Diego, 18 ans, étudiant français, fils de 
l’universitaire et écrivain Jean-Pierre Filiu, a été visé et blessé par 
un soldat israélien à Jérusalem-Est. Qu’à cela ne tienne, les autorités 
françaises ne vont pas protester pour si peu auprès d’Israël. Des 
sanctions ? Vous n’y pensez pas ! Quand on sait que le journaliste 
Jacques-Marie Bourget, après avoir été gravement blessé par un sniper 
israélien en 2000, attend encore pour avoir ne serait-ce que le droit 
d’être reconnu, en France, en tant que victime !
Il raconte :
(...) J’ai en effet assisté aux manifestations du vendredi, 
fréquentes à Ras al-Amoud où je vis, car la mosquée du quartier est le 
site de repli en cas d’interdiction d’accès à al-Aqsa. C’est souvent là 
que les fidèles refoulés défient le barrage israélien. Ces troubles 
restent limités, même après le meurtre sauvage d’un Palestinien de 16 
ans, brûlé vif par des extrémistes juifs, le 2 juillet à Jérusalem-Est.
L’affrontement prend une tout autre ampleur le soir du 24 juillet, 
nuit du Destin pour les musulmans (la plus importante du mois de jeûne 
de Ramadan) – et seizième jour de l’opération Bordure protectrice à 
Gaza.
Ce 24 juillet, après la prière du soir, de nombreuses grenades 
assourdissantes sont tirées par les unités israéliennes, venues en force
 à Ras al-Amoud pour bloquer tout accès à la vieille ville de Jérusalem.
 La riposte israélienne aux jets de pierres est immédiate, foudroyante, 
d’une disproportion effrayante.
Aux pierres arabes, les militaires répondent à la balle éclairante, 
provoquant des éclats dignes des plus somptueux feux d’artifices. Le 
problème, c’est que ces éclats sont dirigés vers les Palestiniens. Sans 
distinction. Des enfants aux vieillards, tous sont pris dans la 
tourmente des feux israéliens. Tsahal va jusqu’à lancer des projectiles 
au sein de l’enceinte de la mosquée, provoquant des mouvements de foule 
incontrôlables.
Tout proche de la maison d’Abraham, et stupéfait par la violence des 
affrontements, je me réfugie derrière une voiture. J’ai la mauvaise idée
 de me relever une seconde, pour mesurer le niveau d’avancement des 
forces israéliennes sur le carrefour. Un instant plus tard, je m’entends
 crier de douleur. Touché au front par une balle en « caoutchouc », 
juste au-dessus des yeux. Mon T-shirt blanc est déjà rouge de sang. En 
fait, ce sont mes oreilles qui ont réagi en premier. J’ai entendu un 
sifflement atroce, qui m’a vrillé les tympans avant de me clouer sur 
place.
Et là, comme dans un rêve, je me sens soulever par les deux 
Palestiniens qui m’entourent derrière cette voiture. C’est presque 
irréel. Une scène que je n’avais vue que par écran interposé, à Homs où à
 Gaza. Mais non, c’est à Jérusalem. Et le blessé en sang, hurlant, c’est
 moi. Je n’ose imaginer ce qui serait advenu si j’étais resté seul 
derrière cette voiture, sans personne pour m’emmener à l’abri. Je me 
retrouve sur la terrasse des voisins, aspergé d’eau glacé et entouré par
 de nombreuses personnes, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, 
résidents, voisins et manifestants. A coup de prières et de questions 
incessantes, ils m’empêchent de perdre conscience. Et appellent les 
secours médicaux.
Nous attendrons néanmoins longtemps l’arrivée de l’ambulancier. Et 
pour cause : à aucun moment, les forces israéliennes ne réduisent 
l’intensité des tirs, empêchant les professionnels de santé – pourtant 
bien visibles avec leur gilet fluorescent – d’accomplir leur mission. 
Une fois l’ambulancier arrivé, tout s’enchaîne très vite. Un fil m’est 
cousu dans le front, à la lumière de la terrasse et des téléphones 
portables. L’ambulancier me soulève, nous remontons dans la rue.
