Alain Gresh
Le Monde diplomatique
Le Monde diplomatique
          Le vrai problème, c’est que les négociations ne sont pas  possibles tant que le gouvernement israélien comme la communauté  internationale n’auront pas intégré ce fait : les deux parties en  présence sont inégales ; l’une est une puissance occupante et l’autre un  peuple occupé.         
 Le Proche-Orient a besoin d’une paix sincère, non d’un mirage diplomatique. Sous ce titre, Yossi Gal, ambassadeur d’Israël en France, donne, dans le quotidien Le Monde (28 juillet), son point de vue sur le projet de reconnaissance de l’État palestinien par l’ONU.
Nous reproduisons intégralement ce texte (en italique),  avec quelques commentaires (en gras). Je me suis limité à l’essentiel  tant ce texte est bourré d’approximations, de contre-vérités, et  traversé par cette arrogance qui caractérise la politique israélienne,  non seulement à l’égard des Palestiniens, mais aussi de l’opinion  internationale. 
« “Je vous promets qu’Israël ne sera pas le dernier pays à accueillir l’Etat palestinien à l’ONU. Il sera le premier.” Cette  déclaration du premier ministre israélien devant le Congrès américain  en mai, quant à la reconnaissance d’un État palestinien issu de  pourparlers, est une nouvelle preuve de l’engagement d’Israël pour la  paix. »
Dans son discours, répondant au  président américain, le premier ministre expliquait avant tout ses  refus : refus d’un retour aux lignes de juin 1967, refus d’arrêter la  colonisation (qui, selon les statuts de la cour pénale internationale,  est un crime de guerre), refus du partage de Jérusalem... Si cela est un  discours de paix, on aurait préféré un discours guerrier...
« Depuis plus de deux ans, Benyamin  Nétanyahou a fait le choix, un choix sincère, de se déclarer  publiquement en faveur de la création de deux États pour deux peuples.  Nous sommes persuadés qu’il est possible de concilier les aspirations  palestiniennes avec les intérêts sécuritaires israéliens. Israël ne  s’oppose pas à la création d’un État palestinien. Au contraire.
« La question n’est donc pas celle du  principe mais du chemin pour y parvenir. Le problème qui se pose à  Israël aujourd’hui n’est plus de savoir si un État palestinien autonome  doit coexister au côté d’Israël. La question est plutôt de savoir à quoi  cet État va ressembler. Va-t-il regarder vers le futur et travailler à  créer une société pacifiée, juste et moderne, à laquelle nous aspirons  tous ? Ou au contraire va-t-il se renfermer dans une espèce de frénésie  fanatique et destructrice et dérober au peuple palestinien le fragile  espoir d’un avenir meilleur ? Pour parvenir à la paix, il faut choisir  la voie de la paix. Il appartient aux Palestiniens de démontrer au  monde, et avant tout à eux-mêmes, qu’ils n’ont pas fait le choix de la  guerre. »
Remarquons que l’ambassadeur ne  parle pas d’État indépendant, mais d’État autonome, aussi autonome que  l’étaient les bantoustans sud-africains (Israël a déjà fait savoir que  cet État serait démilitarisé, n’aurait pas le contrôle de son espace  aérien ni de ses frontières terrestres, que l’armée israélienne devrait  stationner sur le Jourdain, etc.).
D’autre part, qui refuse  au peuple palestinien le fragile espoir d’un avenir meilleur ? N’est-ce  pas l’occupation qui n’en finit pas, la colonisation et le vol des  terres qui se poursuivent, les mauvais traitements et la torture  infligés par l’armée israélienne et dans les prisons ?
« La paix ne peut être que le fruit de  négociations et de dialogue entre deux parties qui ont décidé de lier  leurs destins et de construire l’avenir ensemble. Nous ne sommes  parvenus à la paix avec la Jordanie et l’Égypte que par des négociations  directes. Imposer un fait dont nul ne sait s’il est basé sur une  intention sincère n’est, à mon sens, pas un acte de paix et n’est dans  l’intérêt de personne - y compris évidemment pas dans celui des  Palestiniens. »
Négociations directes ? Mais elles  se sont déroulées depuis 1993, sans jamais aboutir, du fait  principalement du refus israélien d’arrêter la colonisation, de  reconnaître le droit des Palestiniens à l’indépendance, de respecter les  accords qu’Israël avait signés et jamais vraiment appliqués. Si l’on  dressait la liste des violations des accords d’Oslo, on verrait que les  gouvernements israéliens successifs n’ont respecté ni l’esprit, ni la  lettre des textes, ni les calendriers.
« Une action unilatérale viendrait  également à l’encontre des principes définis par le Quartet. En 2003, la  communauté internationale a établi trois principes qui stipulent, entre  autres, le respect de tous les accords signés entre l’Autorité  palestinienne et Israël. Si nous demandons au Hamas de respecter ces  conditions, il va sans dire que l’Autorité palestinienne doit les  respecter aussi. Cette initiative palestinienne à l’ONU, coûte que  coûte, en représenterait une violation flagrante. »
Si l’Autorité palestinienne et le  Hamas doivent respecter les conditions du Quartet, qu’en est-il  d’Israël, qui n’a jamais reconnu le droit des Palestiniens à un État  dans les frontières de 1967, n’a pas respecté les accords d’Oslo et a  utilisé la violence sur une échelle sans commune mesure avec celle  utilisée par le Hamas ? Faut-il vraiment rappeler ce qui s’est passé à  Gaza en 2008 ?
