Hazem Jamjoum - Silvia Cattori
          L’universitaire palestinien Hazem Jamjoum, 28 ans, de passage à  Genève le jour où la marine israélienne a stoppé dans le sang la  Flottille de la liberté, répond aux questions de Silvia Cattori.         
 L’attaque par les commandos israéliens d’un convoi humanitaire en  Méditerranée a ouvert les yeux d’une partie de l’opinion publique  internationale sur la réalité du blocus de Gaza. Cette prise de  conscience citoyenne devrait se traduire par un renforcement du boycott  contre les produits de l’apartheid. Dans l’entretien qu’il a accordé à  Silvia Cattori, l’universitaire palestinien Hazem Jamjoum décrit  également la situation politique en Palestine occupée, entre un Fatah  qui s’accroche au pouvoir, malgré le désaveu populaire, et un Hamas  ostracisé par la communauté internationale, bien que démocratiquement  élu.
Le 31 mai 2010, les pirates  israéliens ont attaqué des navires civils dans les eaux internationales.
Silvia Cattori : Ce lundi,  31 mai, avez-vous été surpris en apprenant que la marine israélienne  avait attaqué la flottille d’aide humanitaire, et tiré sur les navigants  qui voulaient se rendre à Gaza ?
Hazem Jamjoum (1) : L’attaque contre la Flottille de la Liberté  était d’une certaine manière attendue car le gouvernement israélien et  l’armée avaient fait savoir assez clairement qu’ils n’allaient pas  autoriser des militants à entrer à Gaza. J’ai été très choqué lorsque  j’ai appris qu’ils avaient tué et blessé de nombreuses personnes. On  pouvait s’attendre à ce qu’ils empêchent les bateaux de passer et qu’ils  arrêtent les militants. Mais qu’ils utilisent cette violence, tirent à  balles réelles, ce fut un grand choc pour moi.
Je pense que cela dévoile la logique selon laquelle les  militaires israéliens agissent, en ce sens qu’Israël a montré depuis 62  ans qu’il n’avait aucun problème à tuer des gens (2), à commettre des actes de piraterie ou à violer  le droit international. Il devient de plus en plus clair qu’Israël  considère qu’il peut continuer de perpétrer des meurtres, qu’il s’agisse  de Palestiniens ou de non-Palestiniens. Du reste ce n’est pas la  première fois qu’Israël tue des non-Palestiniens.
A l’évidence, la communauté internationale a montré  qu’elle ne veut prendre aucune mesure concrète pour punir Israël ou pour  lui demander des comptes pour les crimes qu’il commet.
Silvia Cattori : L’attaque  de la flottille par les troupes de la marine israélienne en pleine mer a  soulevé immédiatement une vague de réactions sans précédent. Des  réactions bien plus massives contre Israël que lors des bombardements  qui, en huit minutes, avaient laissé près de 300 morts sur le sol à  Gaza, le 27 décembre 2008. Est-ce à dire que les vies palestiniennes ne  méritent pas la même attention ?
Hazem Jamjoum : C’est un  vaste sujet. Premièrement, je pense que, malheureusement, les médias,  tout comme Israël, portent peu d’attention à la vie des Palestiniens et  des Arabes en général. Alors que des Arabes sont tués quotidiennement en  Irak depuis 2003, cela provoque à peine quelques commentaires à la  télévision. C’est pareil avec la Palestine : Israël tue des Palestiniens  depuis 62 ans, et d’une manière de plus en plus massive depuis la  seconde Intifada, sans que cela ne fasse d’éclat. Je pense que si cette  attaque est si importante pour les médias, c’est parce que, parmi les  700 personnes qui étaient sur ces bateaux, ce sont des internationaux  qui ont été tués et blessés. Depuis le carnage de Gaza en 2008-2009 il y  a eu le développement d’un mouvement international très fort ; la  critique sur la politique d’Israël a traversé toutes les strates de la  société. L’importance donnée par les médias à l’attaque contre la  flottille, met en évidence combien le mouvement a grandi. Il y a des  milliers de gens qui ont donné leur argent pour financer ces bateaux.
