Jonathan Cook
La poursuite de Makhoul et Sayid par le  Shin Bet doit être comprise dans le cadre de la conviction qu’a  l’establishment israélien que la minorité arabe présente une menace  politique  pour la survie d’un Etat juif.
L’arrestation récente de deux  personnalités respectées de la minorité arabe des Palestiniens d’Israël  lors de descentes nocturnes chez eux de la police secrète du Shin Bet  -mise en lumière cette semaine quand l’ordre de censure a été   partiellement levé- a provoqué une onde de  choc dans toute la  communauté.
Ces arrestations ne sont pas les premières du genre. Le  Shin Bet a traqué et emprisonné les intellectuels  et hommes politiques  appartenant à  la minorité palestinienne, soit un cinquième de la  population du pays, depuis la naissance de l’Etat juif il y a plus de 60  ans. Actuellement deux députés de partis politiques arabes, de même que  le dirigeant du Mouvement populaire islamique, sont en procès.
Mais la détention par les forces des services de  renseignement israéliens de Amir Makhoul et Omar Sayid est perçue  différemment- comme l’accumulation de nuages d’orage politiques dans un  climat déjà farouchement hostile aux citoyens palestiniens.
Mohammed Zeidan, responsable de l’Association pour les  droits humains ( Human Rights Association) à Nazareth a déclaré :“Nous  avons l’habitude que nos dirigeants politiques soient persécutés mais  maintenant c’est contre les dirigeants de la société civile  palestinienne en Israël que le Shin Bet se tourne et c’est un  développement très dangereux.”
Makhoul et Sayid ne sont pas accusés des habituelles  atteintes à l’ordre public, et ils n’ont pas non plus violé les lois  racistes qui criminalisent les visites que rendent des citoyens  palestiniens à des pays arabes. Tous les deux tombent sous le coup de  l’accusation bien plus grave d’espionnage au profit du Hezbollah  libanais.
Makhoul, qui semble attirer plus particulièrement  l’intérêt du Shin Bet,  est le responsable d’Ittijah, une plateforme qui  coordonne les activités des groupes palestiniens de défense des droits  humains en Israël. Plus particulièrement, il est devenu la voix  principale qui en Israël soutient la campagne internationale pour le  boycott, les sanctions contre Israël et le désinvestissement, campagne  qui prend de l’ampleur.
Mercredi (12 mai) les tribunaux ont approuvé la  prolongation de la garde à vue de Makhoul. Sa présence au tribunal a été  interdite et il s’est vu refuser le droit d’avoir un avocat, ce jusqu’à  lundi prochain au moins, soit  12 jours après son arrestation. Il est,  dit-on, interrogé 24 heures sur 24.
Sayid, militant du parti Tajamu, est un scientifique  spécialisé dans le développement de nouveaux médicaments à partir de  plantes proche-orientales. Il est aux mains du Shin Bet depuis le 24  avril.
Amnesty International  a menacé de déclarer Makhoul   “prisonnier de conscience,” affirmant que son arrestation relève du  harcèlement pur et simple, afin d’empêcher « son travail pour les droits  humains ».
Des observateurs de la minorité palestinienne tiennent  aussi pour ridicules  ces accusations, basées sur des preuves tenues  secrètes,  selon lesquelles les deux hommes auraient « des contacts avec  des agents ennemis ».
Ils font observer que dans les conditions d’urgence  draconiennes  qui sont à l’oeuvre dans cette affaire, la preuve la plus  minime et la plus indirecte suffit au  Shin Bet pour émettre une telle  accusation.
Selon Zeidan c’est une atteinte à la sécurité bien  facile et « à taille unique » qu’il est difficile de contrer mais qui  convaincante pour la majorité juive.  “Il suffit qu’à une conférence tu rencontres sans le vouloir le parent  d’un parent de quelqu’un qui est au   Hezbollah et le  Shin Bet  considère qu’il a des éléments pour t’arrêter.”
La minorité palestinienne n’est pas seule à croire que   Makhoul et Sayid ne sont pas des espions, dans le sens usuel de la  communication à l’ennemi d’informations top secret ou sensibles. Dans  leur majorité les correspondants militaires israéliens rejettent aussi  les accusations d’espionnage. Dans le quotidien israélien Haaretz, les  journalistes Amos Harel et Avi Issacharoff font remarquer que ni l’un ni  l’autre  de ces citoyens palestiniens n’est au courant de secrets qui  pourraient intéresser le Hezbollah.
Les journalistes pensent au contraire que d’autres  motifs se cachent derrière ces arrestations. D’après eux, les contacts  entre les ennemis d’Israël comme le Hezbollah et les militants qui   défendent les droits des Palestiniens en Israël sont une menace parce  que les dirigeants palestiniens en Israël pourraient offrir leur aide  pour « coordonner les positions politiques »  ou lancer des « mouvements  de protestation ou des émeutes pendant les périodes sensibles ». Voici  qui étend radicalement la définition traditionnelle de « l’espionnage ».