Ici, tout devient flou. Nous traversons le carrefour attenant à la 
mosquée, passant à quelques mètres des mêmes forces spéciales qui 
viennent de me tirer dessus. Nous fendons la masse compacte des 
manifestants. J’entends l’ambulancier prêcher en arabe le calme 
indispensable à l’évacuation des blessés. Nous sommes à quelques mètres 
de l’ambulance, protégés par la foule palestinienne des balles des 
hommes en noir. C’est à ce moment, à notre gauche, qu’un homme 
s’écroule. Touché à l’arrière du crâne alors qu’il courait vers 
l’intérieur de Ras al-Amoud, en direction opposée à l’armée israélienne.
 Le doute n’est donc plus permis : Tsahal vise les visages, et peu 
importe que les individus fuient la confrontation.
Le blessé est instantanément soulevé par ses camarades. Enfourné en 
vitesse dans l’ambulance. Ambulance dans laquelle se jette mon médecin, 
et moi à sa suite. Commence alors un long trajet. Bien trop long. Car 
les Israéliens bloquent la route menant vers l’hôpital, nous obligeant à
 faire un long détour pour rejoindre l’établissement le plus proche, sur
 le mont des Oliviers. Le supplice du blessé, allongé près de moi, est 
insoutenable. L’homme en appelle à Dieu, crie, se débat. Il est touché à
 deux endroits : à l’arrière du crâne, et dans le ventre. C’est un 
calvaire, de plusieurs dizaines de minutes.
Enfin arrivés, l’ambulancier me pousse vers l’entrée. Dans l’hôpital,
 c’est la cohue. Déjà beaucoup de blessés, la plupart à la tête, alors 
que cette nuit du Destin vient seulement de commencer. Je suis couché 
sur un lit, dans une salle où plusieurs personnes me rejoignent à chaque
 minute. Ma blessure est nettoyée, désinfectée. On me coud de nouveau le
 crâne, de quatre points de suture cette fois. Terrassé par la douleur 
et la fatigue, je commence à sombrer.
C’est alors que j’entends des cris. Atroces. D’une intensité 
incroyable. Un enfant de 10 ans, blessé au cours des affrontements, 
hurle sa douleur. Les infirmiers peinent à le rassurer, à le 
réconforter. Lui aussi reçoit plusieurs points de suture. « Au nom de 
Dieu », lui répètent les docteurs. Rien n’y fait, les invocations de 
l’enfant se transforment en d’atroces gémissements. Il se calme, enfin, 
vaincu par les antidouleurs.
Je passe le reste de mon séjour un bandage autour du crâne, me 
rendant alors mieux compte du traitement que réserve la police 
israélienne à tous ceux qu’elle soupçonne d’avoir participé à des 
manifestations. Arrêté à de nombreuses reprises, questionné encore et 
encore, je commence à comprendre l’enfer quotidien de 
l’occupation.(...)"
Lettre ouverte à l’homme qui aurait pu tuer mon fils
par Jean-Pierre Filiu, universitaire
Je ne te connais pas. Je sais juste que tu aurais pu tuer mon fils 
Diego, la nuit du 24 juillet, dans une banlieue orientale de Jérusalem. 
Alors accorde-moi la liberté de te tutoyer dès notre premier contact.
Diego n’est pour toi qu’une cible sur laquelle tu as tiré. Une seule 
fois, je te l’accorde. Mais tiré une balle d’acier recouverte de 
caoutchouc. On appelle cela une « balle de caoutchouc », cela sonne 
ludique. Cette balle est pourtant faite pour briser les membres et les 
organes.
Diego a eu de la chance. Un centimètre plus bas, et il perdait son 
œil gauche. Une trajectoire un brin différente, et son crâne était 
enfoncé. Diego a eu de la chance, mais toi qui as appuyé sur la détente,
 tu aurais pu le tuer.
Comme tu ignores tout de cet adolescent sur lequel tu as tiré, sache 
que Diego faisait un stage bénévole à la Maison d’Abraham, fondée en 
1964, à l’initiative du pape Paul VI, pour accueillir des pèlerins 
nécessiteux.
