Jonathan Cook
Dissident Voice
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          « Imaginez le tollé dans les communautés juives aux Etats-Unis,  en Grande-Bretagne ou en France, si les autorités essayaient de classer  leurs citoyens en tant que "juifs" ou "chrétiens" ».         
          L’inscription de la nationalité  (juive, arabe, bouddhiste...) sur la carte d’identité des Israéliens  facilite la discrimination à l’encontre des citoyens arabes
Des citoyens classés comme  nationaux juifs ou nationaux arabes
Un groupe de juifs et d’arabes se bat devant les  tribunaux israéliens pour que chacun soit reconnu en tant qu’  « Israélien », une nationalité qui leur est aujourd’hui refusée dans un  dossier que les officiels voient comme une menace pour leur statut  autoproclamé d’Etat juif.
Israël a refusé de reconnaître une nationalité  israélienne à l’instauration du pays en 1948, faisant ainsi une  distinction inaccoutumée entre « citoyenneté » et « nationalité ». Même  si tous les Israéliens sont qualifiés « citoyens d’Israël », l’Etat,  lui, est défini comme appartenant à la « nation juive », c’est-à-dire  non seulement aux 5,6 millions de juifs israéliens mais encore aux plus  de 7 millions de juifs de la diaspora.
Selon certains critiques, le statut spécial de  nationalité juive est un moyen pour saper les droits de citoyenneté des  non juifs en Israël, spécialement pour le cinquième de la population qui  est arabe. Quelque 30 lois en Israël privilégient spécifiquement les  juifs, notamment dans les domaines des droits relatifs à l’immigration, à  la naturalisation, à l’accès à la terre et à l’emploi.
Les dirigeants arabes dénoncent aussi depuis longtemps  le fait que l’indication de la nationalité « arabe » sur les cartes  d’identité facilite le ciblage par la police et les fonctionnaires des  citoyens arabes pour leur imposer un traitement plus sévère.
Le ministère de l’Intérieur a adopté plus de 130  nationalités  possibles pour les citoyens israéliens, la plupart d’entre  elles étant définies en des termes religieux ou ethniques, « juif » et  « arabe » étant les principales.
Le dossier juridique du groupe est arrivé devant la Cour  suprême après qu’ils aient été déboutés par un juge de district il y a  deux ans, lequel a suivi la position de l’Etat à savoir qu’il n’existe  pas de nation israélienne.
Pour le dirigeant de la campagne pour la nationalité  israélienne, Uzi Ornan, professeur de linguistique en retraite, « Il est absurde qu’Israël, qui reconnaît des dizaines de  nationalités différentes, refuse de reconnaître celle-là même que le  pays est censé représenter. »
Le gouvernement est opposé aux demandes dans ce dossier,  prétendant que le véritable objectif de la campagne serait de « miner l’infrastructure de l’Etat » (référence supposée  aux lois et institutions officielles qui assurent aux citoyens juifs de  profiter d’un statut privilégié en Israël).
Pour Mr Ornan, 86 ans, le refus d’une nationalité  israélienne commune constitue le pilier pour une discrimination  autorisée par l’Etat envers la population arabe.
« Il y a même deux lois - la loi du  Retour pour les juifs et celle sur la Citoyenneté pour les Arabes - qui  déterminent de quelle façon vous faites partie de l’Etat, » dit-il.  «  Quelle est cette sorte de démocratie qui divise ses  citoyens en deux catégories ? ».
Yoel Harshefi, l’avocat qui assiste Mr Ornan, dit que le  ministère de l’Intérieur a recours à la création de groupes nationaux  non reconnus juridiquement en dehors d’Israël, tels que « Arabes », ou  « Inconnus », pour éviter d’avoir à reconnaître une nationalité  israélienne.
Dans les documents officiels, la plupart des Israéliens  sont répertoriés comme « juifs » ou « arabes », mais les immigrants dont  le statut de juif pose question aux yeux du rabbinat israélien, qui  sont plus de 300 000 à être arrivés d’Union soviétique, sont  habituellement enregistrés d’après leur pays d’origine.
« Imaginez le tollé dans les communautés  juives aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France, si les  autorités essayaient de classer leurs citoyens en tant que "juifs" ou  "chrétiens" », dit Mr Ornan.
Le professeur, qui vit près de Haïfa, a engagé son  action en justice quand le ministère de l’Intérieur lui a refusé de  modifier sa propre nationalité et de l’indiquer comme « Israélien », en  2000. Une pétition sur Internet déclarant « Je suis un  Israélien » a suscité plusieurs milliers de signatures.
Mr Ornan a été rejoint dans son action par 20 autres  personnalités publiques, dont l’ancien ministre Shulamit Aloni.  Plusieurs membres du groupe ont été enregistrés avec des nationalités  inhabituelles telles que « Russe », « Bouddhiste », Georgien » et  « Birman ».