Silvia Cattori : Avez-vous  été surpris par le fait que les États-Unis n’ont pas condamné l’acte de  piraterie d’Israël et n’ont pas demandé la levée du blocus ?
Hazem Jamjoum : Pas  vraiment. Les États-Unis n’ont jamais tenu Israël comme responsable de  ce blocus. Il est devenu très clair qu’ils ne feraient rien pour le  lever. Raison pour laquelle c’est cette flottille de la liberté - avec  le large soutien du mouvement qui se bat pour lever le blocus - qui  allait le faire.
Cette flottille apportait une aide humanitaire, mais ce  n’était pas une simple action caritative ; c’était une action  politique ; c’était une déclaration politique. L’objectif des  organisateurs de la flottille était que, puisque les gouvernements du  monde se montrent incapables de tenir Israël pour responsable de ce  blocus médiéval - nous n’avons jamais vu un blocus contre une population  comme celui-ci depuis près de 800 ans - la flottille allait le faire.
C’était cela le but de cette flottille. C’est aussi le  but de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS)  lancée en 2005 par toutes les organisations de la société  palestinienne ; des partis, des syndicats, etc. Cette campagne a  commencé à prendre de l’ampleur et à se développer rapidement après le  carnage à Gaza, quand les gens, dans le monde entier, ont commencé à  voir Israël pour ce qu’il est : un régime d’apartheid, d’occupation, de  colonisation. Et l’extension de ce mouvement a rendu, même les médias,  plus sensibles à la réalité, au fait qu’Israël n’est pas un État destiné  à protéger sa population juive, mais un État qui commet des crimes  contre les non juifs d’une manière continue.
Silvia Cattori :  Pensez-vous que cette attaque en mer permettra d’en finir avec  l’impunité et avec la protection qu’Israël a toujours eue de la part de  nos médias ?
Or quand vous voyez l’armée israélienne utiliser des  chars et des F 16 pour bombarder des populations civiles qui ne sont pas  en mesure de se défendre et n’ont nulle part où aller parce que la  frontière est toujours fermée, ou quand vous voyez Israël encercler des  internationaux, des humanitaires, des députés membres de divers  parlements, et commencer à tirer sur eux et sur leurs bateaux, il  devient difficile d’accuser ceux qui critiquent l’État d’Israël qui agit  de la sorte, d’avoir un comportement « antisémite ».
La seconde chose est l’augmentation des gens de  confession juive qui réalisent qu’Israël a fait cela depuis 62 ans au  nom des juifs, en abusant du nom des juifs pour couvrir ses crimes. Je  crois que le nombre croissant de juifs qui disent « Vous ne pouvez pas  continuer de dire cela en mon nom », qui s’opposent au sionisme et à son  fondement, qui s’opposent aux crimes commis par Israël, est aussi un  important phénomène.
Silvia Cattori : Si Israël  a pu poursuivre durant 62 ans sa politique d’épuration ethnique, basée  sur la haine et la déshumanisation, n’est-ce pas parce que sa propagande  a toujours réussi à renverser la donne ; il a transformé les victimes  palestiniennes de sa politique d’apartheid en terroristes ; présenté ses  voisins Arabes et musulmans comme inférieurs, violents, fanatiques ?
Hazem Jamjoum : Pas  seulement Israël du reste. Si vous regardez les films d’Hollywood qui  font le portrait des Arabes et des musulmans en général, en particulier  depuis la soi-disant « guerre contre le terrorisme » - mais même avant -  vous constatez que ce portrait, dans la culture populaire, est une  déshumanisation qui est complètement raciste. Certes, Israël l’a  utilisée à son profit depuis 62 ans. Ce prétendu « monde civilisé  occidental », voit les Arabes et les musulmans comme des barbares  sauvages, des sous-hommes. Si vous regardez les médias israéliens, les  Palestiniens, les Israéliens arabes sont décrit comme des sauvages  violents, fous, irrationnels. Il y a là un grand travail à faire pour  gagner ce combat contre les stéréotypes racistes ; contre cette imagerie  dégradante à l’égard des Arabes et des musulmans ; et pour expliquer  que cette barbarie ne correspond pas à la réalité et que l’histoire  montre tout ce que les civilisations occidentales leur ont en fait  emprunté ou, comme on peut le voir dans les musées, physiquement volé.
