Raji Sourani
Le  PCHR représente plus de 1 000 victimes de l’Opération Plomb Durci.  Ces  personnes, qui ont réellement souffert de l’ensemble du spectre des  violations de leurs droits – des meurtres ou blessures sauvages aux  destructions de leurs maisons ou lieux de travail –ont le droit à la justice.
Sans justice, qu’avons nous pour empêcher que ce qui s’est passé à Gaza ne survienne de nouveau ?
Toute la réalité de la vie  dans la Bande de Gaza est difficile à transmettre. Partout dans le  monde, chacun a vu les photos, les images : combats et mutilation,  attaques aériennes et bombardements au sol, et l’horrible spectacle,  ineffaçable dans nos mémoires, du phosphore blanc pleuvant sur la ville  de Gaza. Cependant, derrière ces images, se trouve une réalité complexe.  Les habitants de Gaza vivent sous occupation depuis plus de 40 ans. Ils  subissent une punition collective depuis le 15 juin 2007, coupés du  monde extérieur depuis 1 285 jours consécutifs (15 juin – 20 décembre).  La violation constante de la législation internationale des droits de  l’Homme a installé une pauvreté abjecte, et a transformé environ 1,7  million de personnes en « bénéficiaires » de l’aide internationale,  contraints à la dépendance dans une crise humanitaire crée par l’Homme,  et parfaitement évitable.
La législation internationale pour les droits de l’Homme, et le droit  humanitaire international permettent d’assurer à chaque individu les  protections essentielles sur la base de leur humanité commune.  Cependant, pour qu’elles aient un sens, ces lois doivent être  contraignantes.
C’est une composante de base : dans le cadre d’une  infraction, l’établissement d’un rapport et le recours judiciaire sont   des suites primordiales. Le droit international coutumier, liant tous  les Etats, reconnaît que ces rapports doivent être instruits en  responsabilité pénale, grâce à des enquêtes et des poursuites, et en  responsabilité civile, par le versement d’indemnités.
C’est pour ce droit à compensation financière que le  PCHR se bat aujourd’hui.  Dans le climat actuel, étant donné la  partialité au sein du système judiciaire israélien , l’indemnisation est  un des seuls espoirs pour arriver à une forme de justice. D’une grande  importance, cette indemnisation, bien qu’insignifiante en  comparaison  des pertes endurées, est essentielle pour les victimes qui tentent de  reconstruire leurs vies et leurs maisons.
Ce droit est complètement nié par les autorités israéliennes.
Israël impose un délai de prescription de 2 ans pour le  dépôt de plaintes civiles. Vu le nombre de violations commises dans le  seul cadre de l’offensive sur la Bande de Gaza entre le 27 décembre 2008  et le 18 janvier 2009 (opération plomb durci), ceci devient une charge  insurmontable pour les représentants juridiques des victimes. Jusqu’à la  deuxième intifada, le délai de prescription était de 7 ans.
Ensuite, et comme une exigence qui enfonce le dernier clou dans le cercueil  du respect du droit à réparation, le tribunal impose une taxe (ou  caution) à chaque requérant, avant qu’un dossier puisse passer. Il n’y a  pas de montant fixe pour cette taxe, elle est laissée à l’appréciation de la cour.  Néanmoins, elle représente un obstacle financier significatif,  généralement supérieur à 10 000 shekels, et souvent beaucoup plus. Dans  un dossier présenté par le PCHR, les requérants se sont vus demander de  payer 20 000 shekels pour chacune des cinq personnes décédées  mentionnées dans le dossier. Ce qui produit ce scénario bizarre, mais  trop réel, selon lequel plus l’infraction est grave, plus l’obstacle  financier est élevé. Les victimes palestiniennes sont tout simplement  dans l’impossibilité de réunir de telles sommes d’argent, et on leur  balance le dossier ainsi clos à la figure. Cette taxe est complètement  discrétionnaire. Elle n’est pas obligatoire. Dans la pratique, elle est  toujours demandée aux plaignants palestiniens.
En plus de tout ça, il y a la réalité du bouclage. Nos  avocats au PCHR ne peuvent se rendre en Israël pour représenter nos  clients, nous sommes donc contraints de traiter avec des avocats en  Israël. Pourtant, ces avocats ne peuvent non plus venir à Gaza pour  rencontrer les clients, et les clients ne peuvent aller en Israël pour  les rencontrer. De plus, depuis juin 2007, l’administration militaire  israélienne  a refusé le droit aux Palestiniens concernés par une affaire civile de se présenter au tribunal, malgré la délivrance d’un mandat du tribunal. Cela a pour conséquence la révocation effective des dossiers, et le complet déni de justice .
PCHR représente plus de 1 000 victimes de l’Opération  Plomb Durci. Les quelques 500 dossiers rédigés en leur nom constituent  l’écrasante majorité des dossiers établis suite à l’Opération Plomb  Durci. Ces personnes, qui ont réellement souffert de l’ensemble du  spectre des violations de leurs droits – des meurtres ou blessures  sauvages aux destructions de leurs maisons ou lieux de travail –ont le droit à la justice. Ils méritent d’être entendus par un tribunal.
Depuis mars 2009, date à laquelle la dernière notification a été soumise au Ministère de la Défense, nous avons  été systématiquement ignorés. Malgré la réitération de nos demandes, le  PCHR  n’a reçu que des réponses interlocutoires –sans aucune  information- en ce qui concerne 23 dossiers.
Le 20 décembre, Le PCHR et l’avocat Michael Sfard, ont déposé une requête auprès de la Haute Cour  de Justice Israélienne, demandant que les droits de ces victimes à un  recours juridictionnel soit confirmé. Notre requête est simple : que le  délai de prescription soit différé, que les victimes de l’Opération  Plomb Durci bénéficient au moins de la possibilité de présenter leur  dossier devant un tribunal [1].
Si la cour rejette ce postulat, cela fermera  la porte de la justice pour toutes les victimes de l’Opération Plomb Durci.
La primauté du droit est une chose que nous respectons  et qui nous est chère. Mais c’est une vérité qui va de soi qu’afin  d’être pertinente, la loi  doit être contraignante. L’absence de justice a pour résultat la  désastreuse situation à laquelle nous faisons face aujourd’hui, par la  violation systématique des droits humains fondamentaux, et par  l’enfermement de la Bande de Gaza. Sans justice, qu’avons nous pour empêcher que ce qui s’est passé à Gaza ne survienne de nouveau ?
Derrière les portes fermées de la Bande de Gaza, c’est  notre humanité partagée qui nous garde reliés au monde extérieur. Nous  demandons que nos droits humains soient respectés et protégés. Nous  demandons que la communauté internationale ne reste plus silencieuse,  qu’elle exerce son influence au nom des libertés fondamentales et de la  justice.
[1] voir aussi en anglais http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Raji Sourani est le directeur du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme. Il a reçu le prix Robert F. Kennedy pour les Drots de l’Homme, et il a été deux fois déclaré « Prisonnier de conscience » par Amnesty International ».  Il est actuellement Vice-Président de la Fédération Internationale des  Droits de l’homme (FIDH) Paris, et participe au comité exécutif  de la  Commission Internationale des Juristes (ICJ) Genève.
traduction : Marie-Josée Simon
Intro et ajout de note : CL, Afps