Joseph Massad - Al-Ahram/Weekly
          La sauvagerie d’Israël prouve qu’il sait que les Palestiniens  resteront fermes et que ses tentatives passées et présentes de les  écraser sont un échec, écrit Joseph Massad, en mai 2008.         
          Pour les sionistes, le nom de  « Palestinien » agit comme une incantation magique qui pourrait les  rayer sur le plan existentiel.
L’une des choses les plus difficiles à comprendre dans  l’histoire moderne de la Palestine et des Palestiniens est la  signification de la Nakba. La Nakba doit-elle être considérée comme un  évènement ponctuel qui a eu lieu et s’est terminé en 1948, ou est-ce  autre chose ? Quels sont les enjeux politiques à réifier la Nakba en un  évènement passé, à la commémorer chaque année, à s’incliner devant son  symbolisme redoutable ? Quelles incidences surgissent à faire de la  Nakba un épisode historique achevé, que certains déplorent mais que la  plupart acceptent en fin de compte comme un fait de l’histoire ?
Je vous suggère qu’il y a beaucoup en jeu dans tout  cela, à faire de la Nakba un évènement du passé, un fait sur le terrain  qu’on ne pourrait qu’accepter, admettre, et finalement transcender ;  qu’effectivement, pour aller de l’avant, il faudrait laisser la Nakba en  arrière. Certains suggèrent même que si Israël reconnaissait la Nakba  et s’en excusait, les Palestiniens pardonneraient et oublieraient, et  que les effets de la Nakba ne seraient que des commémorations  historiques, comme celles de cette année.
A mon avis, la Nakba n’est rien de tout cela, et de  vouloir faire de cette année 2008 le 60è anniversaire de la vie et de la  mort de la Nakba est une grave erreur. La Nakba en réalité a bien plus  de 60 ans et elle est toujours avec nous, avançant au rythme de la vie  et parcourant l’histoire, accumulant toujours plus de malheurs sur le  peuple palestinien. Pour moi, la Nakba est une époque historique qui a  127 ans d’âge, et qui dure. 1881 est l’année du début de la colonisation  juive de la Palestine et, chacun le sait, cette colonisation n’a jamais  cessé. Beaucoup dans le monde aimeraient présenter les Palestiniens  comme vivant dans une période post-Nakba, mais pour ma part, j’insiste,  nous vivons tout à fait aux temps de la Nakba. Ce que nous faisons cette  année, ce n’est pas commémorer, mais assister à la Nakba en cours qui  continue à détruire la Palestine et les Palestiniens. Je propose, par  conséquent, que cette année ne soit pas le 60è anniversaire de la Nakba,  mais une année de plus à endurer sa violence ; que l’histoire de la  Nakba n’a jamais été une histoire du passé, mais qu’elle est bien  décidément une histoire du présent. 
LE SENS DE LA NAKBA : bien que le mot Nakba se traduise en anglais par catastrophe, désastre, ou calamité, ces traductions n’intègrent pas tout à fait les ramifications actives de ses significations arabes. La Nakba est un acte qui a été commis par le sionisme et ses partisans contre la Palestine et les Palestiniens, et qui a fait d’eux des mankubin. L’anglais ne permet guère de traduire ce mot, mankubin, à moins d’extrapoler un peu et d’appeler les Palestiniens, un peuple-qui-s’est-fait-catastropher, ou un peuple-qui-s’est-fait-désastrer. Contrairement à la catastrophe grecque, qui signifie renversement, ou au désastre latin, qui est un évènement calamiteux se produisant quand les étoiles ne sont pas dans le bon alignement, la Nakba est un acte de destruction délibérée pour infliger des malheurs à un peuple, programmé pour ruiner un pays et ses habitants. Le mot Nakba a été créé par l’éminent intellectuel arabe, Constantine Zureik, dans son petit livre d’août 1948 sur La signification de la Nakba, en cours au moment où il l’écrivait, tout comme elle l’est toujours alors que j’écris ces lignes.
