Dominique Muselet
          J’ai eu l’occasion de faire dernièrement un petit périple dans  le nord d’Israel où j’ai eu des contacts avec des Arabes israéliens et  palestiniens et avec des Juifs qui oeuvrent dans des organisations des  droits de l’homme. Une d’elles s’appelle Machsom Watch.         
Mai 2006 - Anata/Shu’fat Checkpoint -  Photo : Neta Efroni
Elle est composée de femmes juives qui se sont donné  pour mission de maintenir une présence aux barrages érigés par l’état  d’Israël le long du Mur entre Israël et les territoires occupés qu’on  appelle pudiquement en Israël "les territoires" pour ne pas prononcer  "occupés" ou "Palestine".
La langue de bois a atteint un niveau de subtilité ici  digne des pires oppressions de l’histoire de l’humanité. Ainsi le mot  "Machson" (barrage) lui-même n’est plus employé par l’armée qui l’a  remplacé par le mot "maavarim" qui veut dire passage. Evidemment ça  change tout !
Ces femmes juives sont là, en tant que témoins devant  lesquels Tsahal, l’armée israélienne et ses sous-traitants n’osent pas  se conduire trop mal avec les Palestiniens et elles interviennent auprès  des soldats ou de leur hiérarchie pour essayer de résoudre les cas les  plus dramatiques. Beaucoup passent leurs journées au téléphone et en  démarches pour la plupart inutiles.
J’ai visité 3 barrages à Bartaa avec deux femmes de  Machsom Watch.
Bartaa est un endroit un peu particulier. C’est une  ville [1] qui est pour moitié Palestinienne et pour moitié Israélienne,  car la ligne verte, frontière de 48 prescrite par l’ONU, passe au milieu  de la ville.
Les habitants de la partie palestinienne du village sont  enfermés entre le Mur d’un côté, situé à l’extérieur de la ville en  plein territoire palestinien, et la ligne verte, qui coupe le village en  deux. Ils n’ont pas le droit d’aller en Israël, c’est-à-dire dans la  partie Israélienne du village, de laquelle aucun barrage ne les sépare,  mais ils sont coupés de leurs terres (ils sont pour la plupart  agriculteurs) et de leur pays, la Palestine, par le Mur érigé à la  sortie de leur ville.
Le plus grand de ces barrages, territoire de l’armée  Israélienne sur le sol Palestinien, ressemble à une prison entourée de  grilles et de barbelés surmontée de tourelles et de tours d’où des  soldats braquent en permanence des armes sur les palestiniens qui se  présentent a l’entrée des 100 mètres de couloir grillagé qui les mènent  aux pièces intérieures où ils doivent se déshabiller après avoir  présenté leurs papiers.
La plupart veulent simplement venir dans la partie  Palestinienne de Bartaa qui est devenue une sorte de no man’s land  commercial où les Israéliens viennent profiter des produits palestinien  et de la main d’oeuvre bon marché.
Les Palestiniens qui veulent aller en Israel, doivent  avoir un permis spécial et ce permis est si difficile à obtenir que  beaucoup de Palestiniens se rendent en Israël sans permis pour essayer  de gagner deux sous au noir ; s’ils sont attrapés ils vont en prison.
Les Palestiniens ne savent jamais combien de temps il va  leur falloir pour arriver de l’autre cote du barrage, alors ils se sont  levés a 3 ou 4 heures du matin, ils sont venus à pied ou en taxi  collectif jusqu’au barrage car même s’ils ont une voiture, ce qui est  rare, ils n’ont pas le droit de la passer du côté israélien. Des taxis  israéliens attendent donc de l’autre coté et les emmènent sur leur lieu  de travail.
A côté du passage piéton, une vingtaine de voitures et  camionnettes, toutes au bord de la ruine attendent, sous le soleil  brûlant, de pouvoir passer. La moitie est chargée de fruits, légumes,  oeufs et autres produits frais dont Israël est friand parce qu’ils sont  très bon marché. C’est pourquoi on les laisse passer mais cela prend des  heures.
Chaque chargement est entièrement démonté et attend là,  en plein soleil. Des chiens sont amenés pour renifler tous les coins de  la voiture. Les chauffeurs palestiniens maigres et loqueteux se  protègent comme ils peuvent du soleil en se couchant par terre le long  de leur véhicule.
