Paul Larudee - Silvia Cattori
          Paul Larudee, un participant californien à cette audacieuse  entreprise, répond aux questions de Silvia Cattori.         
 L’étranglement de la population de Gaza par Israël
La population de Gaza est victime du plus grand scandale  de notre temps. Gaza est à l’agonie non pas à cause d’une catastrophe  humaine naturelle mais à cause d’une catastrophe minutieusement  organisée et exécutée par Israël. Une coalition internationale, qui  rassemble nombre d’organisations et mouvements, se prépare à envoyer une  flottille de dix bateaux pour briser le blocus israélien illégal qui  asphyxie Gaza.
 Tanks israéliens aux frontières de Gaza
 Silvia Cattori : Avec le  Free Palestine Movement californien que vous présidez, vous vous  préparez à vous joindre en Méditerranée à un convoi composé d’une  impressionnante flottille. Vous étiez à l’origine du projet dont les  bateaux ont réussi à accoster Gaza en août 2008. Ce succès avait alors  consacré la naissance du Free Gaza Movement (FGM). Qu’est-ce qui  n’allait pas avec ce mouvement qui vous a conduit à en créer un autre (1) ?
Paul Larudee : Nous  n’étions à l’origine qu’un petit groupe de gens basés en Californie que  le projet de partir à Gaza par mer avait réunis. Après avoir réussi à  naviguer avec notre groupe jusqu’à Gaza, pour la première fois en 40  ans, je pensais que, après ce test réussi, Free Gaza devait s’en tenir  là et cesser d’envoyer des petits bateaux sans envergure et sans  matériel conséquent. Qu’il fallait envisager quelque chose de plus  ambitieux susceptible d’ouvrir à la population de Gaza des perspectives  concrètes. Je pensais qu’il fallait organiser un système régulier de  transport de marchandises et de passagers capable de contribuer à  l’amélioration de la vie des Palestiniens de Gaza.
Après cette expérience, notre groupe s’est scindé en  plusieurs groupes, dont celui qui est devenu le Free Palestine Movement.  De nouveaux groupes sont nés qui ont créé d’autres initiatives, et ont  poursuivi la lutte pour contraindre Israël et l’Égypte à lever le blocus  qui enferme Gaza (2).
Aujourd’hui le mouvement prend de l’ampleur. Grâce aux  efforts de plusieurs ONG - pas seulement européennes - soutenues par des  volontaires et des personnalités de 30 pays, une grande coalition s’est  créée (3) ; elle prépare l’envoi d’une flottille de dix  navires qui vont transporter plus de 500 personnes, et trois cargos qui  vont livrer 5 000 tonnes de matériel urgent à Gaza.
C’est la plus grande initiative internationale de ce  genre jamais organisée. 30 pays sont représentés par les gens qui vont  partir avec ce convoi maritime. Le départ vers Gaza est prévu dans le  courant de mai et les bateaux devraient atteindre leur destination avant  la fin du mois.
Silvia Cattori : Avec quel  groupe le Free Palestine Movement va-t-il naviguer ?
Paul Larudee : Nous allons  naviguer avec les bateaux affrétés par le Greek Free Gaza Movement.  Chaque groupe est responsable de ses propres bateaux et des passagers  qu’il prend à son bord.
Silvia Cattori : Quelques  jours après l’annonce de cette coalition destinée à secourir Gaza, il y a  eu des menaces sur des militants (4). Les organisateurs de cet impressionnant convoi  n’ignorent pas que l’armée israélienne et ses agents se préparent  certainement déjà à faire capoter ce projet ?
Paul Larudee : Avec une  flotte de cette importance, dont les préparatifs ont duré plus d’une  année, les organisateurs ont fait ce qu’ils pouvaient faire de mieux. La  dimension de ce convoi se hausse à la hauteur de la tâche. Elle devrait  rendre plus difficile toute tentative d’interdire le passage de la  flottille.