LE SENS DE LA NAKBA : bien que le mot Nakba se traduise en anglais par catastrophe, désastre, ou calamité, ces traductions n’intègrent pas tout à fait les ramifications actives de ses significations arabes. La Nakba est un acte qui a été commis par le sionisme et ses partisans contre la Palestine et les Palestiniens, et qui a fait d’eux des mankubin. L’anglais ne permet guère de traduire ce mot, mankubin, à moins d’extrapoler un peu et d’appeler les Palestiniens, un peuple-qui-s’est-fait-catastropher, ou un peuple-qui-s’est-fait-désastrer. Contrairement à la catastrophe grecque, qui signifie renversement, ou au désastre latin, qui est un évènement calamiteux se produisant quand les étoiles ne sont pas dans le bon alignement, la Nakba est un acte de destruction délibérée pour infliger des malheurs à un peuple, programmé pour ruiner un pays et ses habitants. Le mot Nakba a été créé par l’éminent intellectuel arabe, Constantine Zureik, dans son petit livre d’août 1948 sur La signification de la Nakba, en cours au moment où il l’écrivait, tout comme elle l’est toujours alors que j’écris ces lignes.
Depuis le début, le peuple palestinien résiste à la  logique raciste et coloniale de la Nakba, se battant contre les colons  dès les années 1880 et 1890, puis dans les années 1910, 1920, 1930,  1940, 1950, 1960, et aujourd’hui encore. Si la résistance palestinienne  n’a pas réussi à empêcher l’expulsion en masse de la moitié de la  population palestinienne, ni le vol pur et simple de tout son pays, elle  a réussi à fouler aux pieds la mémoire sioniste officielle. En effet,  la mémoire a toujours été un élément clé de la résistance palestinienne.  Quand les Palestiniens insistent sur la dénomination de leur pays, de  leurs villes et de leurs villages dans leurs noms d’origine, ils ne font  pas que s’opposer aux noms vulgaires que le sionisme a octroyés à leur  terre, ils mettent en avant également une mémoire géographique qu’Israël  a réussi pratiquement à effacer physiquement. La cruauté sioniste a été  telle qu’Israël a continué, pendant 50 ans après sa création, à nier  que les Palestiniens existaient en tant que peuple, ou en tant que nom ;  que le nom même de « Palestiniens » ne devait pas être prononcé. Pour  les sionistes, le nom de « Palestinien » agit comme une incantation  magique qui pourrait les rayer sur le plan existentiel. Ils n’ont pas  forcément tort en ayant cette impression, car le nom Palestinien est en  lui-même la forme la plus forte de la résistance contre leur mémoire  officielle. Le nom « Palestine » a été aussi générateur de continuité  dans la culture et la vie palestiniennes, dans l’identité et la  nationalité palestiniennes, ce qu’espérait totalement effacer Israël, et  dont l’existence pérenne reste une menace pour son opération mnémonique  visant à inventer une mémoire fictive de non-Palestine, de  non-Palestiniens.
La contre-mémoire palestinienne se pose directement en  confrontation avec la réussite de la Nakba à effacer la Palestine en  tant que désignation géographique, et elle est un affront aux efforts  persistants de la Nakba d’effacer les Palestiniens en tant que groupe  national doté d’une histoire pré-Nakba. La survie des Palestiniens après  le début de la Nakba, en dépit des efforts assidus de celle-ci pour les  rayer de la carte, fait que la Nakba n’est pas une victoire pour les  sionistes. C’est dans ce contexte que l’insistance d’Israël à appeler  les citoyens palestiniens en Israël « Arabes israéliens »  se motive par la volonté de réduire au silence leur essence  palestinienne, c’est-à-dire tout ce qui fait d’eux des Palestiniens.  L’insistance sioniste pour que les réfugiés palestiniens soient  stabilisés dans leurs pays d’accueil, et qu’on leur en accorde la  nationalité, a la même volonté d’effacer leur nom.
Devoir quitter Jérusalem.
