Jonathan Lis - Ha’aretz
Le député Tibi, vice-président de la Knesset, considéré comme un proche de l’équipe actuelle des négociateurs de l’Autorité palestinienne dans les pourparlers de paix, se dit pessimiste à propos de Netanyahu et du processus de paix.
Le vice-président de la Knesset, le député Ahmed Tibi (Ta’al - Mouvement arabe pour le renouveau), qui fut autrefois conseiller du président de l’Autorité palestinienne Yasser Arafat, a fait partie de la délégation palestinienne pour le sommet de Wye Plantation en 1998 ; il est considéré comme un proche de l’équipe des négociateurs palestiniens actuellement en discussions directes.
Monsieur le député Ahmed Tibi, pensez-vous que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a changé et qu’il projette vraiment d’avancer dans les négociations avec les Palestiniens et de prendre des décisions audacieuses ?
« Dans les conflits nationaux, il n’y a pas d’anges, mais des victimes. Le peuple qui est sous occupation est la victime. »
Je ne vois aucun signe qui montre que Netanyahu a changé. Par conséquent, il n’y a pas à attendre de progrès dans le processus de paix, du moins à mon avis. Il y a trois raisons à mon pessimisme : ses positons en matière de diplomatie, la droite et la composition très extrémiste de son gouvernement, et l’inaction du côté de l’administration américaine. Pour pouvoir juger qu’il y a changement, il aurait fallu une évolution radicale chez Netanyahu et dans son entourage, que les Etats-Unis soient sortis du rôle qu’ils jouent en vain depuis 17 ans et qu’ils commencent à utiliser leur statut et leur influence de plus grande puissance du monde pour conduire à un accord diplomatique au Moyen-Orient. La preuve en est l’échec des efforts américains à réaliser un accord israélo-palestinien.
Le problème est-il avec le gouvernement de droite de Netanyahu ?
Au moment du sommet d’Annapolis (novembre 2007), j’avais dit déjà que c’était une conférence pour rien, alors que le monde entier se répandait en euphorie. Aujourd’hui, Netanyahu dit, « Donnez-moi une chance ». Mais il a eu toutes les chances dans le passé et on en connaît le résultat. Netanyahu est à la tête d’une coalition encore plus à droite et nous allons bien voir ce qui va résulter quand il entamera les pourparlers sur l’avenir de Jérusalem. Ensuite, nous entendrons la position du ministre le plus à l’extrême droite, Eli Yishai (Intérieur), et non Avigdor Lieberman (Affaires étrangères), quand d’autres questions sensibles seront soulevées. Netanyahu a la possibilité de changer la composition de sa coalition mais quelles garanties offrirait une équipe Netanyahu-(Tzipi) Livni pour un accord diplomatique ? quand un gouvernement uniquement Kadima n’est, après tout, jamais parvenu à un accord.
L’Autorité palestinienne sera-t-elle en mesure de justifier sa propre existence si les négociations actuelles échouent ?
Si les négociations ne réussissent pas, et que le Conseil de sécurité (des Nations-Unies) n’impose pas un accord comprenant la reconnaissance de la création d’un Etat palestinien, alors il est possible que l’Autorité palestinienne soit devenue inutile. Et le monde sera confronté une fois encore à la réalité de l’occupant et de l’occupé, sans l’Autorité palestinienne comme élément médiateur. Bien sûr, je ne fais là que vous donner mon opinion, je ne parle pas au nom de quelqu’un d’autre.
On a dit que la proposition de l’ancien Premier ministre Ehud Omert avait été généreuse mais que le président Mahmoud Abbas (Abu Mazen) s’était montré inflexible et avait refusé le compromis.