Silvia Cattori : Cela n’en  reste pas moins un défi dont l’issue est incertaine. Israël cherche  notamment à liquider la direction du Hamas à Gaza. Ses agents se sont  toujours servis du mouvement de solidarité pour faire du renseignement  en Palestine. La suspicion demeure qu’Israël a laissé accoster plusieurs  bateaux conduits par Free Gaza en 2008 parce qu’il y avait trouvé son  intérêt. Quand il n’y a plus trouvé son intérêt, il les a stoppés (5). Ce qui nous laisse penser qu’il ne laissera  passer votre convoi que s’il y trouve son compte. Ou si, en cas  d’épreuve de force en mer, votre flottille se voyait assurée du soutien  d’États. Comment les organisateurs de ce convoi vont-il résoudre la  question cruciale des infiltrations ?
Paul Larudee : Nous sommes  des groupes ouverts et transparents. Nous sommes bien sûr conscients de  tout cela et prenons des précautions en conséquence. Je crois que nos  alliés palestiniens qui attendent notre arrivée savent mieux que  quiconque que, malgré toutes les précautions, l’infiltration d’agents  est possible. Cela fait partie du jeu.
Silvia Cattori : Avez-vous  établi une stratégie dans le cas où Israël vous barrerait le passage ?
Paul Larudee : Oui, bien  sûr. Je crois que ce ne sera pas chose facile pour Israël de nous barrer  la route. Il y aura à bord des personnalités éminentes. Il y aura des  journalistes. Il va être difficile aux médias qui voudraient l’ignorer  de passer sous silence une flottille de cette ampleur et comprenant  autant de personnalités ayant pour but de porter secours à une  population en grande détresse.
Israël n’a aucune légitimité à empêcher notre convoi de  naviguer dans les eaux internationales, puisque nous n’entrons pas dans  des eaux reconnues par aucune autorité - y compris israélienne - comme  territoire israélien. Nous sommes déterminés à ne pas nous laisser  stopper par son armée car c’est notre droit de naviguer dans cette zone.  Nous allons résister ; nous ne céderons pas. La marine israélienne  devra faire usage de la force, envoyer des commandos à bord de nos  bateaux....
Silvia Cattori : Depuis 44  ans, aucun bateau palestinien n’a jamais pu franchir cette zone ; la  marine israélienne coule les bateaux palestiniens. Tout n’est-il pas  envisageable ?
Paul Larudee : Toutes  sortes de scénarios sont prévus. Nous nous préparons à mobiliser  l’opinion publique et à faire connaître notre droit de navigation. Des  avocats sont prêts à intervenir et à nous défendre si ce droit est  menacé. Nous pouvons compter sur l’effet médiatique qu’une pareille  opération ne manquera pas de provoquer. Plus de 30 pays vont avoir des  ressortissants à bord de ces bateaux. Ils feront appel à leurs  gouvernements. Quant au Free Palestine Movement, il peut compter sur  l’appui de membres du Congrès des États-Unis. Barbara Lee, représentante  de notre département en Californie, est prête à défendre nos droits. Je  suis assez optimiste.
Silvia Cattori : Quand on  parle avec des gens à Gaza, on les sent très désabusés sur les  va-et-vient d’internationaux. Ils disent n’en avoir jamais vu de  retombées. La première fois, les bateaux de Free Gaza ont suscité de la  joie. Puis cela les a laissés totalement indifférents. C’était pour eux  des effets médiatiques sans conséquences. En quoi ce nouveau convoi  pourra-t-il véritablement trancher ?
Paul Larudee : Après le  premier accostage avec les deux petits bateaux symboliques, je  souhaitais que l’on transforme ce succès en envisageant la réalisation  de projets plus substantiels : un cargo et l’utilisation de cette voie  maritime pour transporter des marchandises et permettre aux gens de Gaza  de faire des échanges commerciaux librement. Je n’étais donc pas très  content de l’envoi répété de petits bateaux à Gaza. Maintenant on voit  que la grande coalition internationale est en train de réaliser ce grand  projet. En tant que Free Palestine Movement, nous avons pour mandat  d’assurer qu’il y ait une présence de personnalités états-uniennes parmi  les participants au convoi.
Silvia Cattori : Une  question est toujours posée par des gens qui ont contribué  financièrement au succès de Free Gaza. Combien d’argent a-t-il été  englouti dans l’achat de bateaux et les dépenses des militants ?
