Al-Quds Al-Arabi
          Par le siège, Israël détermine ce qui est légal et ce qui ne  l’est pas, et sanctionne ceux qui n’agissent pas selon ses intérêts.  C’est donc un moyen stratégique qui vaut de l’or. Israël ne s’en  laissera pas dessaisir, même sous la pression d’une campagne  internationale.         
Il était évident qu’Israël allait empêcher l’arrivée de  la “flottille de la liberté” à Gaza. Non parce qu’il était convaincu de  la présence de “terroristes” à bord des bateaux, ni par crainte de  trafic d’armes : Israël prive la bande de Gaza de jouets pour enfants,  de cahiers pour écoliers, de matériaux de construction, d’électricité,  de médicaments... Non, ce n’était pas pour cela. C’était parce qu’Israël  n’a pas imposé un blocus pour qu’on vienne le rompre. Il n’acceptera  d’y mettre un terme qu’après la défaite de Gaza. Car Israël veut que ce  territoire soit brisé. Comme il est difficile de le briser, il  l’assiège. Or Gaza préfère le siège à la défaite.
Le but d’un combat digne est de faire en sorte que Gaza  soit libre, c’est-à-dire ni brisée ni assiégée. Par le siège, Israël  détermine ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, et sanctionne ceux  qui n’agissent pas selon ses intérêts. C’est donc un moyen stratégique  qui vaut de l’or. Israël ne s’en laissera pas dessaisir, même sous la  pression d’une campagne internationale. Le véritable crime, ce n’est pas  l’assaut contre la “flottille de la liberté”. Le véritable crime, c’est  le siège contre Gaza. Si quelqu’un a commis un crime aussi grave, il  n’hésitera pas à en commettre d’autres. La flottille a réussi à rompre  le complot du silence - un complot impliquant ce qu’on appelle la  communauté internationale, des Arabes et même des Palestiniens. L’écho  médiatique suscité par la flottille a rappelé la question de Gaza ; la  manière israélienne d’empêcher son arrivée a fait le reste et rappelé  qu’Israël était un Etat qui commet des crimes.
La tournure que les choses ont prise n’a pas découlé  d’événements imprévisibles. Elle était connue d’avance, en tout cas  certainement de ceux qui planifient et donnent des ordres, à savoir  Benyamin Nétanyahou, Ehoud Barak et Gabi Ashkenazi [chef d’état-major].  Le porte-parole de l’armée, Avi Benayahou, avait expliqué des dizaines  de fois qu’il partait du principe que la flottille transportait des  terroristes et des armes. C’est faux : c’est Israël qui a fait le choix  de traiter les passagers en terroristes. C’est cela qui a déterminé la  suite. C’est ce qui permet aux députés, à la Knesset, de traiter des  militants politiques comme s’ils étaient des terroristes et d’accuser  l’auteure de ces lignes d’être une terroriste avec un couteau entre les  mains.
Une occupation qui échappe à  l’attention du monde
Israël a décidé de détourner le bateau et ses passagers à  130 miles des côtes et à 100 miles des eaux territoriales. Ce seul  crime aurait suffi pour qu’Israël tombe sous le coup de la justice  internationale, sans parler des meurtres qui ont suivi. J’ai vu de mes  propres yeux 14 navires de guerre et Zodiac entourant la flottille  pendant qu’un hélicoptère survolait le Marmara, le  ferry ayant à bord quelque 600 personnes. Ces forces ont commencé à  arroser le bateau avec des lances à eau, ce qui fait que le pont était à  peu près vide, mis à part des journalistes, au moment où l’on a fait  descendre les soldats. J’ai vu de mes propres yeux des blessés se vider  de leur sang jusqu’à mourir. Ils ont été privés de soins alors que je  réclamais qu’on s’occupe d’eux, à haute voix et même en l’écrivant sur  un panneau - mais en vain.
Beaucoup de passagers m’avaient demandé, la veille, si  je pensais que les Israéliens allaient user de la force pour nous  arrêter. Bien sûr que oui, leur avais-je répondu, puisque l’enjeu  n’était pas d’empêcher l’arrivée d’aide humanitaire à Gaza, mais de  maintenir le siège à tout prix. Mais, quand j’ai vu l’effroyable scène  qui se déroulait sous nos yeux, j’ai compris que j’avais sous-estimé la  situation. Ce dont il s’agissait, c’était de déclarer la guerre non  seulement à ce bateau-là, mais à tous les bateaux à venir. Israël n’a  pas envie de se fatiguer à répéter plusieurs fois le même message. C’est  donc par des cadavres qu’il exprime sa mise en garde. L’Etat hébreu  souhaite non seulement imposer le blocus, mais un blocus dont personne  ne parle. Il souhaite poursuivre non seulement l’occupation, mais une  occupation qui échappe à l’attention du monde. Il souhaite non seulement  commettre des actes de piraterie et des meurtres, mais le faire à  l’abri des regards. C’est pour cela qu’il a coupé nos moyens de  communication pendant toute la durée de l’opération (c’est-à-dire  pendant douze heures) et qu’il a gardé le monopole des informations sur  ce qui s’est passé.
Sa version des faits repose sur l’allégation que les  sympathisants auraient menacé la vie des soldats en usant de bâtons, de  bombes et de couteaux. Il y aurait des images pour le prouver. Face ces  affirmations, à nous d’affirmer notre version des faits. Selon nous, la  question n’est pas de savoir ce qui s’est passé sur le bateau, mais  pourquoi des soldats ont arraisonné le bateau qui se trouvait dans les  eaux internationales. Il ne faut pas laisser à Israël le loisir de  choisir le moment où l’Histoire commence. Ensuite, Israël accuse les  passagers d’avoir été violents. Face à cela, il faut dénoncer  l’arrogance qui voudrait non seulement qu’Israël soit au-dessus des  lois, qu’il puisse pratiquer le piratage et les agressions, mais qu’en  plus il puisse le faire sans qu’aucun de ses soldats soit blessé. Il  voudrait la liberté de tuer sans prendre de coups.
Le rôle de la “flottille de la liberté” n’est pas  terminé. Nous devons nous servir de cette initiative pour ouvrir le  dossier de tous les crimes commis par Israël et pour rouvrir les yeux  sur la réalité de cet Etat qui se croit au-dessus des lois  internationales et écrase les Palestiniens.
La “flottille de la liberté” n’est pas seulement là pour  libérer Gaza, mais également pour nous libérer. Car la bande de Gaza  nous libère, alors qu’elle est assiégée.
                10 juin 2006 - Courrier International