Ali Abunimah
J’ai beaucoup d’admiration et de respect pour Noam Chomsky, un des principaux intellectuels de notre temps, dont le travail m’a ouvert les yeux sur un grand nombre de questions. Mais comme beaucoup d’autres, je suis de plus en plus déconcerté par les nombreuses incohérences dans son point de vue sur la Palestine.
Il y a quelques mois, par exemple, j’ai répondu à son opposition au mouvement boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) lors du programme de radio Voix du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de Khalil Bendib.
Après que Chomsky a été outrageusement empêché par Israël de se rendre en Cisjordanie occupée au cours du week-end, je n’ai pu m’empêcher d’être frappé par une autre contradiction flagrante.
Dans son interview du 17 mai sur Democracy Now, il a dit à Amy Goodman que son itinéraire prévoyait une réunion avec Salam Fayyad, "le premier ministre" non élu de l’ Autorité palestinienne de Ramallah, soutenu par les USA et Israël, qui a été imposé après que les USA ont aidé à renverser le « gouvernement d’unité nationale » qui a suivi les élections de 2006.
Chomsky dit à Goodman : "J’allais rencontrer le premier ministre [Fayyad]. Malheureusement, je n’ai pas pu le faire. Mais son bureau m’a appelé ici à Amman, ce matin, et nous avons eu une longue discussion.
Il mène une politique qui, à mon avis, est tout à fait raisonnable ; il part des faits sur le terrain. C’est presque - je pense que c’est probablement une imitation consciente de la politique sioniste initiale - l’établissement des faits sur le terrain et en espérant que les formes politiques qui vont suivre seront déterminées par ces faits. Et les politiques m’ont l’air raisonnables et saines. La question, bien sûr, est de savoir si, - dans la mesure où Israël et les USA sont des facteurs déterminants - ils permettront leur mise en œuvre. Mais si elles sont appliquées, et si, bien sûr, Israël et les USA renoncent à essayer systématiquement de séparer Gaza de la Cisjordanie, ce qui est tout à fait illégal, si cela continue, oui, on pourrait obtenir un État palestinien viable".
Vraiment ? Chomsky le grand critique des efforts US visant à saper la démocratie et à imposer ses clients dans le monde appuie à présent chaleureusement un régime fantoche appuyé par les USA ? Ne me croyez pas sur parole. Voici ce que Chomsky a dit à propos précisément de la même Autorité palestinienne de Ramallah dont il trouve maintenant "le premier ministre" tellement "raisonnable" lors d’ une conférence à Boston le 21 janvier 2009.
Après avoir décrit longuement comment Israël avait l’intention d’enlever aux Palestiniens d’ Israël et des territoires occupés ce qui leur reste de droits et de compléter la colonisation des terres palestiniennes restantes, Chomsky dit :
Eh bien, ces propositions ne peuvent être appliquées que si elles ne rencontrent pas de résistance. En Cisjordanie, il y a maintenant très peu de résistance, parce que la violence israélienne a en effet affaibli la résistance de la population. Et aussi à cause de ceux qui collaborent parmi les forces palestiniennes. Comme vous le savez certainement, Israël, les USA, et leurs alliés, les dictatures arabes — Jordanie, Égypte — ont entraîné des forces de sécurité - les forces de sécurité du Fatah-dont la tâche principale est de maîtriser la population. En cas de manifestations contre les atrocités perpétrées à Gaza, ce sont ces forces-là qui interviendront au lieu de l’armée israélienne. C’est un schéma typiquement colonial. Toute l’histoire du colonialisme fonctionne comme cela.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais c’est absolument courant, très courant. Comme, disons en Inde, où la population était maintenue sous contrôle principalement par des soldats indiens sous commandement britannique. C’est simplement une procédure typique et naturelle. En Tchétchénie aujourd’hui , les forces militaires tchétchènes maintiennent l’ordre tandis que les Russes restent à l’arrière-plan pour le cas où les choses tourneraient mal. C’est de la routine et c’est le système qui est repris en Cisjordanie. D’accord, ils ont réussi à atténuer les manifestations en Cisjordanie pour pouvoir appliquer leur politique sans problème, mais il leur faut encore faire plier Gaza. À Gaza, on résiste toujours.
Plus loin, Chomsky parle d’Israël qui a renié l’accord de 2005 concernant l’ouverture des frontières de Gaza et qui maintient l’actuel blocus :
Quelques mois plus tard, en janvier 2006, Israël a rejeté l’accord tout comme les USA. Et la raison en était que les Palestiniens avaient commis un crime vraiment grave. Ils avaient mal voté lors d’élections libres. Et cela ne se fait pas. Le parrain n’aime pas ça et par conséquent, vous devez être punis. Et c’est ainsi que la communauté internationale doit écrire des articles vertueux sur notre désir de démocratie, et là encore, c’est ainsi que les affaires internationales fonctionnent et comment notre système culturel fonctionne...
Ce qui est arrivé à Chomsky c’est qu’il soutient, qu’il appuie et qu’il marque de son sceau, ce qu’il a lui-même décrit comme un régime colonial de collaboration ?
18 Mai 2010 - Cet article peut être consulté ici :
http://aliabunimah.posterous.com/bl...
Traduction : Anne-Marie Goossens
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Traduction : Anne-Marie Goossens