Quelle réalité de la situation  en Palestine et quelles perspectives de paix ? Le Pr. Christophe  Oberlin*, réfute des points de vue couramment énoncés par les grands  médias, les dirigeants politiques occidentaux, et certains courants qui  affirment leur solidarité avec la cause palestinienn
"Un an après les  massacres de Gaza, grands médias et responsables politiques occidentaux  semblent s’accorder sur la même ligne. Les Palestiniens, en particulier  ceux de Gaza, massacrés l’an dernier et soumis au blocus international,  ont droit à notre compassion. Sur le plan politique, il n’y a pas  d’autre solution que de reprendre la politique des petits pas après le  « processus d’Oslo », de remettre en piste le « quartette » et sa  « feuille de route », et de continuer à encourager « l’autorité  palestinienne » à poursuivre les contacts avec Israël, tant il est vrai  que le pire serait l’absence de dialogue. Quand à l’autorité, légalement  élue, qui administre la bande de Gaza, attendons son effondrement  « spontané ».Cette vision, largement consensuelle, même dans certains  milieux « pro palestiniens », repose sur un certain nombre d’idées qui  seraient "indiscutables".
Et si nos observateurs, stratèges  et responsables politiques se trompaient sur toute la ligne ?  
Il faut privilégier la Cisjordanie, car  on y vit mieux, et le Fatah, parti laïc et démocratique, y est  majoritaire :
Ayant séjourné plusieurs dizaines de fois à Gaza et en  Cisjordanie depuis près de neuf ans, le ressenti de mes amis  palestiniens de tous les bords politiques m’apparait différent. Non, on  ne vit pas mieux en Cisjordanie. Certes, les conditions économiques y  sont sans doutes meilleures, encore qu’on ait vu il n’y a pas si  longtemps des médecins  fréquenter  la soupe populaire…  Surtout, on vit  plus mal dans sa tête. Les innombrables blocages à la circulation sont  de moins en moins acceptés par la population. Et les rafles nocturnes de  jeunes palestiniens par l’armée israélienne, quotidiennes, minent  l’esprit des parents comme celui des enfants. Le gouvernement du Fatah,  incapable de protéger ses enfants, est largement discrédité. Le résultat  de véritables élections libres n’est  pas garanti pour le Fatah. Par  contre des fraudes massives, largement encouragées par l’occupant, sont  prévisibles, dès lors que tous les élus de l’opposition n’auraient pas  été libérés préalablement pour faire campagne et participer au contrôle  démocratique.
Suspendre l’aide actuelle fournie à l’autorité  palestinienne à la libération de prisonniers politiques, la suppression  de l’assignation à résidence des députés libérés, la réouverture du  parlement, seraient des mesures positives que la communauté  internationale pourrait imposer, seules mesures pouvant conduire à des  élections irréprochables, comme celles de février 2006 (remportées  largement par le Hamas).
Le Hamas est un mouvement terroriste,  théocratique, qui  suscite un rejet grandissant dans la bande de Gaza : 
Point n’est besoin de rappeler, sauf aux gens de  mauvaise foi, que le terrorisme est l’arme de ceux qui n’en ont pas. Et  peut-on imaginer l’apocalypse qui résulterait d’un Hamas qui aurait les  mêmes armes et en ferait le même usage qu’Israël ? Par ailleurs le  Hamas, qui a conquis le pouvoir par des élections irréprochables, serait  bien d’accord d’y renoncer à la suite d’un revers électoral. A l’heure  où certains ont souhaité inscrire le christianisme dans la constitution  européenne, il y a de véritables relents racistes à supposer qu’un parti  marqué par l’Islam ne peut qu’être une théocratie anti-démocratique.  J’ai interrogé personnellement en tête à tête, il y a quelques semaines  dans la bande de Gaza, un ancien ministre Fatah et un député actuel  indépendant. Aucun des deux n’a été en mesure de me citer un seul  responsable Fatah en prison actuellement à Gaza. J’entends d’ici hurler  mes détracteurs. Mais s’il y en a, pourquoi ne me les ont-ils pas  mentionnés ?
Quant aux élections, il y a beaucoup de raisons de  penser que le Hamas les remporterait. Depuis l’évacuation des colonies  en aout 2005, on ne se fait plus mitrailler tous les jours à partir des  colonies. La sécurité est revenue. On peut circuler du nord au sud de la  bande de Gaza. Les salaires coupés par Ramallah aux fonctionnaires qui  continuent de travailler, sont payés par le Hamas. Les fonctionnaires  payés par Ramallah à condition de rester chez eux, ont mauvaise presse.  Les hôpitaux, les écoles, les universités (100 000 étudiants)  fonctionnent. Et si c’était aux Palestiniens de choisir eux-mêmes leurs  dirigeants ? Et si le Hamas austère était aujourd’hui le parti auquel  s’identifiait le mieux un peuple en lutte pour sa survie et sa dignité ?