Une force d’occupation
Cette Maison d’Abraham se situe tout en haut de Ras al-Amoud, la 
colline mitoyenne du mont des Oliviers, avec un panorama splendide sur 
la ville sainte. En 1967, l’armée israélienne en a expulsé l’armée 
jordanienne. Cela fait 47 ans que Jérusalem-Est est occupée, tout comme 
la Cisjordanie et la bande de Gaza.
Tu as beau dire que tu es chez toi à Jérusalem-Est, que tu y as tous 
les droits, regarde comment tu y viens, casqué et botté, regarde comment
 tes collègues et toi-même vous y comportez : en force d’occupation. 
Occupation.
Ce 24 juillet était la 27e journée du mois de ramadan. Pour les 
musulmans, c’est la « nuit du Destin », la plus importante de ce mois de
 jeûne, car elle est censée marquer le voyage céleste de leur prophète 
pour Jérusalem. Je n’y crois pas, et probablement toi non plus, mais le 
respect de la foi des autres n’a jamais étouffé quiconque.
Ce soir-là, Gaza brûlait depuis déjà deux semaines. Alors ton Etat a 
décidé d’interdire l’accès à l’esplanade des Mosquées de Jérusalem. Les 
fidèles ont été refoulés en masse vers Ras al-Amoud. Tu connais la 
suite, tu y étais. Diego aussi, de retour à la Maison d’Abraham.
Garde un peu de décence, ne me dis pas que tu étais en « légitime 
défense », personne n’avait d’arme dans le quartier, tu le sais 
parfaitement. Et ne prétends pas, je t’en prie, que Diego était un 
« bouclier humain », derrière qui se cachait un « terroriste ».
Le devoir accompli ?
En revanche, j’aimerais que tu m’expliques comment on parvient à 
ajuster son tir sur un adolescent, à appuyer sur la gâchette, à vérifier
 que la cible est bien écroulée et, ensuite, à rentrer chez soi avec le 
sentiment du devoir accompli. Car j’imagine que tu as bien dormi ce 
soir-là, n’est-ce pas ?
Oui, bien sûr, tu as obéi aux ordres. Je la connais trop bien cette 
rengaine, on l’a entendue sous le ciel de Jérusalem et bien au-delà, 
chaque fois qu’un assassin affirmait n’être qu’un exécutant. Mais 
dis-moi, quelqu’un t’a-t-il soufflé dans l’oreillette l’ordre de tirer 
sur Diego ? Es-tu un homme ou une machine ?
Quand Diego est tombé, il a été protégé des tirs de tes collègues et 
de toi-même par le mur des corps de Palestiniens désarmés. Il a dû 
longtemps attendre l’ambulance pour l’évacuer, car ton unité bloquait 
l’accès au personnel de santé, pourtant clairement identifié. Et c’est 
sous vos déflagrations qu’il a reçu les premiers soins et que sa plaie 
fut cousue à vif.
« L’armée la plus morale du monde » ?
Il paraît que vous êtes des « forces spéciales », une formation 
« d’élite ». Je n’ose imaginer l’entraînement que tu as suivi en vue 
d’accomplir de telles « missions ». Crois-tu vraiment que tu appartiens à
 « l’armée la plus morale du monde » ? N’es-tu pas fatigué d’arborer une
 telle imposture ?
Je serais intéressé de te rencontrer. Intéressé, pas heureux, note 
bien la différence. Si tu préfères m’écrire, tu mesureras vite que les 
mots sont parfois plus ardus à manier que les armes.
Tu as évidemment une famille. Tu as peut-être un fils. Si c’est le 
cas, je souhaite de tout mon cœur qu’il ne croise jamais la route d’un 
homme qui pourrait ainsi l’ajuster et le tuer. Car c’est ce que tu fis 
en cette nuit du Destin, et tu l’as fait de sang-froid.
J’ai retrouvé Diego après une éternité d’inquiétude. Sa vie n’est 
plus entre tes mains, mais ta vie ne dépend plus que de toi. Penses-y la
 prochaine fois que tu tiendras dans ton viseur un gamin sans défense.
Sincèrement.http://blogs.rue89.nouvelobs.com/je...
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