Aux yeux des dirigeants de la communauté  (palestinienne), la poursuite de Makhoul et Sayid par le Shin Bet doit  être comprise dans le cadre de la conviction qu’a l’establishment  israélien que la minorité arabe présente une menace politique  pour la  survie d’un Etat juif.
Les racines de cette perception remontent à la signature  des accords d’Oslo. Avec le lancement de ce processus de paix avec les  Palestiniens, les dirigeants politiques israéliens ont commencé à  reconsidérer le statut de la large minorité palestinienne. Beaucoup  pensaient que de permettre à une partie significative de la population  palestinienne de rester à l’intérieur d’Israël en tant que citoyens se  révèlerait un jour le talon d’Achille du pays.
Est ce que la minorité palestinienne ne pourrait pas  permettre aux Palestiniens des territoires occupés d’avoir « un pied à  l’intérieur », pour essayer de regagner toute la Palestine historique  plutôt que d’accepter un mini-Etat en Cisjordanie et dans la bande de  Gaza ?
Ces peurs ont pris une ampleur spectaculaire quand Oslo a  mal tourné et que la deuxième Intifada a éclaté en 2000. Israël croyait  que les Palestiniens avaient rejeté ses offres « généreuses » à  Camp  David dans l’espoir qu’ils pourraient utiliser la minorité palestinienne  comme Cheval de Troie pour détruire l’Etat juif de l’intérieur par la  démographie.
Ehud Barak, le premier ministre d’alors, a appelé la  minorité palestinienne le « fer de lance » de ce qu’il pensait être une  tentative de Yasser Arafat de démanteler Israël en tant qu’Etat juif. Il craignait que le programme de réforme politique qui exigeait un  « Etat de tous les citoyens », devenu le cri de ralliement des citoyens  palestiniens,  n’ait pour intention réelle de permettre le retour de  millions de réfugiés palestiniens sous couvert de lutte pour l’égalité  des droits.
Israël a répondu en rendant impossible tout contact  entre les Palestiniens de l’intérieur et ceux des territoires occupés, y  compris en construisant un mur autour de la Cisjordanie et par une loi  interdisant effectivement les mariages entre Palestiniens des deux côtés  de la Ligne verte.
Faut-il s’étonner que la cible principale du Shin Bet  avant ces dernières arrestations ait été Azmi Bishara, l’architecte de  la campagne  “l’Etat de tous ses citoyens” ?  En 2007 Bishara fut accusé  d’espionnage en faveur du Hezbollah et il vit en exil depuis lors.
A l’époque, Yuval Diskin, chef du Shin Bet, avait  prévenu qu’il considérait que son boulot était d’ “étouffer” toute  activité, y compris politique, qui menaçait la survie d’Israël en tant  qu’Etat juif.
Selon Zeidan et d’autres analystes, l’implication du  Shin Bet dans les dernières arrestations semble guidée par la même  analyse, à savoir que la minorité palestinienne présente à nouveau une  « menace existentielle » pour Israël- bien que pour des raisons  différentes.
Makhoul est perçu comme la tête de file d’un mouvement  qui émerge à l’intérieur d’Israël et qui, confronté au refus israélien  d’engager des réformes politiques pour démocratiser le pays,  élabore de  nouvelles stratégies politiques.
Il n’a pas caché les nombreux contacts qu’il a  développés à la fois avec les militants occidentaux de la solidarité  avec la Palestine et dans le monde arabe, en insistant sur la nécessité  de boycotter Israël. Il était aussi au premier plan des manifestations, à  l’intérieur d’Israël, contre l’attaque menée contre Gaza l’an dernier.  Il avait été convoqué et interrogé par le Shin Bet à l’époque.
“L’occupation ne fait plus la Une,” dit Zeidan.  Aux  yeux du Shin Bet, les grosses menaces auxquelles Israël est confronté  sont la détérioration de son image en termes de droits humains et l’idée  qui se répand à l’étranger que c’est un Etat d’ apartheid.
“La société civile palestinienne en Israël, encore plus  que nos partis politiques, est bien placée pour  défendre ces questions devant la communauté internationale, pour mettre  en évidence le racisme et la discrimination qui sont inhérents à un Etat  juif. C’est à cette lumière que doit être comprise l’arrestation de  Amir Makhoul.
“Le  Shin Bet considère que nous avons passé une ligne  rouge dans la défense de nos droits au niveau  international.”
Jonathan Cook, écrivain et  journaliste est basé à Nazareth, Israël. Derniers livres :  “Israel and  the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the Plan to Remake the  Middle East” (Pluto Press)  et  “Disappearing Palestine : Israel’s  Experiments in Human Despair” (Zed Books).
Une version de cet article est d’abord parue dans  The  National (www.thenational.ae), publié à Abu Dhabi.
publié par Ma’an news
traduction : C. Léostic, Afps