La reconnaissance définitive par Israël, il y a dix ans,  qu’il existait bien un peuple palestinien s’est faite au prix de la  réduction de ce peuple palestinien du tiers de son nombre total. En  signant Oslo, Israël s’est compromis avec une direction palestinienne  collaborationniste, et le prix que l’Autorité palestinienne avait à  payer pour qu’Israël accepte de nommer les Palestiniens de Cisjordanie  et de la bande de Gaza par leur nom, était la dé-palestinisation du  reste du peuple palestinien. En retour, la direction palestinienne,  collaborant sous le couvert des Accords de Genève, acceptait de laisser  se multiplier à un coefficient de trois la population juive, pour  laquelle Israël serait reconnu comme l’Etat de tous les juifs du monde  et non pas des seuls juifs vivant à l’intérieur de cet Etat, et encore  moins des citoyens palestiniens sur lesquels il régnait.
Mais cet arrangement a échoué. Bien qu’elle ait fait  tout son possible pour être légitimée, l’Autorité palestinienne n’a pu  être considérée autrement que pour ce qu’elle est : une création de  l’occupation israélienne, une autorité qui, dans sa structure et sa  logique, n’est pas différente de tous les régimes coloniaux fantoches  d’Asie et d’Afrique, qui servent leurs maîtres, sans exclure les judenröte (les conseils juifs) que les nazis ont mis en  place dans les ghettos polonais occupés pour gérer la vie des juifs,  percevoir les impôts, tenir les bureaux de poste, entre autres ; ni les  bantoustans que l’Afrique du Sud de l’apartheid a créés comme patries de  remplacement (pour les Noirs). La tentative de l’Autorité palestinienne  d’acquérir le pouvoir de nommer les deux peuples, palestinien et juif, a  échoué, tout autant que les tentatives d’Israël avant la sienne. Les  Palestiniens restent exigeants à propos de leur nom et de leur inclusion  dans une nation palestinienne, pendant que les juifs non israéliens  insistent sur leur absence de double nationalité avec Israël, peu  important la façon dont ils soutiennent Israël par ailleurs. La  politique de la dénomination est la politique du pouvoir et de la  résistance. Le pouvoir des noms crée une fiction allant à l’encontre des  réalités matérielles. Si Israël a réussi à imposer des réalités  physiques et géographiques, sa tentative d’effacer une mémoire  historique a néanmoins échoué. Les Palestiniens font toujours obstacle à  la falsification de leur histoire et d’eux-mêmes. 
LA NAKBA, C’EST MAINTENANT : depuis que la Nakba est venue commettre ses actions tumultueuses en 1948, un combat permanent fait rage pour la définir comme un évènement passé et achevé, à l’opposé d’une action toujours en cours aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un combat épistémologique mais d’un combat politique ardent. Identifier la Nakba comme un évènement passé et achevé revient à clamer sa réussite et à mettre l’accent sur l’irréversibilité de ses réalisations. A affirmer qu’il n’y a plus à se battre pour la qualifier, ni de résistance victorieuse pour s’y opposer. C’est lui accorder une légitimité historique et politique, en tant que réalité, mais aussi considérer tous ses effets ultérieurs comme ses acquis naturels. Ainsi, le combat des citoyens palestiniens d’Israël aujourd’hui, selon l’histoire sioniste, n’est pas le combat anticolonial habituel, ni un combat pour des droits nationaux ou ethniques ou civils, mais un combat « anormal » pour inverser la Nakba.
LA NAKBA, C’EST MAINTENANT : depuis que la Nakba est venue commettre ses actions tumultueuses en 1948, un combat permanent fait rage pour la définir comme un évènement passé et achevé, à l’opposé d’une action toujours en cours aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’un combat épistémologique mais d’un combat politique ardent. Identifier la Nakba comme un évènement passé et achevé revient à clamer sa réussite et à mettre l’accent sur l’irréversibilité de ses réalisations. A affirmer qu’il n’y a plus à se battre pour la qualifier, ni de résistance victorieuse pour s’y opposer. C’est lui accorder une légitimité historique et politique, en tant que réalité, mais aussi considérer tous ses effets ultérieurs comme ses acquis naturels. Ainsi, le combat des citoyens palestiniens d’Israël aujourd’hui, selon l’histoire sioniste, n’est pas le combat anticolonial habituel, ni un combat pour des droits nationaux ou ethniques ou civils, mais un combat « anormal » pour inverser la Nakba.
