technologiques d’Israël ne sauverait pas la  réputation du pays. Cependant leur stratégie est très différente de  celle de Kace. Contrairement aux campagnes de communication d’autres  pays dont le but est de créer des associations positives grâce à  l’utilisation ou la répétition d’images valorisantes, ces architectes de  la machine israélienne de communication ont décidé de passer à  l’offensive en faisant tout ce qu’ils peuvent pour semer le doute et le  discrédit sur la réputation de quiconque ose faire état des manquements  d’Israël aux droits humains.
Le but de cette offensive est  d’interrompre le flux d’informations collectées sur le terrain.  Informations qui sont rassemblées, organisées et relayées par des  associations de défense des droits de l’homme ou par les médias  internationaux.
La répartition des tâches à l’intérieur de la machine de  communication de l’Etat d’Israël est assez claire désormais. Les ONG de  droite et les mouvements sociaux comme l’ONG Monitor de Gerald  Steinberg et Im Tirzu font le plus gros du sale travail McCarthiste.  Leur liste noire inclut non seulement des personnes qui critiquent les  violations des droits de l’homme en Israël, comme Goldstone, mais aussi  des ONG pour les droits humains autochtones ou internationales et leurs  donateurs, en particulier l’Union européenne, la fondation Ford et le  New Israel Fund. Récemment L’ancienne membre de la Knesset, Naomi  Chazan, qui est à la tête du New Israel Fund a été représentée avec une  corne sur la tête sur des affiches géantes, parce que son organisation  avait financé des organismes de droits de l’homme qui ont donné des  renseignements au juge Goldstone.
Ces organisations McCarthistes travaillent, en fait,  main dans la main avec des législateurs de droite. Le 28 avril 2010, 19  membres de la Knesset ont proposé une loi destinée à interdire une ONG  "s’il y avait de sérieuses présomptions qu’elle ait communiqué des  informations à des entités étrangères ou qu’elle soit impliquée dans des  procédures à l’étranger pour poursuivre pour crime de guerre des  membres haut placés du gouvernement israélien ou des officiers de  l’armée israélienne". Si elle est adoptée, les organisations  israéliennes de défense des droits humains ne pourront plus communiquer  leurs rapports à l’ONU ni à l’Union européenne ce qui revient à étouffer  toute information sur les violations des droits humains et les crimes  de guerre.
Des think tanks de droite comme l’intitut Reut, ont  suivi le mouvement en proposant des grilles de lecture au décideurs.  Ainsi dans le projet "Construire un pare-feu politique contre ceux qui  discréditent Israël", Reut soutient que toute personne qui critique  Israël fait partie d’un "réseau visant à disqualifier Israël" et donc  représente "une menace existentielle". Selon Reut ce réseau comprend  "des organisations ou individus occidentaux - principalement des membres  de l’extrême gauche européenne, des Arabes, des groupes islamiques et  des juifs et des Israéliens dits post ou anti-sionistes [qui] nient le  droit d’Israël à l’existence à l’aide d’arguments politiques ou  philosophiques". Dans ses conclusions le think tank adopte le paradigme  de Huntington sur le choc des civilisations et prétend que "la  disqualification d’Israël se nourrit du rejet de l’existence d’Israël et  donc aucune stratégie ni expert en relation publique n’y mettra fin".  Et donc qu’il faut absolument "faire une campagne de communication  contre l’autre camp" (c’est à dire celui des critiques d’Israël) si l’on  veut sauver la réputation et même l’existence d’Israël.
Les campagnes de communication diffamatoires sont une  réalisation internationale et ne sont pas l’œuvre des seuls Israéliens.  Les principaux acteurs en sont bien sur Alan Dershowitz mais d’autres  moins connus jouent aussi un rôle. Dr Mitchell Bard, le directeur  exécutif de l’Entreprise coopérative israélo-américaine et l’historien  Gil Troy de l’Université MacGill, ont récemment publié un article  résumant les discussions du groupe de travail sur la disqualification au  Forum global contre l’antisémitisme de 2009. Les deux auteurs suggèrent  qu’il est primordial de "renommer et redéfinir" le boycott palestinien  "Désinvestissement et sanctions" (BDS). "Nous devons montrer que BDS  n’est pas une remise en cause légitime mais une expression de  l’antisémitisme ancestral". Le rapport présente la lutte contre BDS  comme une guerre, avec les mots comme "ennemi", "quartier général",  "poste de commandement", "combat", "bataille" et "champ de bataille"  pour montrer que la stratégie qu’ils préconisent doit être dirigée  contre les artisans du boycott.
Mais la campagne de communication ne s’attaque pas  seulement aux organisations des droits de l’homme, à leurs donateurs,  aux critiques individuels ou aux militants de BDS. Elle s’attaque aussi  ironiquement aux lois humanitaires et des droits humains internationales  - les lois mêmes qui ont été votées suite aux horreurs de l’holocauste.  C’est en tous cas ce qui ressort d’une conférence organisée par le  "Projet de guerre juridique" (en anglais Lawfare Project - NdT). La  logique est claire : la loi internationale des droits de l’homme est  utilisée pour critiquer la politique d’Israël dans les Territoires  occupés et est préjudiciable à la réputation d’Israël, elle doit donc  disparaître.
En menaçant la loi internationale des droits de l’homme,  un des piliers essentiels du monde d’après guerre, la campagne de  communication pour réhabiliter Israël pourrait avoir des conséquences  qui dépassent largement le conflit israélo-palestinien. Et c’est une  éventualité extrêmement inquiétante. 
 Neve Gordon est président du département Politique et Gouvernement à  l’université de Ben-Gurion du Néguev et auteur de L’occupation  d’Israël (Presse Université de Californie - 2008).
Source : alternative.ca - Article repris ici : Michel Collon et Journal des Alternatives - Source en anglais Counterpunch  - traduction en français : Dominique Muselet