Publié le  16-06-2010 
                   "Les citoyens du monde doivent  réagir là où les gouvernements ont échoué" : article de Stephane Hessel,  95 ans, survivant de l’Holocauste, militant des droits de l’Homme,  diplomate. (Publié par le Huffington Post).
"L’attaque illégale  et immorale d’Israël contre le convoi d’aide humanitaire de la  Flottille de la Liberté, qui a fait au moins neuf morts et des dizaines  de blessés, a, à juste titre, stupéfié le monde. Le convoi entièrement  civil de 6 bateaux transportait plus de 10 000 tonnes d’aide humanitaire  cruellement nécessaire, et près de 700 citoyens de 40 pays. La  Flottille était une tentative ambitieuse de briser le siège imposé par  Israël depuis 2007 à 1,5 million de Palestiniens de la bande de Gaza  occupée. Avec à son bord d’éminents parlementaires, chefs religieux,  écrivains, journalistes, un Prix Nobel de la Paix et un survivant de  l’Holocauste, le convoi humanitaire visait non seulement à fournir des  secours à Gaza ; il cherchait à attirer l’attention internationale sur  la crise humanitaire imposée aux habitants de Gaza et sur l’impératif  d’y mettre fin. Il est indéniable que ce dernier objectif a réussi, mais  avec des conséquences tragiques.
L’attaque israélienne contre le convoi d’aide non armé  dans les eaux internationales a été « une violation [flagrante] du droit  international humanitaire, du droit international maritime, et [selon  la plupart des interprétations] du droit pénal international », pour  reprendre les mots de Richard Falk, professeur de droit international et  rapporteur spécial des Nations Unies sur les Droits de l’Homme dans les  territoires palestiniens occupés. Il est triste de constater que les  gouvernements du monde sont devenus depuis trop longtemps complices ou  apathiques envers les crimes d’Israël et ont renforcé sa culture de  l’impunité, sous le bouclier de soutien incontestable des États-Unis.  Malgré sa condamnation initiale, le gouvernement des Etats-Unis a fait  pression sur les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, à nouveau,  pour adopter un langage ambigu qui allège Israël de toute responsabilité  et renvoie dos à dos l’agresseur et la victime.
Typiquement, le gouvernement israélien a accusé les  victimes de son raid d’avoir attaqué les soldats israéliens, prônant la  « légitime défense ». L’éminent expert juridique et directeur du Centre  de droit international de Sydney à l’Université de Droit de Sydney, le  professeur Ben Saul, réfute carrément l’affirmation d’Israël en  argumentant : « Juridiquement parlant, les forces militaires  gouvernementales qui arraisonnent un bateau pour le capturer  illégalement ne sont pas traitées différemment d’autres criminels. Le  droit à la légitime défense dans de telles circonstances est du côté des  passagers à bord : une personne a légalement le droit de résister à sa  propre capture, enlèvement et détention illégaux. » Il ajoute que « si  les forces israéliennes ont tué des gens, ils n’ont pas seulement  enfreint le droit humain à la vie, mais ils peuvent aussi avoir commis  de graves crimes internationaux. Selon l’article 3 de la Convention de  Rome pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la  navigation maritime de 1988, c’est un crime international, pour toute  personne, de saisir ou d’exercer un contrôle sur un navire par la force,  et c’est aussi un crime de blesser ou tuer une personne dans le  processus. »
Malgré la déclaration du secrétaire général de l’ONU Ban  Ki-Moon appelant à mettre fin au siège illégal de Gaza par Israël, le  Conseil de sécurité n’a pas réussi à appeler à la fin inconditionnelle  du blocus, autorisant ainsi Israël à commettre en toute impunité de  graves crimes de guerre, également bien documentés dans le rapport  Goldstone des Nations Unies.
L’absence d’action significative de la part des  gouvernements pour rendre Israël responsable devant le droit  international laisse ouverte une voie pour les citoyens de conscience :  celle de prendre eux-mêmes cette responsabilité, comme cela a été fait  contre l’apartheid en Afrique du Sud. Les initiatives non-violentes  menées par les citoyens, dont la Flottille et les multiples campagnes de  boycott et de désinvestissement dans le monde entier sont des exemples,  présentent la façon la plus prometteuse de surmonter l’échec des  gouvernements du monde à résister à l’intransigeance et au comportement  débridé d’Israël. En attaquant de façon flagrante le bateau humanitaire,  Israël a provoqué par inadvertance une prise de conscience et une  condamnation sans précédent non seulement de son siège fatal de la bande  de Gaza, mais aussi du contexte plus large des pratiques de  l’occupation israélienne dans les Territoires palestiniens, de sa  négation des droits des réfugiés palestiniens et de sa politique  d’apartheid contre les citoyens indigènes « non-juifs » d’Israël.
La Flottille de la Liberté rappelle le genre  d’initiatives de solidarité de la société civile qui a mis fin aux lois  de ségrégation aux États-Unis et à l’apartheid en Afrique du Sud, une  analogie impossible à ignorer. Comme pour le régime d’apartheid en  Afrique du Sud, la réaction d’Israël a été de qualifier cet acte  non-violent de « provocation intentionnelle ». Comme dans le cas de  l’Afrique du Sud, l’appel à la solidarité internationale, sous forme de  Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) provenait d’une écrasante  majorité de syndicats et d’organisations de la société civile  palestinienne en 2005, et est en train d’être adopté par des citoyens de  conscience et des mouvements sociaux du monde entier. L’initiative BDS  appelle à isoler efficacement Israël, ses institutions complices  économiques, universitaires et culturelles, ainsi que les entreprises  qui profitent de ses violations des droits de l’Homme et de ses  politiques illégales, aussi longtemps que ces politiques continueront.
Je crois que l’initiative BDS est une stratégie morale  qui a démontré son potentiel de réussite. Plus récemment, la Deutsche  Bank allemande a été la dernière de plusieurs institutions financières  et grands fonds de pension européens à se désinvestir du fabricant  d’armes israélien Elbit Systems. La semaine dernière, deux chaînes  majeures de supermarchés italiennes ont annoncé un boycott des produits  provenant des colonies illégales israéliennes. Le mois dernier, les  artistes Elvis Costello et Gil Scott-Heron ont annulé leurs  représentations en Israël. Inspirée de la lutte populaire anti-apartheid  sud-africaine, la génération actuelle d’étudiants dans les campus  universitaires appelle activement leurs administrations à adopter des  politiques de désinvestissement.
Je soutiens les mots sincères de l’écrivain écossais  Iain Banks qui, en réaction à l’attaque atroce d’Israël de la Flottille  de la Liberté, a suggéré que la meilleure façon pour les artistes,  écrivains et universitaires internationaux de « convaincre Israël de sa  dégradation morale et de son isolement éthique » est « tout simplement  de ne plus rien avoir à faire avec ce gouvernement criminel. »
Stéphane Hessel
(Publié en anglais sur http://www.huffingtonpost.com/stephane-frederic-hessel/gaza-flotilla-global-citi_b_612865.html).
*Stéphane Frédéric Hessel est un  diplomate, ancien ambassadeur, résistant français et agent du BCRA. Né  en Allemagne, il obtint la nationalité française en 1937. Il a participé  à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. 
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