Qu’Israël ait plus de 20 lois promulguées  institutionnalisant des privilèges religieux et raciaux juifs, en droits  et en devoirs, par rapport aux citoyens non juifs est présenté comme  une consécration normale de la Nakba que les Palestiniens continuent de  refuser. En effet, certains dirigeants israéliens, la plus récente étant  Tzipi Livni, ont suggéré que les citoyens palestiniens d’Israël  devaient partir vers des pays qui garantiraient leurs droits nationaux  au lieu de rester en Israël où il leur sera toujours refusé des droits à  l’égalité, du fait de « leur » Nakba dont ils prétendent qu’elle se  poursuit encore aujourd’hui. Il est souvent rappelé aux Palestiniens que  des peuples « beaucoup plus importants » qu’eux ont opté pour leur  départ volontaire d’un pays qui leur refusait des droits pour aller dans  un pays qui les leur garantissait, à savoir les juifs européens  eux-mêmes qui sont venus infliger la Nakba aux Palestiniens. Si les  Palestiniens d’Israël veulent rester en Israël, ils doivent accepter la  normalité de la Nakba et ne pas s’opposer à leur nouveau statut de mankubin qui ne peuvent avoir, et n’auront jamais, les  mêmes droits que les juifs. Leur refus des effets de la Nakba conduit  les citoyens palestiniens d’Israël à vouloir inverser ces effets,  exigeant qu’Israël abroge ses lois racistes et devienne un Etat  israélien, et non un Etat juif. Israël et maintenant le Président Bush  affirment que les effets de la Nakba doivent être acceptés par tous les  Palestiniens. La Nakba a transformé la Palestine en un « Etat juif »,  dit-on aux Palestiniens, c’est irréversible et aucun activisme pour les  droits civils, ni aucun combat national, ne sauraient défaire cette  réalité majeure. Les citoyens palestiniens d’Israël cependant ne  semblent pas convaincus et continuent de résister à cette  irréversibilité. Pourtant, d’après Israël, leur situation difficile ne  serait pas provoquée « par la Nakba », mais par leur insistance à  « résister » à la Nakba.
On dit aussi que les réfugiés palestiniens qui  croupissent dans les camps depuis 60 ans sont en fait comme toutes les  autres populations de réfugiés emportés par la guerre et dont le monde  du 20è et 21è siècles est rempli. Leur problème n’a pas de lien avec les  actions sionistes de 1947-1948 qui les ont expulsés de leur patrie  mais, soutient Israël, plutôt avec le refus depuis 1948 des Palestiniens  et des pays arabes d’accepter la Nakba comme quelque chose  d’irréversible et celui d’implanter ces pauvres réfugiés dans leurs pays  d’accueil. Les réfugiés, disent les sionistes, ne souffrent pas « à  cause » de la Nakba, mais de leur refus « d’admettre » la Nakba et de  s’accepter comme mankubin.
C’est comme pour ces Palestiniens de Cisjordanie, de la  bande de Gaza et de Jérusalem-Est, leurs problèmes ne résultent  certainement pas de la Nakba mais, comme le soutient Israël, du refus  arabe de l’accepter. Leurs problèmes sont nés de la guerre  internationale de 1967 qui elle-même résultait du refus arabe de la  Nakba en tant que fait établi. Si les Palestiniens et leurs alliés  acceptaient simplement d’entériner la Nakba comme un évènement passé et  achevé, alors les malheurs dont ils prétendent être toujours les  victimes disparaîtraient immédiatement.
