Rannie Amiri
"Le vrai hypocrite est celui qui ne se rend plus compte  qu’il est un hypocrite, celui qui ment en toute sincérité" - André Gide
"Car je t’ai cru pur et lumineux, toi qui es plus  ténébreux que l’enfer, plus sombre que la nuit" - William Shakespeare
Cela fait longtemps que la  communauté internationale s’est entichée du président actuel et ancien  Premier ministre d’Israël, Shimon Péres. Il a la réputation d’être une  voix raisonnable et pacifique comme la colombe au milieu de faucons  intransigeants et il tempère les inquiétudes et calme les critiques par  des paroles apaisantes mais vides préconisant le dialogue et la création  d’un état palestinien. En réussissant à faire croire au monde entier  qu’il existe une différence notable entre sa position " de gauche " et  l’extrême droite israélienne, il a démontré qu’il était le roi des  fourbes.
Péres a recommencé la semaine dernière lors de sa  rencontre le Président Dimitri Medvedev après la célébration du Jour de  la Victoire à Moscou et avant la première visite officielle du leader  russe en Syrie. Il n’a pas raté l’occasion de travestir à nouveau la  vérité en affirmant que des missiles Scuds étaient envoyés au Liban tout  en soutenant, sans se rendre compte de la contradiction, qu’Israël  n’avait aucun intérêt à exacerber les tensions avec la Syrie.
Avant le début des " négociations de proximité " sous  arbitrage des USA, il a aussi demandé à l’envoyé spécial au Moyen Orient  Georges Mitchell que les " questions de sécurité " soient prioritaires  dans les négociations " étant donné que depuis que l’armée (israélienne)  et les colons ont évacué Gaza des milliers de roquettes sont lancées  sur les communautés israéliennes "
Gaza
En revenant sur le retrait israélien du territoire  occupé de Gaza à la fin de 2005, Péres a oublié de mentionner ce  qu’Israël a fait ensuite à la population la plus dense de la planète.  Après les élections parlementaires libres, démocratiques et incontestées  de janvier 2006 (qui donna au Hamas la majorité des sièges au Conseil  Législatif Palestinien) Israël a fermé ses frontières hermétiquement.
Quand il est devenu clair que la faction du Fatah de  l’Autorité palestinienne du Président Mahmoud Abbas - le leader de  Cisjordanie dont les Israéliens appréciaient la souplesse et la  collaboration- ne contrôlerait plus Gaza, un siège terrible et inhumain a  été imposé à la petite enclave. Les produits de première nécessité  comme la nourriture, le fuel, l’électricité, l’eau potable, l’huile de  cuisson, les vêtements et les médicaments ont été interdits d’accès. Ce  fut une forme odieuse de punition collective qui est considérée par la  Convention de Genève de 1949 comme un crime de guerre. Mais Péres, prix  Nobel de la paix, n’a aucun état d’âme a ce sujet.
L’écrasant embargo a duré 18 mois. La malnutrition des  enfants augmentant avec le désespoir des habitants de Gaza, est-il  surprenant que ceux qui étaient maintenus captifs dans cette prison à  ciel ouvert - avec des réserves de nourriture et d’eau potable diminuant  sans cesse- lancent des roquettes rudimentaires et aveugles sur leurs  geôliers ? De fait, ils les envoyaient le plus souvent en réponse aux  provocations des Forces de Défense Israéliennes (IDF). En comparaison  des armes sophistiquées de l’IDF, les roquettes de fabrication  artisanale qui carburent aux fertilisants étaient de simples catapultes.  Elles n’ont pas occasionné la moindre perte à Israël tout au cours de  l’année dernière.
Et faut-il rappeler la sauvage attaque de Gaza par  Israël en décembre 2008, avec l’utilisation illégale de bombes au  phosphore blanc, le meurtre délibéré de civils (dont beaucoup agitaient  des drapeaux), la destruction des bâtiments et des réserves de  nourriture de l’ONU, des mosquées, des écoles, des ponts, des  ambulances, des postes de police et en fait de toute l’infrastructure  civile ? Il suffit de lire les rapports de Richard Falk, Rapporteur  Spécial de l’ONU pour les Droits Humains dans les Territoires Occupés de  Palestine, et du juge Richard Goldstone qui a mené la Délégation  d’Etudes sur le Conflit de Gaza de l’ONU.
Inutile de préciser que les conséquences ont été  catastrophiques : plus de 1400 personnes tuées - principalement des  civils dont un tiers d’enfants ; 100 000 réfugiés ; 500 000 personnes  sans eau potable ; 4000 maison complètement détruites et 45 000  endommagées ; 1 500 fabriques et locaux commerciaux ainsi que les  immeubles de l’ONU (y compris 4 écoles) et presque 50% de la terre  cultivable inutilisable (chiffres de 2009 d’après le Bureau Central  Palestinien de Statistiques, le Centre Palestinien des Droits de l’Homme  et différentes ONG).
