Avicenne *
Au Moyen Orient, les révolutions arabes ont changé la donne du conflit
Le réveil arabe, depuis la  chute des régimes tunisien et égyptien, a créé une nouvelle situation  dans toute la région, et au-delà s’inscrit dans des mutations profondes  de l’ordre international. Les suites de ces mouvements sont encore  difficiles à prévoir, mais ils ont déjà changé la donne sur la Palestine : des gouvernements arabes plus démocratiques devront tenir compte de la solidarité de leurs peuples avec cette cause.
La création d’un gouvernement d’union nationale  palestinien, même s’il ne met pas fin à la division de fait entre Gaza  et la Cisjordanie, n’aurait pas été possible sans le rôle nouveau de  l’Egypte. S’il est peu probable qu’il remette en cause le traité de paix  signé avec Israël, plusieurs éléments sont à souligner : les nouvelles  orientations de la diplomatie du Caire, notamment à l’égard de l’Iran ;  le rapprochement avec le Hamas ; la levée annoncée du blocus de Gaza ; la remise en cause du prix du gaz égyptien livré à Israël.
Le gouvernement d’unité nationale palestinien, composé  de techniciens ou d’indépendants, ne change la donne diplomatique que  marginalement : conformément aux accords d’Oslo, les négociations de  paix ne se déroulent pas entre le gouvernement israélien et le  gouvernement palestinien, mais entre le premier et l’Organisation de  libération de la Palestine (OLP) dirigée par Mahmoud Abbas.
Mais l’échéance décisive est le mois de septembre avec  la volonté palestinienne de demander une reconnaissance de l’Etat  palestinien par l’Assemblée générale des Nations unies. Dans ce nouveau  contexte, que peut faire la France ? Le blocage du processus de paix a  amené le président de la République à déclarer, dans un entretien à  L’Express (4 mai) : " Si le processus de paix reprend durant l’été, la  France dira qu’il faut laisser les protagonistes discuter sans bousculer  le calendrier. Si, à l’inverse, le processus de paix est toujours au  point mort en septembre, la France prendra ses responsabilités sur la  question centrale de la reconnaissance de l’Etat palestinien. "
Cet Etat palestinien, selon le FMI et la Banque  mondiale, est déjà virtuel. Le FMI estime en particulier que l’Autorité  palestinienne " est maintenant capable de conduire la politique  économique saine que l’on attend d’un futur Etat palestinien ".
Dans ce contexte de transformation de la situation  régionale, les autorités israéliennes semblent frappées de stupeur, se  réfugient dans une attitude attentiste et peinent à prendre une  décision. L’hypothèse la plus probable est donc celle de la  reconnaissance par les Nations unies d’un Etat palestinien en septembre,  avec l’appui de certains pays européens.
Il faut cependant s’interroger sur l’après-résolution :  si l’Assemblée générale des Nations unies vote à une écrasante majorité  la reconnaissance de l’Etat palestinien et si la France s’associe à ce  vote, que se passera-t-il ? Que devons-nous faire, notamment si les  Etats-Unis, lors du passage nécessaire au Conseil de sécurité pour  l’admission d’un nouveau membre, imposent leur veto, comme l’a laissé  entendre le président Obama dans son discours du 19 mai ? Une initiative  pourrait être prise pour que l’Etat palestinien devienne au moins  observateur aux Nations unies en lieu et place de l’OLP qui l’est  aujourd’hui.
L’Etat palestinien pourrait aussi devenir membre des  institutions spécialisées constituant la famille des Nations unies. La  France pourrait participer aux démarches en ce sens et ce serait  l’occasion de reconstituer un axe Paris-Le Caire, qui pourrait être  porteur pour toute la Méditerranée.
D’autre part, la reconnaissance par Paris de l’Etat palestinien dans les frontières de juin  1967 aurait plusieurs conséquences : ouverture d’une véritable  ambassade à Paris ; ouverture d’une ambassade française dans le nouvel  Etat reconnu et envoi d’un ambassadeur accrédité ; reconnaissance d’un  passeport palestinien ; décision que tous les citoyens résidant sur ce  territoire et ne disposant pas de passeport européen sont tenus à  demander des visas (ce qui inclut les colons installés sur ces  territoires).
Enfin, n’est-il pas temps de poser le principe de "  responsabilité de protéger " qu’a la communauté internationale par  rapport aux Palestiniens ?
La nouvelle configuration palestinienne pose, une fois de plus, la question de la place du Hamas. Paris pourrait s’en saisir pour commencer un dialogue avec le Hamas,  non pas en renonçant aux conditions posées par le Quartet (Etats-Unis,  Union européenne, Russie et Nations unies) mais en faisant un point  d’arrivée et non de départ de la négociation.
Sur le plan européen, la France pourrait porter le  projet de reconnaissance de l’Etat palestinien. En mars 1999, réunis à  Berlin, les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’Union  européenne affirmaient déjà " le droit permanent et sans  restriction des Palestiniens à l’autodétermination, incluant la  possibilité d’un Etat ". Il est temps de passer à l’étape de la  reconnaissance formelle prévue il y a plus de dix ans.
Aucune solution durable n’est possible sans les  Etats-Unis : ceux-ci viennent de rappeler, à travers le discours du  président Obama du 19 mai, leur volonté de favoriser une " paix durable  ". Mais ils sont freinés par des considérations intérieures et une  démarche européenne pourrait les pousser dans la bonne direction. Il  faut rappeler que ce sont la France et la Communauté européenne, qui, à  partir de 1980 et de la déclaration de Venise, ont poussé l’idée de  négociations avec l’OLP et de reconnaissance des droits nationaux du  peuple palestinien, deux principes, qui, à l’époque, étaient anathèmes  pour les Etats-Unis et Israël. Les accords d’Oslo auraient-ils pu être  signés si l’Europe n’avait pas joué ce rôle de défricheur ?
L’Union européenne devrait aussi, conformément aux  arrêts de la Cour européenne, renforcer le contrôle pour tracer  l’origine des produits israéliens exportés et interdire la vente de ceux  provenant des territoires occupés.
En Israël même, on semble assister à un certain  mouvement de l’opinion. Des personnalités pour la plupart issues du  Mossad, du Shin Beth, de l’armée et du monde des affaires ont rendu  publique une initiative de paix israélienne, en faveur de la création  d’un Etat palestinien à côté de celui d’Israël. Cette initiative a été  suivie d’une pétition dans le même sens, signée par une soixantaine de  personnalités, dont dix-sept lauréats du prix d’Israël.
Paris et l’Union européenne pourraient encourager ces  évolutions, notamment en réaffirmant leur volonté de participer au  système de garanties internationales à mettre en place. La tenue d’une  conférence internationale, qui pourrait débloquer, si nécessaire, les  négociations et ratifierait un accord israélo-palestinien en présence  des chefs d’Etat et de gouvernement, notamment arabe et israélien, et  l’ouverture simultanée d’ambassades arabes en Israël, pourraient être un  signe fort.
* Groupe de réflexion qui réunit
des chercheurs, des diplomates
et des journalistes de sensibilités différentes, qui s’intéressent
au Maghreb et au Moyen-Orient.
Parmi ses participants, on peut citer, notamment, Joseph  Bahout, Denis Bauchard, Alain Gresh, Bassma Kodmani, Patrick Leclercq,  Agnès Levallois, Jean-Pierre Séréni.
Un rapport intitulé " Maghreb Moyen-Orient, contribution  pour une politique volontariste de la France " avait été diffusé, en  avril 2007, à la veille de l’élection présidentielle.
publié pa http://www.lemonde.fr/idees/article...