Affirmer que la Nakba est un acte continu de  destructions, un acte non fini, c’est refuser d’admettre que son œuvre  est terminée. La résistance palestinienne est précisément la partie  inachevée de la Nakba et de sa violence en cours. Israël et ses  partisans internationaux prétendent que si les Palestiniens avaient  accepté la défaite et reconnu la Nakba, s’ils avaient accepté leur  expulsion, et leur citoyenneté de troisième ordre en Israël, et la  conquête de 1967, ils n’auraient plus de malheurs. Si vous, les  Palestiniens, connaissez la détresse, nous disent les Israéliens, c’est  parce que vous n’avez jamais cessé de lutter contre la Nakba.
Les Palestiniens résistent à la Nakba depuis dès les  années 1880, quand les colons juifs européens les ont chassés des terres  achetées par eux à des propriétaires absents et qu’ils les ont empêchés  de travailler sur des terres que les Palestiniens cultivaient depuis  des siècles. La résistance palestinienne a pris la forme d’une révolte  importante, de trois années, dans les années 1930 contre le soutien  britannique aux sionistes qui réalisaient la Nakba. Les Palestiniens ont  également résisté après les agissements des années 1947/1948 où la  plupart des terres ont été accaparées et confisquées par les lois  racistes de l’Etat juif. Leur résistance qui se poursuit contre la Nakba  en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, nous disent Israël et The New York Times, est en réalité une invitation à de  nouvelles Nakbas. Si les Palestiniens autorisaient Israël à les assiéger  dans la plus grande prison à ciel ouvert au monde, appelée Gaza, sans  lui résister, Israël ne serait pas obligé de les bombarder, de tuer  leurs enfants, et de détruire leurs maisons, il s’en tiendrait à les  affamer et à les garder à l’intérieur du mur de l’apartheid. Si les  Palestiniens acceptaient simplement leur statut de mankubin,  plus question alors de Nakba en tant que processus inachevé. Cette  logique de conquête n’est absolument pas exceptionnelle, et ne se limite  aux seuls Israéliens. N’y a-t-il pas une résistance en Iraq, plus  récente, qui s’oppose à l’achèvement de la mission d’invasion des  Etas-Unis que le Président Bush disait « accomplie » il y a cinq ans ?  C’est la résistance iraquienne aux destructions que les Américains sont  venus infliger en Iraq qui oblige le processus de destruction américain à  se prolonger et la mission américaine à rester toujours non accomplie. 
Enfermer tous ceux qu’il ne peut  expulser à l’extérieur derrière le mur d’apartheid, qu’il appellera  l’Etat palestinien, et y déplacer tous ceux d’Israël. 
« Des villages juifs furent construits à  la place des villages arabes. Vous ne connaissez même pas le nom de ces  villages arabes, et vous n’êtes pas à blâmer parce que les livres de  géographie n’existent plus. Non seulement ils n’existent plus, mais les  villages arabes non plus. Nahlal s’est érigé à la place de Mahlul, le  kibboutz Gvat à la place de Jibta, le kibboutz Sarid à la place de  Huneifis, et Kfar-Yehoshua à la place de Tel-Shaman. Il n’y a pas un  seul endroit dans ce pays qui n’ait eu auparavant une population arabe. »
Le succès de la résistance palestinienne à la Nakba a  contraint à un autre processus semblable qui, lui, vise à renommer les  victoires sionistes et israéliennes en une façon aujourd’hui admise dans  la plus grande partie du monde, et même, quoique de façon plus limitée,  aux Etats-Unis. Faisons écho aux propos de Dayan : la  résistance palestinienne et la victimisation ont remplacé les conquêtes  et les victoires sionistes. Beaucoup d’entre vous ne connaissent même  pas le nom des victoires sionistes, et je ne vous en blâme pas, parce  que les livres d’histoire et la propagande sionistes qui les ont  légitimées ne sont plus eux-mêmes considérés comme légitimes. Non  seulement ces livres et cette propagande ont perdu toute légitimité,  mais les victoires sionistes et israéliennes ne sont plus reconnues  comme telles. La Nakba s’est mise à la place de « la guerre  d’indépendance d’Israël », l’apartheid a remplacé « la souveraineté  juive », l’expulsion des Palestiniens a remplacé le « Plan Dalet » et  même le « retour des juifs sur leurs terres ancestrales », le racisme  institutionnalisé et juridique d’Israël a remplacé « la démocratie  israélienne », les citoyens palestiniens d’Israël ont remplacé les  « Arabes israéliens », le peuple palestinien a remplacé les  « communautés non juives en Palestine » telles que qualifiées par la  Déclaration Balfour, et le « matful » palestinien (couscous d’hiver) a  remplacé le « couscous israélien » qui persiste à vouloir remplacer le  « matful » palestinien. Il n’y a pas une seule victoire sioniste dans ce  pays à laquelle les Palestiniens n’ont pas résisté, et qu’ils n’ont  contestée.