La vérité est que le maximum qu’avait proposé Olmert alors n’arrivait pas au minimum qu’Abu Mazen et l’Organisation de la libération de la Palestine (OLP) pouvaient accepter. Cela est encore plus vrai avec Netanyahu. Je ne vois aucun dirigeant palestinien signer un accord définitif qui ne comprendrait ni la souveraineté dans Jérusalem-Est, avec les lieux saints et Al Aqsa, ni un retour de territoire de 6 235 km², correspondant à la surface totale de la Cisjordanie. Je pense que la proposition de Netanyahu ne vise pas à mettre fin à l’occupation, mais au contraire, à la réaménager.
Certains ont qualifié l’intervention de Netanyahu à Washington de « Rabinesque ». Quel est votre avis ?
Ce ne fut certes pas un discours à la Netanyahu, mais 17 ans après le début du film, on voit qu’il se termine toujours de la même manière. Netanyahu peut modifier le script et aussi Barack Obama. Mais il faut qu’Obama mette une pression sans précédent sur le gouvernement d’Israël et le place devant une option unique : la fin de l’occupation en échange d’un autre avenir. Outre que la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël est la réalisation du droit légitime du peuple palestinien à l’autodétermination, elle est devenue vitale pour tout le monde, y compris pour Israël. Parce qu’il y a deux options : l’option deux Etats que soutient la communauté internationale, et dans les deux populations une majorité y est favorable, et l’option pour un Etat unique, ce qui à ce stade est un cauchemar pour un certain nombre d’Israéliens. Mais je commence à entendre de plus en plus de voix dans la droite israélienne visant à quelque chose de semblable... C’est devenu comme à la mode en ce moment chez les colons Yesha et dans la droite israélienne. Cependant, le monde n’accepterait pas un statu quo qui signifierait plus d’apartheid dans les territoires occupés. Et cela beaucoup plus encore depuis la guerre contre Gaza et les crimes qui furent commis durant cette guerre et qui se sont poursuivis contre la flottille turque.
Vous ne dirigez aucune critique vers l’Autorité palestinienne et le monde arabe dans les négociations.
Les Arabes ont fait un pas historique, sans précédent, vers l’Etat d’Israël dans une proposition qui fut écartée avec arrogance par Israël : l’initiative de paix arabe. Il s’agit d’une proposition pour une paix totale en échange d’un retrait total. Pouvait-on imaginer il y a vingt ans, qu’une proposition comme celle-ci survienne ? Soit les Israéliens ne l’ont pas examinée en profondeur, soit elle est une preuve de plus de leur rapport aux négociations. Ils auraient dû se saisir de la proposition de la Ligue arabe des deux mains et se tourner vers un autre avenir. Ils ont fait le contraire. Dans les conflits nationaux, il n’y a pas d’anges, mais des victimes. Le peuple qui est sous occupation est la victime.
Dans quelle mesure ce que vous dites représente la direction palestinienne ? L’équipe de négociation palestinienne ?
Je suis en contact avec la direction palestinienne et les différentes factions palestiniennes. Ce que je décris représente fidèlement l’état d’esprit palestinien. Cette série de négociations, sur lesquelles je ne fonde aucun espoir, sera la dernière. L’échec de ces négociations risque de conduire à des conséquences très dures et à une flambée de violence, et c’est ce qui m’inquiète énormément.
Pourquoi l’Autorité palestinienne refuse-t-elle de reconnaître l’identité juive de l’Etat d’Israël ?
La première personne à avoir posé cette exigence est Tzipi Livni, avant le sommet d’Annapolis. Il est étrange qu’un Etat demande à d’autres Etats, ou à des personnalités, de reconnaître son identité d’une façon aussi spécifique. Abu Mazen m’a dit qu’il ne reconnaîtrait jamais cette formulation. Je représente une position différente, où Israël doit devenir le pays de toutes ses nationalités. Un pays pour tous ses citoyens est refusé à la minorité arabe en Israël, parce que celle-ci n’a pas les droits collectifs que doit avoir toute minorité nationale.
7 septembre 2010 - Ha’aretz - Photo : Emi Salman - traduction : JPP