Le mur souterrain, en voie de  finalisation entre Gaza et l’Egypte, va stopper la contrebande d’armes  et affaiblir le Hamas : 
Aujourd’hui les tunnels fonctionnent à plein régime.  Chaque tunnel est enregistré à la mairie de Rafah. Les employés sont  déclarés, leurs revenus garantis, ainsi que les indemnités en cas  d’accident. L’essence est quatre fois moins chère qu’en Israël, le sac  de ciment est à 50 shekels (le double du sac importé s’il était possible  de s’en procurer). Ceux qui ont découpé à l’arc électrique le mur de  dix km de long entre Gaza et l’Egypte en janvier 2008, sont évidemment  capables de percer n’importe quel coffre fort. Un tunnel de 300 mètres  se construit en six semaines. Nombres de tunnels sont creusés sous le  mur souterrain. La construction de ce mur souterrain est un habillage  psychologique pour une certaine opinion occidentale, et une raison de  plus pour l’opinion égyptienne de détester son président à vie. Si des  élections à Gaza avaient pour objet de conforter une administration pour  sa bonne gestion, le Hamas serait aujourd’hui réélu.
La clé de l’ouverture d’une vraie  négociation de paix est la reconnaissance préalable du droit à  l’existence d’Israël par les palestiniens. Et cette négociation aboutira  nécessairement à un compromis douloureux pour les deux parties :
Comme souvent lorsqu’on n’obtient pas une réponse  satisfaisante, c’est que la question est mal posée. Les Palestiniens, à  supposer qu’on le leur demande, ne reconnaitront jamais le droit à  l’existence d’un pays qui s’est constitué en dehors de tout droit. Ce  qu’ils pourraient éventuellement accepter, c’est l’existence de cet  Etat, à condition qu’on les remercie, pourrait on ajouter ! Ce qui veut  dire qu’une telle acceptation ne pourrait, éventuellement, que  constituer l’ultime aboutissement d’une négociation, et non pas son  préalable. Quant au « compromis douloureux », il n’est pas imaginable  que les Palestiniens reclus dans 22% de la Palestine historique  acceptent en leur âme et conscience d’en donner d’avantage. Il ne  pourrait s’agir que d’une contrainte, non d’une paix qui est la  reconnaissance du droit des autres.
Avec la création d’un Etat palestinien  démilitarisé sur la plus grande partie de la Cisjordanie et à Gaza, la  paix sera définitivement assurée dans cette région du monde. 
Rien ne sera définitif sans la paix des esprits de tous  ceux qui vivent aujourd’hui en Israël-Palestine. La « solution » de deux  Etats est probablement une étape nécessaire qui permettra aux  ressentiments les plus forts de s’atténuer. Mais ces deux Etats devront  avoir les mêmes prérogatives, notamment le « monopole de la violence  volontaire » selon Max Weber, c’est-à-dire une police pour faire  respecter ses lois, et une armée pour assoir sa diplomatie. A cet égard   l’acquisition, faute de mieux (une dénucléarisation des grandes  puissances), de la technologie nucléaire par l’Iran devrait faire  franchir un pas vers la table de négociation.
Mais la question israélienne ne sera pas réglée pour  autant. Aucun Etat ne pourra survivre indéfiniment en limitant les  droits d’une partie de sa population, en fonction d’une origine ethnique  « vraie ou supposée ». Certains parlent déjà d’un « Kosovo en  Galilée ». Les Palestiniens israéliens auront nécessairement un jour  leurs pleins droits, et le caractère « juif » de l’Etat devra être  abandonné. Alors les deux entités qui se seront affrontées pendant plus  d’un siècle ouvriront leurs frontières, pour leur plus grand bien être,  et pour celui de leurs enfants."
Christophe OBERLIN
* Le Pr. Christophe Oberlin, chirurgien,  spécialiste mondialement renommé pour ses techniques innovantes de  réparation des lésions nerveuses, effectue régulièrement des missions de  chirurgie et d’enseignement dans la Bande de Gaza. En 2010, il s’est  rendu  sur place à l’occasion de sa 28ème mission chirurgicale, en  compagnie d’une équipe de médecins venus de plusieurs pays. 
Cet article est à paraître dans le  mensuel Afrique-Asie  sous le titre : « Israël Palestine, une autre  analyse » 
CAPJPO-EuroPalestine