Les Palestiniens ont résisté et résistent toujours à la  Nakba, avec détermination et refusant de quitter leurs terres ; par des  grèves, des manifestations et la désobéissance civile ; par l’art, la  musique et la danse ; par la poésie, le théâtre et les romans ; par  l’écriture de leur propre histoire et la revendication de leur propre  géographie ; par la saisine de la justice locale et internationale, et  des Nations unies. Les Palestiniens ont résisté également et résistent  toujours avec des pierres et des fusils. Le déni du droit des  Palestiniens à résister (résistance garantie et considérée comme légale  par le droit international) ne vise pas seulement à leur refuser l’usage  des armes à feu, mais aussi de l’art, des livres, de la musique, des  manifestations, et même de saisir les Nations unies, d’enseigner  l’histoire palestinienne, de raconter la Nakba, de s’en souvenir et de  la commémorer.
Toujours partir.
Cette Nakba que les planificateurs sionistes ont  élaborée à la fin du 19è siècle et qui comprenait la mainmise sur toute  la Palestine, l’expulsion de toute sa population arabe aborigène, et de  la rendre Arabrein (vide d’Arabes), cette Nakba se  poursuit à bon pas. Mais alors que l’acquisition des terres a commencé  dans les années 1880 et que le vol en masse du pays s’est produit en  1948, Israël n’a toujours pas été en mesure de s’emparer de tout le  territoire. La confiscation des terres qui se poursuit à Jérusalem-Est  et en Cisjordanie fait partie de la Nakba. Les projets sionistes de  rendre Israël Arabrein avancent sans perdre de  temps. Si Israël n’a pas la capacité, vu le droit international,  d’expulser tous les Arabes, il a conçu une alternative intelligente, à  savoir enfermer tous ceux qu’il ne peut expulser à l’intérieur d’un mur  d’apartheid, qu’il appellera Etat palestinien, tout en projetant  d’expulser tous les résidents palestiniens à l’extérieur de ce mur  d’apartheid, à savoir les citoyens palestiniens d’Israël, à l’intérieur  de ce mur. L’aboutissement sera en effet un Israël Arabrein,  à l’extérieur du mur.
La destruction de plus de 500 villages palestiniens n’a  pas eu lieu qu’en 1948 mais s’est déroulée tout au long d’un processus  qui a duré des années après la conquête sioniste. L’expulsion des  Palestiniens de leurs terres a commencé dans les années 1880, et une  expulsion beaucoup plus importante, à l’intérieur et vers l’extérieur de  la Palestine, a commencé sérieusement en novembre 1947. Il est vital de  se rappeler que les forces sionistes avaient expulsé 400 000  Palestiniens de leurs terres avant le 14 mai 1948. Des centaines et des  centaines de milliers d’autres ont dû partir dans les mois et les années  qui suivirent, durant les années 1950 et à nouveau depuis 1967. Les  expulsions n’ont pas cessé. La présence de Palestiniens est ce qui  pousse Israël à les expulser. Si les Palestiniens acceptaient de se  déplacer d’eux-mêmes, et donc de quitter la Palestine, comme leur dit  Israël, il n’y aurait plus d’expulsions. Je tiens à souligner ici que  l’insistance sioniste pour un auto-déplacement ne vise pas que les  Palestiniens. Depuis leur création jusqu’à aujourd’hui, le sionisme et  Israël ont toujours recommandé, et continuent de recommander au monde  juif de s’auto-déplacer en Israël. Comme les Palestiniens, la plupart  des juifs de l’extérieur d’Israël continuent de résister à l’appel  d’Israël à venir d’eux-mêmes. Si Israël n’est plus en mesure d’obliger  les juifs de l’extérieur de ses frontières à venir en Israël (il l’a  fait souvent par le passé), il peut et il a la volonté de déplacer les  Palestiniens, quelle que soit l’ampleur de leur résistance. 