Le blocus israélien dure toujours avec quelques  " aménagements ". En mars, pour la première fois en trois ans, Israël a  autorisé 10 camions de chaussures et de vêtements à entrer à Gaza. Les  matériaux de construction, les crayons de couleur pour les enfants et  les livres sont toujours interdits d’accès.
L’exigence de Péres, que la " sécurité d’Israël soit le  point central des négociations indirectes " surtout avec en toile de  fond le retrait de l’armée israélienne de Gaza [2005] ", est absurde et  insultante ; comme si le démantèlement de colonies illégales était un  acte si héroïque qu’on pouvait fermer les yeux sur les crimes de guerre  commis par la suite. Quelle sécurité reste-t-il à sauvegarder quand les  Palestiniens de Gaza manquent toujours de nourriture, d’abri et de  vêtements ?
L’impudence d’invoquer Gaza pour illustrer les besoins  de sécurité d’Israël mise à part, Peres demeure une source intarissable  de désinformation et d’obscures manipulations.
Il s’est fait le porte-parole le plus diligent d’Israël  pour colporter l’assertion infondée que la Syrie a envoyé des missiles  Scuds au Liban. Il persiste aussi à mettre en avant la prétendue menace  de l’énergie nucléaire naissance de l’Iran tout en refusant d’envisager  qu’Israël puisse signer le Traité de non prolifération nucléaire.
Le père du programme nucléaire  militaire d’Israël
C’est lui en effet qui fut l’architecte du développement  de l’arme nucléaire d’Israël. En 1953 le Premier Ministre Ben Gourion a  nommé le jeune Péres Secrétaire Général du Ministre de la Défense. Au  cours des réunions dont le but était de rédiger le Protocole de Sèvres  de 1956, Péres a obtenu le concours de la France pour construire un  Centre de Recherche Nucléaire dans le Negev.
Le rôle capital qu’il a joué dans le développement de la  capacité nucléaire israélienne est développé dans le livre "Shimon  Péres - Une biographie", de l’historien Michael Ben Zohar. Selon  l’agence de presse Reuters "le livre... détaille la manière dont Péres a  servi officieusement d’architecte à la puissance nucléaire israélienne,  en se procurant des armes en secret et en achetant un réacteur  nucléaire à la France".
Grâce à Péres, et plusieurs dizaines d’années avant que  l’Iran n’enrichisse un seul gramme d’uranium, c’est Israël qui a  introduit le premier l’arme atomique dans l’instable Moyen-Orient [1].
Le massacre de Qana
Le Massacre de Qana a eu lieu pendant la guerre du Liban  "Raisins de la Colère" en 1996 et sous l’œil du Premier Ministre Péres.
Pour échapper aux combats, 800 civils libanais s’étaient  réfugiés dans une enclave de l’ONU près du village de Qana. Avec un  mépris total pour l’ONU autant que pour les civils que l’ONU abritait,  l’IDF a bombardé les bâtiments, tuant 106 innocents et en blessant plus  de 100.
Une investigation de l’ONU a conclu qu’il était peu  probable que le bombardement soit dû à de grossières erreurs techniques  ou de procédure, comme Israël l’avait d’abord prétendu. Après avoir  avancé plusieurs justifications successives, Péres finit par accuser le  Hezbollah, en utilisant l’excuse éculée du "bouclier humain". D’autres  investigations furent moins complaisantes. Un enquête d’Amnesty  International aboutit à la conclusion que l’attaque avait été  "intentionnelle et devait être condamnée". De même l’organisation pour  les droits humains, Human Right Watch a écrit dans son rapport "nous  déclarons que ce fut un massacre intentionnel avec usage de missiles et  explosifs de la plus haute précision".
Les spécialistes du Moyen-Orient qui reconnaissent la  nature expansionniste et néo-coloniale d’Israël constatent que les  principaux partis politiques - le Likoud, le labor ou Kadima- défendent  ou promeuvent les colonies, les expropriations de terre palestinienne,  l’expulsion de leurs habitants et l’exacerbation délibérée des tensions  entre les différents pays de la région.
Bien que l’attitude de Péres dans cette affaire soit  souvent comparée à celle d’un loup déguisé en mouton, les observateurs  intelligents ne s’y trompent pas. Ils voient un loup, un vrai.
Rannie Amiri est un commentateur  indépendant spécialiste du Moyen-Orient.
publié par Counterpunch
et en français par Le Grand Soir
Traduction D. Muselet
ajout de note : C. Léostic, Afps