Paul Larudee : Un  demi-million d’euros a été dépensé pour l’achat des deux premiers  bateaux et couvrir les dépenses des militants du Free Gaza Movement  durant deux ans de préparatifs. C’est bien sûr beaucoup. Il est  difficile de justifier un tel niveau de dépenses à long terme. Mais,  cette fois, ce qui sera dépensé par les groupes qui composent la  flottille devrait se voir justifié par des résultats plus concrets.
Silvia Cattori : Votre  action est-elle humanitaire ou politique ?
Paul Larudee : Ni l’une ni  l’autre. C’est une action en faveur des droits humains. Nous ne sommes  pas liés à des partis politiques ; nous livrons une aide humanitaire à  Gaza dans des circonstances dont la gravité nous impose de le faire.  Nous voulons appeler la communauté internationale à faire appliquer le  droit des Palestiniens de Gaza ; y compris le droit de sortir de Gaza.  La liberté de mouvement est un droit qui doit être garanti à toute  personne. Le Free Palestine Movement s’est engagé à soutenir le droit  international et les droits humains du peuple palestinien.
Silvia Cattori : Il n’y  aura de solution que politique. Raison pour laquelle les militants  palestiniens [6] considèrent que le soutien des mouvements est effectif  uniquement s’il se fonde sur deux exigences : le refus de l’occupation  coloniale et la reconnaissance des droits fondamentaux des Palestiniens.  Tous ceux qui vont naviguer avec le Free Palestine Movement sont-ils  appelés à se déterminer à ce sujet ?
Paul Larudee : Tous les  participants comprennent que ces principes sont à la base de ce projet  et de notre message. Toutefois il y a des considérations stratégiques ;  la présence de telle personnalité est déjà en soi un acte de résistance à  l’occupation, même si sur les principes elle ne se prononce pas. Chaque  personne a ses propres raisons quand elle accepte de se rallier à ce  projet. Et nous avons nos propres raisons stratégiques en choisissant de  l’inviter.
Silvia Cattori : Vous avez  d’autres actions en projet ?
Paul Larudee : Oui nous  avons de nombreux projets. Notre objectif est toujours le même : mettre  en cause Israël à propos de ses violations des droits humains. Nous  envisageons l’envoi d’un avion à Gaza à la fin de l’année. Dans  l’immédiat, nous sommes concentrés sur les préparatifs liés à notre  participation à la flottille.
Silvia Cattori : Ce n’est  que le commencement d’une longue lutte ?
Paul Larudee : Nous  espérons pour le peuple palestinien qu’elle ne soit pas trop longue ; et  que la libération de la Palestine ne soit pas trop lointaine. La  patience est une vertu ; mais l’impatience est elle aussi vertueuse.
[2] La Gaza Freedom March, Viva Palestina, le Greek Free  Gaza Movement basé à Athènes, et le Free Palestine Movement basé en  Californie.
[3] Cette coalition est composée de l’European Campaign to End  the Siege on Gaza (ECESG), de l’ONG turque des droits humains Insani Yardim Vakfi  (IHH), de la Greek  Ship to Gaza campaign, de la Swedish Ship to Gaza campaign, et du Free Gaza Movement.
[4] Voir : http://savegaza.eu/eng/index.php?id=309
[5] Par trois fois, en 2008, Israël a laissé passer les  bateaux de Free Gaza. Par la suite, les autres tentatives ont été  stoppées.
[6] La Palestinian  campaign for the academic and cultural boycott of Israël (PACBI) a  demandé aux mouvements de solidarité internationale qui veulent soutenir  leur juste cause, de respecter deux conditions. Primo : tout projet  doit exprimer une forme de résistance à l’occupation. Secondo : ceux qui  participent à des projets doivent appuyer les droits fondamentaux des  Palestiniens ; avoir des postions qui ne mettent pas en discussion ces  droits.
Ce sont des mesures qui devraient être maintenues  jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse le droit inaliénable des Palestiniens à  l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit  international en mettant fin à son occupation et à sa colonisation de  tous les terres arabes et en démantelant le Mur ; en reconnaissant les  droits fondamentaux des citoyens arabo-Palestiniens d’Israel à une  égalité absolue ; en respectant, protégeant et favorisant les droits des  réfugiés palestiniens à revenir dans leurs maisons et propriétés comme  stipulé dans la résolution 194 de l’ONU.
                13 avril 2010 - Silvia  Cattori