Les Palestiniens et leurs alliés ont entrepris également  une campagne internationale de désinvestissement et de boycott d’Israël  jusqu’à ce que celui-ci cesse de violer le droit international par  l’occupation continue de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, et cesse  ses crimes de guerre permanents contre les Palestiniens. C’est là une  autre campagne cruciale et qui a déjà remporté un certain nombre de  victoires impressionnantes
Cela ne veut pas dire que pour les Palestiniens, la  souffrance ne va pas continuer, partout. C’est au cours de ces dernières  années que la souffrance des habitants de la bande de Gaza fut la plus  forte, alors qu’Israël les sanctionne pour avoir refusé le règne de  l’Israël Palöstinenserrat et de ses collaborateurs  palestiniens imposé en Cisjordanie et qu’ils tentèrent d’imposer dans la  bande de Gaza en voulant vainement renverser le gouvernement  palestinien démocratiquement élu. Les crimes de guerre d’Israël contre  les Gazaouis se poursuivent à grande cadence mais les Gazaouis n’ont pas  d’autre choix que de rester vigilants et de résister.
Mais en résistant à la Nakba, les Palestiniens touchent  en plein cœur le projet sioniste qui prétend que la Nakba doit être vue  comme un évènement du passé. En résistant à Israël, les Palestiniens  obligent le monde à assister à la Nakba, en tant qu’action toujours en  cours, aujourd’hui : une action qui, contrairement aux idées sionistes,  est en réalité réversible. C’est précisément ce qui exaspère Israël et  le mouvement sioniste. L’incapacité d’Israël à mener à son terme sa  mission de colonisation de la Palestine, d’expulsions de tous les  Palestiniens, de « rassemblement » de tous les juifs du monde dans ses  colonies, le laisse mal à l’aise et fait que son projet reste toujours  un projet en cours.
Si Israël s’est servi de cette situation pour se  présenter comme une victime, la victime de ses propres victimes qui  refusent de lui donner la légitimité de faire d’eux ses victimes, Israël  comprend, non seulement dans son inconscient, mais aussi très  consciemment que son projet restera toujours réversible. La cruauté  qu’il a montrée et qu’il continue de montrer à l’égard du peuple  palestinien est directement proportionnelle à sa conviction que ce  peuple a la capacité de mettre à bas les réalisations d’Israël et à  inverser son projet colonial. Le problème pour Israël n’est pas de  croire ou de savoir qu’il n’y pas un seul endroit dans ses implantations  coloniales qui n’ait eu auparavant une population arabe, son problème  vient du fait qu’il réalise qu’il n’y a pas un seul endroit aujourd’hui  dans son « Etat juif » imaginaire, où il n’y a pas une population arabe  « toujours présente » qui le revendique comme son bien propre.
Si la Nakba reste inachevée, c’est précisément parce que  les Palestiniens refusent de la laisser les transformer en mankubin. Que nous assistions aux commémorations de  cette année (2008), ne fait pas seulement une année de plus de la Nakba,  mais une année de plus de la résistance à la Nakba. Ceux qui  conseillent aux Palestiniens d’accepter la Nakba savent qu’accepter la  Nakba serait lui permettre de se prolonger, sans retenue. Les  Palestiniens ont mieux à faire. La seule façon de mettre fin à la Nakba,  affirment les Palestiniens, c’est de continuer à lui résister.
Joseph Massad est maître de conférence en histoire politique et intellectuelle à l’université de Columbia, New York. Il a écrit : La persistance de la question palestinienne.
                Al-Ahram/Weekly - Publication n° 897 du 15 au 21  mai 2008 - traduction : JPP