Silvia Cattori : Ce qui  rend le contexte encore plus difficile à comprendre au dehors, est que  les autorités de Ramallah et leurs représentants à l’extérieur font le  jeu de l’occupant israélien. Le jour même de l’attaque israélienne  contre la flottille, Elias Sambar, représentant palestinien à l’UNESCO,  (invité sur la chaîne de télévision France 2) ne cachait pas cette  fracture. « Vous savez ce que je pense du Hamas » disait-il à Daniel  Shek, ambassadeur d’Israël en France, qui n’avait pas de mots assez durs  pour incriminer le Hamas. Comment comprendre cette complaisance à  l’égard d’un occupant colonial qui martyrise si cruellement la Palestine  et un tel mépris, de la part d’un diplomate palestinien, de l’autorité  du Hamas issue des urnes ?
Hazem Jamjoum : Cette  direction palestinienne a mis toute sa stratégie dans un mauvais panier,  à savoir l’idée que, en parlant avec Israël et en convaincant la  communauté internationale, elle pourra apporter la preuve que, d’une  manière ou d’une autre, la négociation pourra aboutir à donner leurs  droits aux Palestiniens. Au cours des 13 à 14 dernières années, il est  apparu parfaitement - et criminellement - clair que ces négociations  bénéficiaient uniquement à Israël qui les utilise comme méthode pour  voler les terres en renvoyant toujours à plus tard la soi-disant  « solution », et en utilisant ce temps pour continuer de consolider son  régime d’apartheid, son vol de la terre palestinienne et la construction  de ses colonies.
La diabolisation du Hamas va de pair avec la  diabolisation générale des groupes politiques islamiques, et également  avec la préparation d’une guerre contre l’Iran, le Hamas étant décrit  comme faisant partie du camp iranien. Il faut que cela soit clair : le  Hamas est aussi le choix populaire, élu démocratiquement en 2006, et  nous considérons ce vote comme un vote de rejet des négociations. Quand  les Palestiniens ont voté en 2006 en faveur du Hamas, ils ont dit au  Fatah qu’ils n’acceptaient pas les négociations. Parce qu’elles ont  prouvé qu’elles étaient un échec. Le fait que ce leadership à Ramallah  continue les « discussions de proximité » et les négociations ne fait  que prouver que sa stratégie a échoué.
Silvia Cattori : Il semble  que le président Mahmoud Abbas n’ait pas véritablement appelé à mettre  fin au blocus. Est-ce bien ainsi ?
Hazem Jamjoum : Je ne sais  pas. Je ne me souviens pas. Ils ont critiqué le blocus à un certain  moment, mais je ne sais pas s’ils ont vraiment essayé de manière  consistante et systématique de travailler au travers des Nations Unies  et au travers de leurs contacts internationaux pour briser le blocus de  Gaza.
Il est parfaitement clair que les dirigeants de Ramallah  ont pris très fortement position contre le Hamas et voient le Hamas  comme quelque chose qui brise leur monopole politique et comme une  menace. Ils suivent la même ligne qu’Israël vis-à-vis du Hamas et cela  est extrêmement regrettable ; en particulier quand, parfois, ils  saisissent l’occasion de parler de réconciliation avec le Hamas et dans  le même souffle ils s’opposent totalement au Hamas et le diabolisent.
Je pense que les deux parties, aussi bien la direction  du Fatah que celle du Hamas, doivent revenir aux demandes fondamentales  des gens. Ils doivent couper leurs liens avec le régime d’apartheid et  revendiquer les droits fondamentaux des Palestiniens - le droit de  retour des réfugiés et la pleine égalité pour les citoyens palestiniens  d’Israël - qui ont été complètement laissés de côté dans l’agenda du  leadership palestinien, alors qu’ils représentent la grande majorité des  Palestiniens dans le monde : il y a environ 6,4 millions de réfugiés  palestiniens dispersés dans le monde, et environ 1,5 million de  Palestiniens qui sont citoyens d’Israël. Ils sont négligés par les deux  directions [du Fatah et du Hamas, ndt].
