Uri AvneryI - Counterpunch
          Mon héro de l’année (à ce stade) est un jeune réfugié  Palestinien aux cheveux noirs qui vit en Syrie et qui s’appelle Hassan  Hijazi.         
Hassa Hijazi a fait voler en éclats tout le grotesque de la prétention sioniste sur la Palestine
Il faisait partie des centaines de réfugiés qui ont  manifesté du côté syrien de la frontière du Golan pour commémorer la  Nakba (la catastrophe) qu’a été l’exode de plus de la moitié du peuple  palestinien du territoire conquis par Israël pendant la guerre de 1948.  Quelques uns de ces manifestants ont escaladé les clôtures et ont  traversé un champ de mines. Heureusement aucune n’a explosé, peut-être qu’elles étaient trop vieilles.
Ils sont entrés dans le village druze de Majdal Shams  occupé par Israël depuis 1967 et s’y sont dispersés. Les soldats  israéliens ont tiré et tué et blessé plusieurs d’entre eux. Les autres  ont été attrapés et immédiatement déportés vers la Syrie.
Sauf Haasan. Il a rencontré un bus transportant des  militants de la paix israéliens et internationaux qui l’ont emmené avec  eux ; Peut-être qu’ils savaient d’où il venait, peut-être qu’ils ne le savaient pas. Il n’a pas le type arabe.
Il est descendu près de Tel Aviv. Il a continué son  voyage en auto-stop et est arrivé à Jaffa, la ville d’où venait son  grand-père.
Et là, sans argent et sans connaître personne, il a essayé de retrouver la maison de sa famille. Il n’y est pas arrivé, l’endroit avait trop changé.
Finalement il a réussi à contacter un journaliste de la  télévision israélienne qui l’a aidé à se rendre à la police et il a été  déporté en Syrie.
Un exploit tout à fait remarquable.
* * * * * * * * * * * *
Le fait que les réfugiés aient traversé la frontière a causé une quasi panique en Israël.
Il y a eu d’abord les récrimination habituelles.  Pourquoi l’armée ne s’était-elle pas préparée à cette éventualité ? Qui  était responsable, le commandement du nord ou les renseignements  militaires ?
Derrière toute cette agitation se profile le cauchemar  qui hante Israël depuis 1948 : et si les 750 000 réfugiés et leurs  descendants, environ 5 millions aujourd’hui, marchaient un jour vers les  frontières d’Israël du nord de l’est et du sud, brisaient les clôtures  et inondaient le pays. Ce cauchemar est le miroir du rêve des réfugiés.
Pendant les premières années  d’Israël, ça a été un cauchemar épouvantable. Le jour de sa création,  il y avait 650 000 Juifs en Israël. Le retour des réfugiés aurait donc  submergé le jeune état israélien. Plus tard, avec 6 millions de citoyens  juifs, cette peur est passé à l’arrière-plan mais elle est toujours là.  Les psychologues diraient qu’elle est l’écho de la culpabilité refoulée  de la psyché nationale.
* * * * * * * * * * * *
Cette semaine la scène s’est répétée. Les Palestiniens  réfugiés dans les pays qui entourent Israël ont institué le 5 juin "jour  de la Naksa" pour commémorer le "revers" de 1967 quand Israël a  spectaculairement écrasé les armées d’Egypte, de Syrie et de Jordanie  renforcées par des troupes iraquiennes et saoudiennes.
Cette fois les israéliens étaient prêts. La clôture a  été renforcée et un fossé anti-char a été creusé devant. Quand les  manifestants ont essayé d’atteindre la clôture -à nouveau près de Majdal Shams  - des tireurs d’élites leur ont tiré dessus, faisant 22 morts et des  dizaines de blessés. Les Palestiniens ont dit que des personnes qui  essayaient d’aider les blessés et de les  ramasser ont aussi été tuées.
Il s’agissait sans aucun doute  d’une tactique délibérée et décidée à l’avance par le commandement de  l’armée après le fiasco du jour de la Nakba et approuvée par Binyamin  Netanyahu et Ehud Barak. Comme cela a été dit ouvertement, il fallait  donner aux Palestiniens une leçon qu’ils n’oublieraient pas afin de leur  enlever toute velléité d’organiser des actions pacifiques de masse.
Cela rappelle dangereusement ce qui s’est passé il y a  dix ans. Après la première intifada, pendant laquelle des adolescents et  des enfants qui lançaient des pierres avaient obtenu une victoire  morale qui a mené aux accords d’Oslo, notre armée s’est entraînée en vue  d’une seconde intifada. Elle a éclaté après le désastre politique de  Camp David et l’armée était prête.
