René Backmann
Alors que les négociations avec Israël  restent stériles, les Palestiniens s’engagent dans une résistance non  violente pour mobiliser l’opinion internationale. Mais ils butent sur la  division entre la Cisjordanie et Gaza, le Fatah et le Hamas
La nouvelle arme des  Palestiniens dans leur combat contre l’occupation israélienne est une  brochure de 78 pages illustrée de plusieurs centaines de photos en  couleur. Il ne s’agit pas d’un manuel inédit de guérilla urbaine, mais  d’un catalogue des produits fabriqués dans les colonies israéliennes de  Cisjordanie désormais boycottés dans les territoires sous contrôle de  l’Autorité palestinienne. Près de 500 produits, de l’eau minérale aux  cosmétiques en passant par les meubles, les souris d’ordinateur et les  yaourts, sont recensés dans ce catalogue que des milliers de jeunes  volontaires distribuent depuis le 18 mai dans toute la Cisjordanie.  L’adhésion à la campagne de boycott est recommandée, mais facultative.  En revanche, la vente des produits boycottés en Cisjordanie est  désormais prohibée par une loi qui interdit également aux Palestiniens  de travailler dans les colonies. « Nous savons que nous ne pourrons pas  atteindre nos objectifs du jour au lendemain, dit Hani al-Ahmad, l’un  des organisateurs de la campagne au département de la Protection des  Consommateurs. Près de 25000 Palestiniens travaillent dans les colonies.  Il est impossible de leur demander de quitter leur travail sans leur en  proposer un autre. Mais interdire dès maintenant l’entrée des produits  des colonies dans nos magasins, nous pouvons le faire et nous le  faisons. » « Je n’ai pas eu de problème majeur, explique le gérant d’un  supermarché de Ramallah. J’ai remplacé les produits interdits par  d’autres fabriqués en Turquie, en Jordanie, en Egypte ou en Israël,  puisque les produits fabriqués de l’autre côté de la ligne verte,  c’est-à-dire sur le territoire de l’Etat d’Israël, sont autorisés. »  L’autre face du boycott - l’interdiction pour les Palestiniens de  travailler dans les colonies - pose plus de problèmes. Même si elle  connaît une croissance spectaculaire, l’économie de la Cisjordanie ne  peut offrir en quelques mois 25 000 emplois nouveaux. Les dirigeants de  l’Autorité palestinienne ont donc entrepris de constituer un fonds  spécial de 50 millions de dollars, alimenté par des donateurs locaux et  étrangers, pour créer des emplois et encourager les entrepreneurs  palestiniens à embaucher. « A terme, explique Hani al-Ahmad, l’idée est  évidemment de fabriquer chez nous ce que nous achetions aux colons. Ce  qui devrait nous permettre de moderniser notre économie, de réduire  notre dépendance et de développer l’emploi. »
Marches pacifiques Baptisée « opération Karameh », du nom d’une bataille de la vallée du  Jourdain, en mars 1968, où les fedayins du Fatah avaient résisté à  l’armée israélienne, la campagne de boycott est l’une des composantes  majeures de la « résistance nationale non violente » lancée par le  Premier ministre, Salam Fayyad. Regardé avec méfiance - voire pire - par  la vieille garde et les durs de l’OLP parce qu’il a fait carrière à la  Banque mondiale et au FM avant de devenir Premier ministre en 2007, cet  économiste de 58 ans estime que « la construction des institutions du  futur Etat de Palestine est aussi une forme de lutte contre  l’occupation ». Parfois accusé de vouloir « normaliser » l’occupation  parce qu’il s’efforce de bâtir une administration moderne, de rétablir  la sécurité et de développer l’économie de la ; Cisjordanie, Salam  Fayyad souffrait apparemment d’un déficit de légitimité patriotique. Son  implication dans la campagne de boycott - la télévision locale et les  journaux l’ont montré supervisant en personne la destruction de produits  des colonies - est peut-être en train de changer la perception que ses  concitoyens ont de lui. Et l’idée qu’ils ont de la résistance à  l’occupation. Candidat