Michel Warschawski - AIC
          Ce soir, tu vas fêter le Jour de l’indépendance de l’Etat  d’Israël. Pas moi.         
 Tu crois probablement que les juifs méritent un Etat, que les survivants  de l’Holocauste et leurs enfants ont droit à un foyer sûr qui leur  appartienne, et que la Terre d’Israël est l’endroit naturel et légitime  pour réaliser cette vision d’un Etat pour les juifs. Comme tu le sais,  je suis en désaccord avec toi sur ces deux points : d’abord, je ne  soutiens pas les Etats ethniques. Ils créent nécessairement une névrose  aiguë et la peur permanente que « l’autre ne vienne contaminer leur  pureté » ; ils contiennent en eux quasiment le besoin permanent d’un  nettoyage ethnique et de faire naître des guerres pour y parvenir. Ce  fut le cas en 1948, l’année que tu célèbres aujourd’hui. En outre, les  Etats ethniques, fermés par nature, sont condamnés à la stagnation  culturelle, alors que l’évolution culturelle requiert des fenêtres  grandes ouvertes et non des châteaux dans lesquels on se barricade.
Ensuite, et malgré le slogan éculé « une  terre sans peuple pour un peuple sans terre, » quand le processus  de la colonisation en Palestine/Terre d’Israël a commencé, celle-ci  était déjà la patrie d’un autre peuple. Les survivants de l’Holocauste  méritaient-ils un Etat qui leur appartienne ? Si oui, alors pourquoi aux  dépens d’un peuple qui ne porte absolument aucune responsabilité dans  le massacre des juifs d’Europe de l’Est ? Un Etat pour les juifs en  Bavière ou en Saxe aurait pu être une réponse pour les survivants de  l’Holocauste, sans nuire aux droits de Palestiniens innocents et sans  les déposséder de leur pays et de leur patrie.
Dit autrement, tu es sioniste, et moi, antisioniste, et  même si nous avons pu faire un long chemin ensemble dans la lutte pour  une cessation partielle de l’occupation et de l’entreprise coloniale, la  différence entre sioniste et antisioniste ne perd rien de sa justesse  aujourd’hui, et elle continue d’influer sur les possibilités d’une  réelle réconciliation entre les peuples de cette terre. Si tu veux, on  peut la formuler ainsi : pendant que tu croies que les problèmes ont  commencé en juin 1967, aux lendemains de « la guerre la plus juste de  l’histoire de l’humanité », pour moi, le « problème » a commencé au  début du siècle précédent, avec le processus de la colonisation juive en  Palestine.
J’ai une requête pour toi et tes amis : faites passer  quelque chose avant votre bonheur d’aujourd’hui. N’oubliez pas que le  motif de vos réjouissances est aussi un motif de deuil pour le peuple de  cette terre : les Arabes de Palestine, où qu’ils soient, dans les camps  de réfugiés, en exil, en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, et aussi  dans votre Etat, qui ne peut et ne veut être aussi leur Etat.
Vous aimez fonder vos arguments sur la bible. Moi aussi.  Dans le livre des Proverbes, il est écrit : « Ne te  réjouis pas quand tombe l’ennemi ». Et dans le Midrash, il est noté  que lorsque le peuple d’Israël a traversé la mer Rouge, échappant aux  armées du Pharaon, les anges se sont mis tout à coup à chanter. Dieu  leur dit : « Ils se noient dans la mer et vous chantez ? ».  Je vous en prie. Quand vous célébrez l’indépendance d’Israël,  rappelez-vous que tout près de vous, il y a des millions de Palestiniens  à ce jour dont le monde a été détruit. Et ils refusent de pardonner, et  d’oublier.
                19 avril 2010 - AIC - traduction : JPP