Le contrôle est effectué par une société de sécurité.  Les soldats de Tsahal les encadrent seulement et ne se salissent plus  les mains depuis que l’armée s’est aperçu que ce "travail" avait une  influence négative sur les recrues.
Pour donner a cet ensemble carcéral un air printanier,  des fleurs et des arbres ont été plantés récemment le long des grillages  et les Palestiniens qui n’ont pas d’eau dans les territoires car elle  est confisquée par Israël assistent a l’arrosage soigneux des espaces  verts du barrage.
Pendant ce temps, les voitures des colons juifs passent  librement sur une allée parallèle à celle ou les Palestiniens attendent  des heures en plein soleil.
Je contemple tout ce dispositif inhumain fait de  violence et de cruauté gratuites et je me sens hébétée, déprimée,  impuissante, même pas en colère, bizarrement car tout le monde ici,  Palestiniens comme Juifs, fait figure de rouages d’une infernale machine  de déshumanisation et destruction que plus personne en Israël ne  contrôle et qui un jour, à force d’escalade, explosera et détruira tout  le monde, les bourreaux comme les victimes, si personne ne la débranche.
La partie palestinienne de Bartaa où les Israéliens  circulent librement, est devenue un immense bazar où l’on trouve de  tout, même des ateliers de couture où les femmes palestiniennes des  territoires occupés, qui ont de la chance, peuvent venir se faire  exploiter.
Les Israéliens viennent y acheter, en toute sécurité,  les marchandises palestiniennes infiniment moins chères que les produits  israéliens.
Les Palestiniens, acculés par la misère au point qu’ils  ne survivent que grâce à l’aide internationale (Gaza fait partie des 10  endroits les plus pauvres du monde, et le reste de la Palestine est à  peine mieux lotie) viennent y vendre le peu qu’ils ont, pour presque  rien. Ils n’ont pas le choix, ils n’ont pas d’autre débouché.
Pardon, je me trompe, ils ont une autre possibilité, ils  travaillent aussi pour les colons juifs des colonies juives "légales"  et " illégales" qui les exploitent encore plus quand ils ne volent pas  carrément leurs terres et leurs olives....
Les deux autres barrages sont beaucoup plus petits.
Le deuxième barrage permet a des enfants palestiniens  d’aller à l’école qui est restée de l’autre cote du Mur et à des paysans  d’aller travailler à leurs champs eux aussi restés de l’autre côté du  Mur, en faisant un grand détour car il est interdit aux Palestiniens  d’emprunter, de traverser ou de s’approcher de la magnifique route  réservée aux colons juifs.
Le troisième barrage qui est constitué de barbelés avec  des portes et cahutes à l’abandon, n’est ouvert que deux heures par jour  pour permettre à d’autres Palestiniens d’aller à d’autres champs. Il y  avait là 3 soldats de Tsahal, deux garçons et une fille de 20 ans, avec  tout leur harnachement et leurs armes sous un soleil de plomb qui  faisaient autant pitié que les Palestiniens.
Tous ces barrages (il y en a des centaines dont une  grande partie se trouve a l’intérieur des territoires Palestiniens  eux-mêmes) se ferment au moindre prétexte et sont bien sur complétement  fermés pendant les fêtes juives.
Les territoires occupés et surtout Gaza sont une grande  prison où les prisonniers arabes affamés et humiliés ne rêvent que de  s’immoler pour retrouver leur liberté.
Les territoires occupés sont interdits aux Juifs pour  raison de sécurité mais de toutes façons les Juifs en général et les  Juifs israéliens en particulier ne veulent pas savoir ce qui s’y passe  (il leur suffirait pourtant de lire Haaretz qui a condamné et décrit  l’occupation depuis le début et qui est un des meilleurs quotidiens du  monde) et l’Europe et les USA, soutiennent Israël, leur bras armé au  Moyen-orient.
[1] En Israël, il y a très peu de villes ou villages où  les Arabes et les Juifs vivent ensemble. J’en connais trois, Haifa,  Jaffa et Névé Shalom. Dans l’état hébreu, Les agglomérations où vivent  les Arabes israéliens sont toutes appelées " village arabe ", quelle que  soit leur taille.
                25 septembre 2007 - Communiqué par l’auteure