Patrick Seale - Jeune Afrique
          En lançant un raid meurtrier contre une flottille affrétée par  des activistes propalestiniens au large de Gaza, le 31 mai, les  Israéliens se sont attiré la réprobation du monde entier. Dérapage ou  stratégie visant à préparer le terrain à une attaque contre l’Iran  ?         
 « Terrorisme d’État », « acte de  piraterie », « crime de guerre »... L’assaut  sanglant d’un commando israélien contre la flottille Free Gaza, le 31  mai, s’est attiré la réprobation générale. Le monde entier y a vu la  preuve éclatante du mépris d’Israël pour le droit international et du  peu de prix qu’il accorde à la vie humaine dès lors que des Juifs ne  sont pas impliqués.
Devant la gravité de cet acte - au vu des neuf morts et  du nombre de blessés parmi les militants non armés qui cherchaient à  rompre le blocus de Gaza en vigueur depuis trois ans -, cette  indignation semble justifiée. Mais elle n’explique pas pourquoi Israël a  choisi d’agir de la sorte. Ses dirigeants, civils comme militaires, ne  sont pas des débutants. Leurs actions sont mûrement réfléchies et pesées  avec soin. Quel a donc été leur calcul  ?
Deux doctrines sécuritaires ont, semble-t-il, été  appliquées  : l’une dirigée contre les Palestiniens, l’autre contre les  adversaires d’Israël au Moyen-Orient (l’Iran, principalement, et ses  alliés arabes radicaux  : la Syrie, le Hezbollah libanais et le Hamas  palestinien).
Afin de satisfaire ses ambitions expansionnistes, Israël  a toujours évité de s’engager dans de vraies négociations avec les  Palestiniens qui, en cas d’accord, le contraindraient à céder des  territoires. Les dirigeants israéliens détestent les modérés, comme  Mahmoud Abbas, l’infortuné président de l’Autorité palestinienne. Ils  leur préfèrent de loin les extrémistes du Hamas, avec lesquels toute  discussion est exclue, donnant prétexte à cet éternel refrain  : « Comment négocier avec quelqu’un qui veut vous tuer  ? »
L’attaque de la flottille au large de Gaza est leur  dernière tentative destinée à radicaliser les Palestiniens et à  torpiller, avant même qu’ils aient réellement commencé, les  « pourparlers indirects » que George Mitchell, l’émissaire du président  Obama au Moyen-Orient, a laborieusement réussi à relancer. Désormais, la  pression qui pèse sur Mahmoud Abbas est énorme. S’il ne se retire pas  de ce processus, il risque d’être qualifié de traître par une opinion  palestinienne et arabe très remontée.
De toute évidence, Israël a calculé que la tempête  finirait par se calmer et que, en attendant, il pouvait mettre cet  épisode à profit pour continuer son expansion territoriale. Ce dernier  assaut militaire sera vite oublié. Tout comme la guerre de Gaza  (décembre 2008-janvier 2009) a été balayée par d’autres événements. Le  blocus est maintenu, les Palestiniens restent divisés, la communauté  internationale s’offusque mais ne fait rien... et, pendant ce temps,  Israël poursuit la colonisation.
Des dossiers intimement liés
Le Premier ministre Benyamin Netanyahou pense très  probablement que Barack Obama n’osera pas durcir le ton avant les  élections de la mi-mandat, en novembre - ni même après, si les  démocrates vacillent. Quant à la doctrine de défense israélienne au  Moyen-Orient, elle était établie avant même la création de l’État hébreu  par David Ben Gourion  : afin de garantir sa viabilité et sa sécurité  dans un environnement hostile, il est impératif qu’Israël soit la  superpuissance militaire de la région. Il doit être plus fort que tous  ses adversaires réunis, ne jamais montrer de signes de faiblesse et  systématiquement réagir avec la plus grande fermeté à tout défi, fût-il  posé par des activistes propalestiniens désarmés.
Aujourd’hui, Israël considère l’Iran comme son principal  adversaire. S’il décidait de frapper ses installations nucléaires, il  devrait préalablement s’assurer que les États-Unis le soutiendraient et  le protégeraient contre toutes représailles. Mais, pour obtenir ce  soutien, Tel-Aviv doit montrer son entière détermination à combattre -  et à détruire - la moindre menace à sa suprématie. Peut-être l’assaut de  la flottille visait-il à préparer le terrain, politiquement et  psychologiquement, à une attaque contre l’Iran. Car, pour Netanyahou et  Obama, la guerre que mène Israël contre les Palestiniens et sa  confrontation avec l’Iran sont deux dossiers liés.
Pressions intenables
Le Premier ministre israélien et les idéologues qui  l’entourent se sont engagés dans une stratégie risquée et coûteuse.  Israël s’est mis à dos une bonne partie de la planète. La haine qu’il  suscite ira croissant - pas seulement chez les musulmans -, avec  l’antisémitisme comme corollaire. La « délégitimation » d’Israël, qui  inquiète déjà de nombreux intellectuels juifs en Europe et aux  États-Unis, va se poursuivre.
Les pressions internationales en faveur d’une levée du  blocus de Gaza pourraient devenir intenables pour l’État hébreu. La  population égyptienne, très en colère, exercera également une forte  pression sur ses dirigeants pour qu’ils rompent les relations avec  Israël, avec lequel l’Égypte est en paix depuis 1979. Accusé par les  pays arabes de contribuer au blocus de Gaza, le président Moubarak a  déjà ordonné la réouverture du point de passage de Rafah entre son pays  et la bande de Gaza afin de permettre le transit de matériel  humanitaire. La Jordanie, qui entretient de bonnes relations avec Israël  depuis de nombreuses années, estimera peut-être à son tour qu’elle doit  prendre ses distances.
Quant à la Turquie, qui fut l’alliée d’Israël, elle a  rejoint les rangs de ses plus farouches ennemis. C’est le plus lourd  tribut que les Israéliens auront à payer pour avoir opprimé les  Palestiniens et s’être lancés dans une expansion à outrance. Désormais,  les Turcs leur disputent la domination régionale.
Cette crise internationale aura-t-elle des répercussions  en Israël  ? Il se pourrait en effet que l’opinion, inquiète de  susciter une telle hostilité dans le monde et craignant de perdre  l’appui des États-Unis, rejette la politique intransigeante et  dangereuse de Netanyahou. Celui-ci serait alors contraint de  démissionner et d’affronter de nouvelles élections. Peut-être est-ce ce  qu’espère secrètement Obama.
                8 juin 2010 - Jeune Afrique