Deux Arabes sont demandeurs dans le dossier, dont Adel  Kadaan qui a déjà porté le différend devant les tribunaux dans les  années 1990, se lançant dans une procédure judiciaire de longue durée  afin d’être autorisé à vivre dans l’une des quelques centaines de  communautés en Israël ouvertes seulement aux juifs.
Uri Avnery, activiste pour la paix et ancien membre du  parlement, dit que le système de nationalité actuel offre aux juifs qui  vivent à l’étranger une plus grande implication en Israël qu’au un  million trois cent mille citoyens arabes qui sont en Israël.
« L’Etat d’Israël ne peut reconnaître  une nation "israélienne" parce que c’est l’Etat de la nation "juive"...   Il appartient aux juifs de Brooklyn, de Budapest et de Buenos Aires,  même si ceux-ci se considèrent comme appartenant aux nations  états-unienne, hongroise ou argentine. »
Des organisations sionistes internationales représentant  la diaspora, tels que le Fonds national juif et l’Agence juive, se  voient attribuer dans la législation israélienne un rôle particulier,  quasi-gouvernemental, spécialement en matière d’immigration et de  contrôle, sur de vastes territoires israéliens, uniquement pour  favoriser les juifs.
Mr Ornan considère que l’absence de nationalité commune  est une violation de la Déclaration d’Indépendance d’Israël, laquelle  stipule que l’Etat « respectera une totale égalité  sociale et politique pour tous ses citoyens, sans distinction de  religion, de race ou de sexe ».
L’inscription de la nationalité sur la carte d’identité  des Israéliens facilite la discrimination par les fonctionnaires à  l’encontre des citoyens arabes, ajoute-t-il.
Le gouvernement objecte que la partie nationalité sur  les cartes d’identité a été supprimée peu à peu à partir de 2000 - après  que le ministère de l’Intérieur, tenu par un parti religieux à  l’époque, se soit opposé à une décision de tribunal qui demandait que  les juifs non orthodoxes soit identifiés comme « juifs » sur les cartes.
Cependant, selon Mr Orman, tout fonctionnaire peut  instantanément savoir s’il a en main une carte de juif ou une carte  d’Arabe, parce que la date de naissance sur les cartes d’identité des  juifs est indiquée selon le calendrier hébreu. De plus, la carte  d’identité d’un Arabe, contrairement à celle d’un juif, indique le nom  du grand-père.
« Un simple coup d’œil sur votre carte  d’identité et quel que soit le commis du gouvernement qui est assis en  face de vous, il sait à quel "clan" vous appartenez, et il peut vous  déférer devant ceux qui sont les mieux préparés à "traiter votre  catégorie" », dit Mr Ornan.
La distinction entre nationalité juive et nationalité  arabe est également visible sur les documents que le ministère de  l’Intérieur utilise pour prendre des décisions importantes sur le statut  des personnes, tels que pour un mariage, un divorce ou un décès, qui  sont traités en des termes absolument sectaires.
Seuls, les Israéliens de la même communauté religieuse,  par exemple, sont autorisés à se marier à l’intérieur d’Israël, sinon il  leur faut se marier à l’étranger, et les cimetières sont séparés selon  l’appartenance religieuse.
Certains de ceux qui se sont joints à la campagne se  plaignent d’avoir été pénalisés dans leurs intérêts professionnels. Un  Druze, Carmel Wahaba, dit par exemple qu’il a raté l’occasion de créer  une société import-export en France parce les fonctionnaires français  avaient refusé les documents qui le déclaraient de nationalité « druze »  et non « israélienne ».
Le groupe indique aussi qu’il espère se livrer à un tour  de passe verbal en traduisant délibérément de façon erronée  l’expression hébraïque « citoyenneté israélienne » sur les passeports du  pays, par « nationalité israélienne » en anglais, pour éviter les  problèmes avec les services frontaliers étrangers.
B. Michael, journaliste au Yedioth  Aharonoth, le plus populaire des journaux israéliens, fait  observer : « Nous sommes tous des nationaux israéliens,  mais seulement à l’étranger ».
La campagne, cependant, va devoir mener un combat  acharné devant les tribunaux.
Une procédure judiciaire semblable à l’initiative d’un  psychologue de Tel-Aviv, George Tamrin, a échoué en 1970. Shimon  Agranat, président de la Cour suprême à l’époque, avait notamment  indiqué dans sa décision : « Il n’y a pas de nation  israélienne distincte du peuple juif... Le peuple juif est composé non  seulement des juifs qui résident en Israël mais également de la  communauté juive de la diaspora. »
Cette opinion a été suivie par le tribunal de district  en 2008, après avoir entendu Mr Ornan.
Les juges de la Cour suprême qui ont assuré la première  audience en appel le mois dernier ont indiqué qu’ils ne se laisseraient  probablement pas convaincre eux non plus. Le juge de la Cour suprême,  Uzi Fogelman, a dit : « La question est de savoir si oui  ou non la Cour est le bon endroit pour résoudre ce problème ».