La nouvelle intifada a commencé avec des manifestations  de masse de Palestiniens désarmés. Ils furent accueillis par des tireurs  d’élite spécialement entraînés. A côté de chaque tireur d’élite il y  avait un officier qui lui désignait les gens sur lesquels il fallait  tirer parce qu’ils avaient l’air d’être des meneurs : "Le gars avec la  chemise rouge... Maintenant le garçon au pantalon bleu..."
Les manifestations pacifiques se tarirent et furent  remplacées par des attentats suicide, par des bombes sur le bord des  routes et autres actes "terroristes". Avec ce genre d’opérations notre  armée se sentait en terrain familier.
J’ai bien peur que nous ne soyons en train de revivre la même chose. Des tireurs d’élite spécialement entraînés opérent sous les ordres d’officiers.
Il y a pourtant une différence. En 2001 on nous a  raconté que nos soldats tiraient en l’air. Maintenant on nous dit qu’ils  visent les jambes des Arabes. Autrefois, semble-t-il, les Palestiniens  devaient sauter très haut pour se faire tuer, aujourd’hui ils n’ont qu’à  se baisser.
* * * * * * * * * * * *
Tout cela n’est pas seulement meurtrier c’est aussi complètement idiot.
Cela fait maintenant des dizaines d’années que les  territoires occupés en 1967 sont au coeur de tous les pourparlers de  paix. Le président Mahmoud Abbas,  le président Barack Obama et le mouvement israélien pour la paix  parlent tous des "frontières de 1967." Quand mes amis et moi avons  commencé (en 1949) à parler de la solution de deux états, nous ausi nous  voulions parler de ces frontières-là. (Les "frontières de 1967" sont en  fait simplement la ligne d’armistice de la guerre de 1948).
La plupart des gens, même dans le mouvement israélien  pour la paix, ont complètement laissé de côté la question des réfugiés.  Ils se maintenaient dans l’illusion que ce problème avait disparu ou en  tous cas disparaîtrait quand la paix serait signée entre Israël et  l’Autorité Palestinienne. J’ai toujours dit à mes amis que ce ne se  passerait pas ainsi -on ne peut tout simplement pas balayer de la sorte 5  millions d’êtres humains. Cela ne sert à rien de faire la paix avec la  moitié du peuple palestinien tout en ignorant l’autre moitié. Cela  n’amènera pas "la fin du conflit" quelque soit la teneur de l’accord  conclu.
Mais après des années de discussions, la plupart à huis  clos, on est arrivé à un consensus. Presque tous les leaders  palestiniens ont accepté, explicitement ou implicitement, ce qu’on a  convenu d’appeler : "une solution négociée juste du problème des  réfugiés." - ce qui fait que la solution doit être approuvée par Israël.  J’en ai souvent parlé avec Yasser Arafat, Faisal al-Husseini et  d’autres.
En pratique cela signifie qu’un nombre symbolique de  réfugiés sera autorisé à rentrer en Israël (le nombre exact sera  négocié) et les autres seront rapatriés dans l’état palestinien (qui  doit être assez grand et viable pour que cela soit possible) ou  recevront une généreuse indemnisation qui leur permettra de commencer  une nouvelle vie là où ils vivent ou ailleurs.
Pour que cette solution pénible et compliquée soit plus  facile à élaborer, tout le monde a convenu qu’il serait préférable d’en  discuter à la fin des pourparlers de paix, lorsque les partenaires  auraient une plus grande confiance mutuelle et que l’atmosphère serait  plus détendue.
Et voilà notre gouvernement qui essaie de résoudre le  problème avec des tireurs d’élite -et pas même en dernier ressort mais  d’entrée de jeu. Au lieu de contrer les manifestants avec des méthodes  pacifiques efficaces, ils tuent des gens. Cela ne fera bien sûr  qu’intensifier la protestation, mobiliser des quantités de réfugiés et  mettre le "problème des réfugiés" sur la table, et même carrément au centre de la table, avant que les négociations n’aient même commencé.
 En d’autres termes, le conflit est ramené de 1967 à  1948. Pour Hassan Hijazi, le petit fils d’un réfugié de Jaffa, c’est une  grande victoire.
Rien ne pouvait être plus idiot que ce que Netanyahu et Cie ont fait.
A moins bien sûr, qu’ils ne l’aient fait exprès, dans le but de rendre les négociations de paix impossibles.
* Uri Avnery est un écrivain israélien et un militant pour la paix de Gush Shalom. Il a contribué au livre de CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism.
10 mai 2011 -  CounterPunch - Pour consulter l’original : 
http://www.counterpunch.org/avnery0...Traduction : Dominique Muselet
Lien