Silvia Cattori : Le refus  des États-Unis de condamner Israël au Conseil de Sécurité et d’exiger la  fin du blocus israélien vous a-t-il surpris ?
Hazem Jamjoum : Non, je ne  suis pas surpris. Les États-Unis sont très clairs ; Israël est l’allié  stratégique numéro un des États-Unis dans la région. Ils considèrent  Israël comme étant une extension des États-Unis au Moyen Orient. C’est  ainsi que le gouvernement des États-Unis voit Israël depuis les années  70. Je pense que les politiciens états-uniens croient en cette  politique ; en dépit du fait que l’intérêt que représente Israël pour  les États-Unis soit extrêmement contestable. Les militaires états-uniens  - tout récemment le général Petraeus - ont dit très clairement que les  États-Unis perdent des vies à cause de leur soutien à Israël. C’est un  aveu très exact. Les gens qui, au sein du département d’État US ont dit,  dès 1948, que le soutien à Israël est en fait contraire aux intérêts  économiques et stratégiques des États-Unis, avaient raison.
Silvia Cattori : Cela ne  changera pas ?
Hazem Jamjoum : Je pense  que cela changera, que cela doit changer, vu l’élargissement aux  États-Unis du mouvement qui appelle au Boycott, au Désinvestissement et  aux Sanctions (BDS) contre Israël, et le soutien au BDS du Green Party  qui est le troisième parti, le soutien de politiciens de plus en plus  nombreux, en particulier ceux qui ont visité Gaza après le carnage, et  ceux qui ont le courage de dire leur opinion. Mais les politiciens ne  peuvent pas simplement s’opposer à Israël car cela entraîne des  conséquences ; cela demande que le mouvement social aux États-Unis  devienne plus fort, et je pense que ces mouvements qui sont critiques  vis-à-vis d’Israël et demandent la fin de la politique d’apartheid  d’Israël sont en train de se développer. Je suis prudemment optimiste.  Cela exige plus de travail.
Il ne s’agit pas seulement du soutien des États-Unis.  L’Europe est le plus grand importateur de produits israéliens dans le  monde, alors que les relations entre les États-Unis et Israël sont  surtout basées sur la finance et les investissements. C’est pourquoi la  campagne de BDS est si importante. Comme marché de produits, l’Europe  est le marché principal. Après le marché interne entre Israël et la  Palestine, le plus gros est avec l’Union Européenne ; l’Union Européenne  a un accord de libre échange avec Israël, et les échanges culturels  sont très importants. Tout cela représente un défi. 
[1] Spécialisé dans le domaine des Relations internationales et des études relatives à la Paix et aux Conflits, Hazem Jamjoum est l’un des membres fondateurs de la Coalition Against Israeli Apartheid , du Sumoud Political Prisoners Solidarity Group, et de l’ Israeli Apartheid Week. Réfugié palestinien de la troisième génération, il est responsable de la rédaction et chargé de la communication du Badil Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights à Béthléem, Palestine, une des organisation qui a participé au lancement, en 2005, de l’appel au Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS)
[1] Spécialisé dans le domaine des Relations internationales et des études relatives à la Paix et aux Conflits, Hazem Jamjoum est l’un des membres fondateurs de la Coalition Against Israeli Apartheid , du Sumoud Political Prisoners Solidarity Group, et de l’ Israeli Apartheid Week. Réfugié palestinien de la troisième génération, il est responsable de la rédaction et chargé de la communication du Badil Resource Center for Palestinian Residency & Refugee Rights à Béthléem, Palestine, une des organisation qui a participé au lancement, en 2005, de l’appel au Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël (BDS)
[2] Voir un exposé (en  anglais) d’Hazem Jamjoum : http://www.youtube.com/watch?v=mXlh....
Lire l’article d’Hazem Jamjoum : Not an analogy : Israel and the crime  of apartheid , The Electronic Intifada, 3  avril 2009.
                4 juin 2010 - Silvia  Cattori - source : Voltaire
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8870
http://info-palestine.net/article.php3?id_article=8870