Ghislain Poissonnier et Pierre Osseland,
A  l’heure où le moratoire temporaire sur la construction de nouvelles  colonies en Cisjordanie décidé par le gouvernement Nétanyahou s’approche  de son terme, quelle doit être la position de la France face à la  politique de colonisation israélienne ?
Un bref retour en arrière  s’impose. Depuis 1967, les gouvernements israéliens successifs se sont  engagés, avec une intensité toutefois variable, dans une politique  visant à installer des citoyens israéliens en Cisjordanie et à  Jérusalem-Est. Ils ont constamment soutenu et financé l’établissement  d’implantations dans les territoires palestiniens occupés. Cette  politique n’a jamais cessé, y compris lors de l’engagement du processus  de paix au début des années 1990. En 1987, près de 50 000 colons  résidaient en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. En 2010, environ 500 000 y  vivent, aux côtés de 2,2 millions de Palestiniens. La population des  colonies israéliennes continue de croître d’environ 4 % à 6 % chaque  année.
Le moratoire temporaire décidé, sous pression  américaine, pour une durée de 6 mois par le gouvernement Nétanyahou  n’est que partiel : il ne concerne ni la croissance dite naturelle de la  population des colonies, ni Jérusalem-Est, ni les implantations  sauvages qui continuent à se développer en toute impunité.
Pourtant, l’illégalité en droit international des  implantations israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ne fait  aucun doute. Elle a été clairement énoncée par la Cour internationale de  justice de La Haye dans un avis rendu en 2004. Tous les juristes (y  compris aux Etats-Unis) s’accordent à dire que ces colonies israéliennes  sont construites en violation des règles de droit international  humanitaire. L’article 49 § 6 de la IVe Convention de Genève de 1949  relative à la protection de la population civile en période de conflit  armé (ratifiée par l’Etat d’Israël) interdit, en effet, à la puissance  occupante de "procéder au transfert d’une partie de sa propre population  civile dans le territoire occupé par elle". Cet article a été adopté en  vue de préserver la configuration géographique, démographique,  économique et sociale d’un territoire occupé. Le transfert d’une partie  de sa population civile par la puissance occupante constitue une  "infraction grave" aux Conventions de Genève. Des textes plus récents,  comme le Protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la  protection des victimes des conflits armés internationaux de 1977 et le  statut de la Cour pénale internationale de 1998 (deux textes non  ratifiés par l’Etat d’Israël), font d’ailleurs de cette infraction un  crime de guerre.
L’ensemble de la communauté internationale présente une  rare unanimité sur le sujet. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée  générale des Nations unies, ont à de nombreuses reprises, condamné la  colonisation dans les territoires palestiniens et demandé à l’Etat  d’Israël de démanteler les implantations. Le Conseil de l’Europe et  l’Union européenne ont fait de même. La plupart des Etats de l’Union  européenne et même les Etats-Unis ont formulé des positions identiques.  Tous reconnaissent, en outre, que la politique de colonisation génère,  par ses conséquences sur la population palestinienne, de nouvelles  violations du droit international mises en évidence par l’ONU, le Comité  international de la Croix-Rouge et des ONG israéliennes : atteintes au  droit de propriété, au droit au travail, à la liberté de mouvement, à la  liberté de culte, à l’accès aux ressources naturelles, au droit à la  sûreté. Tous soulignent également qu’elle constitue un obstacle majeur à  un processus de paix crédible dans la région et qu’elle mine les  fondements d’un futur Etat palestinien.
En réalité, au-delà des discours et des vœux pieux, l’engagement des Etats, y compris celui de la France, demeure faible.
Pourtant, des mesures concrètes sont exigées par le  droit international. En vertu de l’article Ier de la IVe Convention de  Genève, chaque Etat partie à la Convention, qu’il soit partie ou non à  un conflit armé, a l’obligation de "faire respecter" par les autres  Etats son contenu. Cette obligation implique celle de prendre, dans le  respect de la Charte des Nations unies, toutes les initiatives et  mesures visant à mettre fin aux violations du droit international  humanitaire commises par une partie au conflit. Les juristes considèrent  généralement que les actions qui doivent être entreprises pour "faire  respecter" le droit international vont des pressions diplomatiques,  politiques et économiques aux mesures coercitives (gel de la  coopération, résiliation des contrats en cours, interdiction des  transferts de technologie, sanctions, boycott, etc.) en passant par des  actions menées en coopération avec des organisations internationales.
La France, qui dispose de leviers pour influencer l’Etat  d’Israël, a donc l’obligation de mettre en œuvre ces moyens d’influence  pour l’inciter à se conformer au droit international. Si le  gouvernement français est libre de la nature et de l’étendue des mesures  devant être prises à l’encontre de l’Etat d’Israël, légalement il ne  peut pas rester inactif et doit être animé par un souci d’efficacité en  vue de la fin de la politique de colonisation et du démantèlement des  implantations existantes. Plus de quarante ans après le début de la  colonisation, il est grandement temps que la France, pays qui a fait du  respect du droit international par les Etats le fil rouge de sa  politique extérieure, mette en œuvre des actions concrètes fortes pour  "faire respecter" par l’Etat d’Israël l’article 49 § 6 de la IVe  Convention de Genève et propose aux autres Etats et aux organisations  internationales dont elle est membre qu’ils fassent de même.
Ghislain Poissonnier, magistrat, et Pierre Osseland, avocat
Ghislain Poissonnier est aussi l’auteur de Les chemins d’Hébron, L’Harmattan, 2010.
publié par le Monde