Une Lettre ouverte à Alain Juppé, Ministre Français des Affaires étrangères
Par Schlomo Sand, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv (Israël).
Je m’adresse à vous en tant que citoyen israélien mais aussi en  tant qu’historien qui enseigne à Tel-Aviv et a eu la chance d’accéder  aux études supérieures en France. Ces données biographiques sont en  rapport avec le sujet sur lequel je souhaiterais attirer votre  attention.
La France va se trouver, très prochainement, face à une décision  majeure pour l’avenir du Moyen-Orient. En septembre prochain, à l’ONU,  elle aura à statuer sur la création et la reconnaissance d’un État  palestinien aux côtés de l’État d’Israël. En tant qu’Israélien, j’espère  vivement que la France optera sans équivoque pour la reconnaissance et  la création de cet État, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est  comme capitale. Je suis certain que l’avenir d’Israël dépendra d’une  évolution positive en ce sens.
Cette décision devrait, normalement, être adoptée sans difficulté et  ne poser aucun problème, si nous n’étions dans une situation  internationale étrange où presque tout le monde se déclare prêt à  accéder au droit des Palestiniens à disposer d’un État souverain. Même  Benyamin Netanyahou, le chef du gouvernement israélien, après de  nombreuses années de refus, s’est dit prêt à reconnaître ce droit à  l’autodétermination. Cependant, en poursuivant une politique de  colonisation dans les territoires occupés, son intention est évidente :  n’accorder aux Palestiniens qu’un État lilliputien, entouré de  territoires placés sous domination israélienne, de sorte que ledit État  s’apparenterait plutôt à une réserve indienne. D’aucuns diront que le  principe importe avant tout.
S’agissant de principes, Benyamin Netanyahou, en ajoute un autre : il  exige que les Palestiniens reconnaissent Israël comme État juif.  Je crains que beaucoup, en France, n’aient pas perçu la signification  d’une telle exigence et la considèrent comme légitime. Imaginez,  cependant, que Nicolas Sarkozy exige de la communauté internationale la  reconnaissance de la France en tant qu’État gallo-catholique,  c’est-à-dire ethnoreligieux, et non plus comme la République française,  celle de l’ensemble des Françaises et des Français ; je suis sûr  qu’alors le plus grand nombre comprendrait ce dont il s’agit et le  réprouverait, sans qu’il soit utile d’ajouter quelque explication.
Aucun dirigeant palestinien respectable ne pourra reconnaître Israël comme État juif  et hypothéquer, par là même, les droits fondamentaux des Israéliens  arabes ainsi que leur revendication d’une pleine égalité civique et  politique. Comme l’on sait, un quart de la population en Israël n’est  pas considérée comme juive par le ministère de l’Intérieur, et ne  dispose d’aucun pouvoir sur la définition de son identité.
Le principe de l’État juif implique, effectivement, que cet État  n’est pas celui de tout(e)s les Israéliennes et Israéliens qui vivent  sur son territoire, bien qu’ils en soient des citoyens et disposent du  droit de vote. Le principe de l’État juif tend à signifier que celui-ci  est, avant tout, l’apanage historique des communautés juives dans le  monde. Il suffit, en effet, qu’un juif foule du pied le sol de l’État d’Israël pour bénéficier automatiquement du droit d’en devenir citoyen.
Serait-il exagéré, en ce début du XXIe siècle, de revendiquer pour l’Israélien arabe, un statut identique à celui du Français juif  ? En tant qu’historien façonné par l’héritage républicain selon lequel  l’État appartient à tous ses citoyens, ce qui le caractérise comme  démocratique, je m’adresse à vous, Monsieur le ministre des Affaires  étrangères, pour que l’exigence de Netanyahou soit clairement rejetée.  L’avenir d’un État communautaire qui s’aliénerait une grande partie de  ses citoyens n’est rien moins qu’assuré ! De même que le futur d’Israël  dépendra de la création, à ses côtés, d’un État palestinien, la  reconnaissance d’Israël comme État de tous ses citoyens constitue une  garantie pour sa sécurité et sa pérennité.