« Nous avons, avec les Palestiniens, un  objectif commun. Israël a fait le choix d’accepter le principe de deux  États nations pour deux peuples. Un État juif au côté d’un État arabe  palestinien. Cet “État juif” est mentionné dans la résolution 181 de  l’ONU depuis novembre 1947. Cet État fut rêvé par le peuple juif durant  des siècles. »
Si l’ambassadeur avait la moindre  notion d’histoire, il saurait que la revendication d’un État juif est  née au XIXe siècle et que jamais auparavant quiconque dans les  communautés juives n’avait songé à cet État (même si certains juifs  pieux allaient en Palestine pour y être enterrés). Il saurait aussi que  la grande majorité des juifs européens au XIXe et au XXe siècle, quand  ils ont pu choisir librement leur lieu d’émigration, se sont rendus aux  États-Unis. Et qu’il a fallu forcer les juifs soviétiques à se rendre en  Israël en leur fermant la porte du Nouveau Monde.
« Israël sera le premier à reconnaître  un État palestinien pacifique et progressiste. Mais qu’en est-il  aujourd’hui ? Nous n’avons pas même la certitude, ou plutôt nous n’avons  pour toute certitude que le refus constant de la part des Palestiniens  de la reconnaissance de l’État juif. »
Israël est-il un État pacifique et  progressiste lui-même ? Aucun État au Proche-Orient n’a déclenché  unilatéralement autant de guerres. Quant à son caractère progressiste,  on peut en douter quand on sait le poids des religieux, quand on voit  les lois liberticides adoptées ces dernières années et les  discriminations persistantes non seulement des Palestiniens d’Israël,  mais aussi des séfarades.
« Le fait que les Palestiniens aient  décidé de mettre un terme à des années de négociations, réclamant le  “droit au retour” de leurs réfugiés en Israël, ne peut que nous faire  douter davantage de leur volonté réelle de reconnaître Israël en tant  qu’État du peuple juif. Le droit au retour doit se faire, de la façon la  plus logique, la plus sensée, dans les frontières de l’État palestinien  nouvellement créé. Suivant la logique palestinienne, il y aurait donc  un nouvel État palestinien indépendant mais avec des réfugiés qui  viendraient s’installer dans cet “autre État”, Israël ? »
Le refus des Palestiniens de  reconnaître Israël comme État du peuple juif est non seulement important  pour les Palestiniens d’Israël, mais aussi pour les juifs du monde,  pour qui une telle reconnaissance serait une catastrophe (lire L’“État juif” contre les juifs).
Jamais les Palestiniens  n’ont renoncé à la résolution de décembre 1948 votée par l’Assemblée  générale de l’ONU, résolution régulièrement votée tous les ans. Et  rappelons qu’Israël, pour être admis à l’ONU, a reconnu ce texte à  l’époque. Les accords d’Oslo prévoyaient d’ailleurs que cette question  des réfugiés serait discutée dans la dernière phase des pourparlers.
« Les Palestiniens jouent aujourd’hui un  jeu dangereux. Ils attisent les attentes et les espoirs du peuple  palestinien, lui faisant croire à toutes sortes de mirages, dont celui  de l’ONU. A quoi ressemblerait le Moyen-Orient s’il devenait le terrain  de décisions unilatérales ? »
On croit rêver... Qui, sinon  Israël, a multiplié les décisions unilatérales et les faits accomplis au  Proche-Orient, de l’application de la loi israélienne au Golan à  l’annexion de Jérusalem, sans oublier la colonisation et... les  guerres ?
« Il existe un débat interne au sein du  gouvernement palestinien. De hauts responsables palestiniens sont  conscients que cette voie unilatérale n’est peut-être pas une option  souhaitable et doutent, comme de nombreux pays, de la sagesse de cette  initiative à l’ONU. La coopération sécuritaire et économique avec  Israël, qui a contribué à l’éclosion d’une économie prospère en  Cisjordanie ces dernières années, pourrait elle aussi être remise en  cause. »
Une économie prospère en  Cisjordanie ? L’ambassadeur n’y a sans doute jamais mis les pieds. Et la  prospérité factice de Ramallah ne peut cacher la misère des camps.
« Notre région vit une période d’espoir  et d’incertitude. L’enjeu devrait être pour nous tous de soutenir et de  renforcer les forces du progrès contre celles de l’intégrisme. Le  printemps arabe a dévoilé au monde la nature barbare des régimes de  Mouammar Kadhafi et de Bachar Al-Assad. Il a aussi présenté le visage de  cette jeunesse arabe, luttant avec un courage extraordinaire,  inimaginable, pour une vie meilleure et la liberté de mettre son dessein  en accord avec le destin de son pays. »
Et qui évoquera la barbarie de  l’assaut contre Gaza, des guerres israéliennes au Liban, de 1982 à  2006 ? Si c’est cela le visage du progrès, renonçons-y vite. Quant à la  jeunesse arabe, celle d’Égypte comme celle de Tunisie, elle lutte avec  courage, mais il suffit d’avoir été dans ces pays pour savoir que sa  solidarité avec les Palestiniens est entière et qu’elle n’y renoncera  pas.
« Une reconnaissance unilatérale n’est  rien de plus que le mirage d’une victoire diplomatique qui ne fera pas  avancer la paix mais au contraire n’aura pour résultat que de nous en  éloigner encore davantage. Le temps est facteur de risques dans notre  région. Revenir à la table des négociations, au plus tôt et sans  conditions préalables, devrait être la priorité absolue. »
Pour les Palestiniens, revenir à la table de négociations, sans conditions préalables,  c’est permettre à Israël de poursuivre la colonisation tout en faisant  semblant de négocier. C’est cela qui met en danger la paix dans la  région depuis des dizaines d’années.
Un mot en conclusion. Le  vrai problème, c’est que les négociations ne sont pas possibles tant que  le gouvernement israélien comme la communauté internationale n’auront  pas intégré ce fait : les deux parties en présence sont inégales ; l’une  est une puissance occupante et l’autre un peuple occupé.