du Fatah, Mahmoud Abbas s’était fait élire en  janvier 2005 à la présidence de l’Autorité palestinienne en proclamant  son rejet de la violence. Des figures de l’OLP comme Mamdouh Nofal,  ancien chef militaire du FDLP, avaient condamné sans appel l’usage des  armes pendant la seconde Intifada. Mais ce sont les marches pacifiques  de protestation contre le mur de séparation organisées en février 2005  par les habitants du village de Bil’in, à l’ouest de Ramallah, qui ont  renoué, sur le terrain, avec la non-violence, expérimentée en Palestine  dans les années 1930 puis abandonnée en faveur de la révolte armée.  Ulcérés de constater que le mur confisquait 60% de leurs terres  agricoles, les villageois de Bil’in ont décidé d’organiser chaque  vendredi des manifestations non violentes auxquelles participaient des  pacifistes israéliens et des délégations internationales venues affirmer  leur solidarité. Le mur est toujours là, mais les marches se  poursuivent chaque vendredi. A Bil’in et dans une vingtaine d’autres  villages en colère, désormais rassemblés en une coordination nationale  soutenue, via internet, par une multitude d’associations solidaires. Devant cette offensive non violente, les dirigeants israéliens  paraissent excédés mais déroutés. Les marcheurs affrontent les  lacrymogènes et les organisateurs du boycott, des menaces diverses.  Furieux de voir un marché captif de 2 millions de consommateurs leur  échapper, les colons, qui ne sont pas à une outrance près, dénoncent le  « terrorisme économique » des Palestiniens et réclament au gouvernement  de fermer les ports israéliens aux produits destinés à la Cisjordanie.  « Que ferait Fayyad si nous décidions de licencier tous nos salariés  palestiniens ? demande Shaul Goldstein, maire du bloc de colonies  d’Etzion, au sud de Jérusalem. Je ne suis pas favorable à une telle  mesure, admet-il, mais je suis minoritaire. »
Des négociations qui piétinent Même si elle ne débouche pas, pour l’instant, sur des victoires  spectaculaires, la non-violence fait l’objet d’un véritable consensus  parmi les Palestiniens. Selon un centre de recherche norvégien qui vient  d’ausculter la société palestinienne, 70% des habitants - en  Cisjordanie comme dans la bande de Gaza y sont favorables. Vue de  Naplouse ou de Ramallah, cette Intifada sans pierres ni kalachnikovs a  visiblement été conçue pour associer, au moins symboliquement, chaque  citoyen à la lutte pour la libération de la terre. Tout en pacifiant  l’image de la cause palestinienne à l’intention de l’opinion publique  internationale, elle offre aussi, après dix-sept ans de pourparlers sans  issue, un terrain d’action moins stérile que celui qui est labouré en  vain par les négociateurs des deux camps. Alors que la moitié du délai de quatre mois assigné aux négociations  indirectes conduites par l’émissaire américain George Mitchell est déjà  écoulé, aucun progrès n’a été enregistré. Les Palestiniens ont soumis,  le mois dernier, des propositions précises assorties de cartes  détaillées sur deux dossiers majeurs : les frontières et la sécurité. A  l’irritation visible de Mitchell, qui accuse Benyamin Netanyahou de  « traîner les pieds », aucune réponse ou contre-proposition n’a encore  été livrée par le gouvernement israélien, qui se contente de réclamer  l’ouverture immédiate de négociations directes. Les Palestiniens ne  disent pas non, mais demandent en échange un gel total et contrôlé de la  colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem -Est. Alors que quatre des  sept ministres du cabinet restreint israélien sont favorables à la  reprise des constructions dans les colonies dès la fin du moratoire en  cours, c’est-à-dire dans trois mois, et que 6 000 nouveaux logements  sont déjà prévus d’ici à 2015 dans les colonies, on voit mal Netanyahou  céder facilement sur ce point. Pourtant, Barack Obama, qui vient de le  recevoir à Washington, a insisté lui aussi sur la nécessité