Uri Avnery
CounterPunch
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 Voilà une devinette : Quelle flotte n’a pas atteint sa destination tout en remplissant sa mission ?
Eh bien c’est la flottille de solidarité envers Gaza de cette année.
 On pourrait dire, bien sûr, que cela est aussi vrai de la "petite  flotte" - c’est ce que le mot signifie en espagnol comme "guerilla"  signifie "petite guerre" - de l’année dernière. Elle n’a jamais atteint  Gaza mais le commandant des forces israéliennes pourrait très bien  s’attribuer les paroles de Pyrrhus, le roi d’Épire, dont la victoire  contre Rome a été si coûteuse qu’il s’est exclamé, dit-on : "Une autre victoire comme celle-là et je suis perdu !"
La première flottille n’a pas atteint Gaza. Mais  l’attaque du commando naval qui a coûté la vie à neuf militants de la  paix turcs a soulevé une vague d’indignation telle que notre  gouvernement a été forcé d’alléger le blocus de Gaza de manière  significative.
Cette attaque a encore aujourd’hui des répercussions. La  relation privilégiée entre les armées turques et israéliennes n’a pas  été rétablie et les Turcs continuent de demander des excuses et des  indemnités. Les familles des victimes ont intenté des poursuites  criminelles et pénales dans plusieurs pays. Un vrai casse-tête pour  Israël.
L’aventure de la seconde flottille s’est terminée cette  semaine avec l’énorme opération navale qui a abouti à la capture d’un  seul petit yacht français et la détention des marins, journalistes et  militants qui étaient à bord - 16 personnes en tout. Nos médias pourtant  soumises ont commenté ironiquement : "Pourquoi n’ont-ils pas envoyé un porte-avion ?"
Les 14 bateaux qui ont été empêchés de partir et celui  qui a réussi à partir n’ont pas seulement tenu toute notre marine en  alerte pendant des semaines, ils ont aussi permis de garder le siège de  Gaza à la une de l’actualité. Et c’était après tout le but principal de  toute l’entreprise.
Qu’est-il arrivé aux 14 bateaux qui n’ont pas pris la mer ?
Qu’est-il arrivé aux 14 bateaux qui n’ont pas pris la mer ?
Aussi incroyable que cela puisse paraître la marine et  les garde-côtes grecs ont empêché par la force les bateaux de quitter  les ports grecs. Cela sans aucun fondement légal et sans même  s’embarrasser à simuler un semblant de légalité.
Il ne serait pas exagéré de dire que la marine grecque  agissait sur ordre de commandant en chef israélien. Une nation de fiers  navigateurs héritière d’une histoire maritime (le mot "nautique" est  d’ailleurs d’origine grecque) qui remonte à des milliers d’années, s’est  abaissée à commettre des actions illégales pour donner satisfaction à  Israël.
Elle a aussi ignoré les actes de sabotage commis par des  commandos de la marine - devinez laquelle - contre les bateaux amarrés  dans des ports grecs.
Au même moment, le gouvernement turc, le sponsor intrépide du Mavi Marmara,  le bateau sur lequel les militants turcs ont été assassinés l’année  dernière, a empêché le même navire de prendre la mer cette année.
Au même moment encore, des groupes de militants  propalestiniens qui essayaient d’aller en Cisjordanie par avion ont été  arrêtés en route. Comme il est impossible d’aller en Cisjordanie par la  terre, la mer ou les airs sans passer par le territoire israélien ou les  checkpoints israéliens, ils étaient obligés de passer par l’aéroport  international de Ben-Gourion, la porte israélienne du monde. La plupart  n’ont pas réussi à y arriver : sur instruction de notre gouvernement  toutes les compagnies aériennes internationales ont bloqué ces passagers  à l’embarquement en utilisant une "liste noire" que leur avait donnée  notre gouvernement.
Il semble que le bras long de notre diligent service de  Sécurité ait des ramifications partout et que ses ordres soient obéis  dans tous les pays, grands et petits. 
L’aventure de la seconde flottille  s’est terminée cette semaine avec l’énorme opération navale qui a abouti  à la capture d’un seul petit yacht français.
 Il y a cent ans, la police secrète du Tsar russe, la terrible "Okhrana" a forgé un document appelé le Protocole des sages de Sion.
(A cette époque, la police secrète s’appelait encore  partout Police Secrète, avant d’être promue au rang de "services de  Sécurité".)
Le document parlait d’une réunion secrète de rabbins  dans le vieux cimetière de Prague pour élaborer une stratégie qui donne  aux juifs le contrôle du monde. C’était une grossière falsification qui  reprenait des passages entiers d’un roman écrit des dizaines d’années  plus tôt.
Rien de ce qui était écrit dans ce texte n’était vrai  car en réalité les juifs de l’époque n’avaient pas le moindre pouvoir.  De fait, quand Adolf Hitler - qui a utilisé le Protocole pour sa  propagande - a mis en place la Solution finale, presque personne dans le  monde entier n’a levé le petit doigt pour aider les juifs. Même les  juifs étasuniens avaient peur d’élever la voix.
Mais si les auteurs du faux document revenaient  aujourd’hui sur le lieu de leur crime, ils se frotteraient les yeux de  stupéfaction : le fruit de leur imagination malade semble être devenu la  réalité. L’État juif, comme les sionistes l’appellent, peut donner des  ordres aux autorités de la marine grecque, faire renoncer les Turcs à  leurs projets et ordonner à une douzaine de pays européens d’arrêter des  passages dans leurs aéroports.