de geler la  colonisation pour la poursuite des négociations. Il est tout aussi  improbable que le Premier ministre israélien accepte l’autre demande  palestinienne transmise par George Mitchell : la levée complète du  blocus de la bande de Gaza. Pour les dirigeants de l’Autorité palestinienne, cette mesure, instaurée  en juin 2007 par Israël en réponse à la prise du pouvoir par le Hamas,  n’a pas affaibli l’emprise des islamistes sur les 1,5 million de  Palestiniens enfermés entre la mer, la frontière égyptienne et la  clôture métallique érigée par l’armée israélienne. Au contraire. La  fermeture des cinq points de passage avec Israël et celle, décidée par  Le Caire, de l’unique poste-frontière avec l’Egypte ont permis aux  islamistes d’exercer un contrôle plus étroit encore sur la vie  quotidienne des habitants. Le blocus, qui a provoqué la fermeture de 95%  des entreprises et contraint 75% des Gazaouis à dépendre de l’aide  alimentaire internationale pour survivre, a aussi contribué à enrichir  le Hamas. Les taxes prélevées sur les produits importés clandestinement  par les tunnels sous la frontière égyptienne venant s’ajouter aux dons  généreux des « amis » iraniens ou qataris. Contrairement à ce  qu’espéraient les dirigeants israéliens, il n’a pas non plus permis  d’obtenir la libération du soldat Gilad Shalit, enlevé le 25 juin 2006.  Pour apaiser la réprobation internationale après l’assaut meurtrier de  la flottille d’aide à Gaza par l’armée israélienne, le gouvernement  israélien a décidé un « allégement » du blocus. La liste des produits  dont l’entrée est autorisée est passée de 114 à quelques centaines. Le  chocolat, les jouets, les lames de rasoir, la mousse à raser, les  biscuits, les fruits en conserve sont désormais disponibles. Mais le  ciment et les fers à béton, indispensables pour reconstruire les  milliers de maisons détruites ou endommagées il y a dix-huit mois  pendant l’opération Plomb durci, sont toujours interdits, sauf  lorsqu’ils sont destinés à des programmes de l’ONU ou à des  organisations internationales. Et surtout les points de passage - à  l’exception de celui de Rafah, vers l’Egypte - demeurent fermés aux  importations de matières premières et aux exportations. Ce qui ne change  rien, en fait, au naufrage économique du territoire, où 55% des actifs  sont sans emploi.
Une vie normale « Pour nous, explique Nabil Shaath, membre de la direction du Fatah, qui  s’est rendu en février à Gaza, où il a rencontré discrètement les  principaux cadres du Hamas, la levée du blocus est plus importante que  la réconciliation avec le Hamas et le retour à l’unité du peuple  palestinien. » Les dirigeants de l’Autorité palestinienne l’affirment,  ils veulent pouvoir acheminer à Gaza l’aide dont leurs compatriotes ont  besoin pour mener une vie normale. Ils entendent surtout rappeler au  monde entier qu’il n’y a pas deux Palestine celle du Fatah à Ramallah et  celle du Hamas à Gaza, provisoirement séparées par un contentieux  politique -, mais une seule, vouée à devenir un Etat indépendant.  « Hélas ! constate l’ancien négociateur Ahmed Qoreï (Abou Ala), qui a  dirigé l’an dernier au Caire la délégation du Fatah aux pourparlers de  réconciliation, nous en sommes encore loin. Pour une raison simple : le  Hamas refuse d’avaliser l’initiative arabe de mars 2002, qui contient  une reconnaissance implicite de l’Etat d’Israël. Ce refus qui barre la  route à notre réunification nous met dans une position intenable  vis-à-vis des Israéliens et des Américains. Il constitue, autant que le  refus et l’impunité arrogante des Israéliens, un obstacle majeur à la  paix. » Dès la scission entre le Hamas et le Fatah, en juin 2007, le  poète palestinien Mahmoud Darwich, mort en 2008, avait mesuré ce danger  avec lucidité et ironie. « Nous sommes un peuple très doué, écrivait-il  alors dans un quotidien de Ramallah. Nous avons réussi à créer deux pays  avant même d’avoir un Etat. »