Comment cela se peut-il ? La réponse est simple et comporte trois lettres : USA. 
Israël est devenu une sorte de portier kafkaïen du seul super pouvoir qui reste dans le monde.
Grâce à son immense influence sur le système politique  étasunien et surtout sur le Congrès, Israël peut lever un impôt  politique sur tous ceux qui ont besoin des USA. La Grèce est en faillite  et a désespérément besoin de l’aide des USA et de l’Europe. La Turquie  est un partenaire des USA dans l’OTAN. Aucun pays européen ne veut de  problèmes avec les USA. Donc : ils doivent tous nous donner une petit  bakchich politique.
Pour cimenter cette relation, Glenn Beck, le détestable  protégé de Rupert Murdoch nous a rendu visite et a été reçu à la Knesset  où il nous a dit "de ne pas avoir peur" parce que lui (et par voie de conséquence la Fox et toute l’Amérique) nous soutenait à fond. 
C’est pour ça que quelques lignes écrites cette semaine dans le New York Times, ont presque semé la panique à Jérusalem.
Le NYT est peut-être le journal le plus "pro-Israël" du monde entier Israël compris. Les antisémites l’appellent le Jew York Times  (Le mot Jew, juif, remplace le mot News, nouvelles, NdT). Un article  qui critique la politique d’Israël n’a quasiment aucune chance d’y être  publié. Il n’y a jamais été fait mention des douzaines de manifestations  israéliennes contre la deuxième guerre d’Israël contre le Liban ni de  l’opération Cast Lead (Plomb durci - décembre 2008/janvier 2009 - ndp). L’autocensure règne en maître.
Mais cette semaine, le NYT a publié un éditorial cinglant contre Israël. La raison : la "Loi sur le Boycott"  que la majorité de droite de la Knesset a votée, et qui interdit aux  Israéliens d’appeler au boycott des produits en provenance des colonies.  L’éditorial répétait pratiquement ce que j’avais écrit dans l’article  de la semaine dernière : à savoir qu’il s’agissait d’une loi clairement  antidémocratique qui viole des droits de l’homme les plus élémentaires.  D’autant plus qu’elle vient couronner tout une série de lois  antidémocratiques votées ces derniers mois. Israël est en danger de  perdre son titre de "seule démocratie du Moyen-Orient".
Tout à coup, tous les feux rouges à Jérusalem se sont  mis à clignoter furieusement. Au secours ! Nous allons perdre notre seul  soutien politique dans le monde, le pilier de notre force, la base de  notre sécurité nationale, le rocher de notre existence. 
Le résultat a été immédiat.  Mercredi, la clique de droite qui contrôle actuellement la Knesset, sous  la direction d’Avigdor Lieberman, faisait voter une résolution qui  nomme deux commissions d’enquête des ressources financières des ONG des  droits de l’homme.
Pas toutes les ONG, seulement celles de "gauche". Cela  constituait une mesure supplémentaire dans la longue liste des mesures  maccarthistes dont beaucoup ont déjà été votées et beaucoup d’autres  attendent de l’être.
Le jour précédent, Binyamin Netanyahu était venu  spécialement à la Knesset pour dire à ses supporters qu’il approuvait et  soutenait sans réserves la loi sur le Boycott. Mais après l’éditorial  du NYT quand la résolution sur la commission d’enquête a été présentée,  Netanyahu et tous les ministres de son cabinet ont voté contre. Les  factions religieuses ont disparu de la Knesset. La résolution a été  rejetée par une majorité des deux tiers.
Mais la sinistre réalité qui est apparue, c’est que, à  part Netanyahu et ses ministres captifs, tous les membres du Likoud  présents ont voté en faveur de la résolution. Y compris tous les jeunes  leaders du parti, la future génération de patrons du Likoud.
Si le Likoud reste au pouvoir, ce groupe d’extrémistes  de droite sera le gouvernement d’Israël dans les dix ans qui viennent.  Et le New York Times pourra aller au diable. 
Heureusement, il y a des signes que quelque chose de nouveau se prépare.
Cela a commencé innocemment avec une grève réussi des consommateurs de fromage blanc (cottage cheese)  pour forcer un cartel de vaches grasses à diminuer les prix. Puis il y a  eu l’action de masse des jeunes couples, principalement des étudiants  des universités, contre les prix élevés des appartements.
Un groupe de manifestants ont planté leurs tentes dans  le centre de Tel Aviv et y vivent depuis plus d’une semaine. Peu après  des campements similaires se sont installés partout dans le pays de  Kiryat Shmona à la frontière libanaise à Beer Sheva dans le Negev.
Il est beaucoup trop tôt pour dire si c’est une  protestation ponctuelle ou le début israélien du phénomène de la place  Tahrir. Mais cela montre clairement que la prise du pouvoir en Israël  par un groupe de néo-fascistes n’est pas encore une chose acquise. La  lutte a commencé.
Et peut-être -seulement peut-être !- que même le New  York Times pourrait se mettre à dire la vérité sur ce qui se passe dans  ce pays.
Uri Avnery (en hébreu : אורי אבנרי), de son nom de  naissance Helmut Ostermann, est un écrivain et journaliste israélien né  le 10 septembre 1923 à Beckum (Westphalie, Allemagne). Surtout connu  pour être un militant des droits des Palestiniens et pacifiste  convaincu, il appartient à une tendance de la gauche radicale  israélienne. Il se définit comme postsioniste (Wikipédia). Il a  contribué à l’ouvrage : The Politics of Anti-Semitism.
  Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
26 juillet 2011 - CounterPunch - traduction : Dominique Muselet