entretien avec JF Legrain
Pour Jean-François Legrain, chercheur au  CNRS et auteur des Palestines du quotidien. Les élections de  l’autonomie, janvier 1996 (Beyrouth, Cermoc, 1999), les violences qui  secouent Jérusalem-Est rappellent celles, brèves mais brutales, de 1996.
De violents  affrontements opposent depuis cinq jours des Palestiniens aux forces de  l’ordre israéliennes à Jérusalem-Est. Le bilan, mardi soir (17 mars),  était d’une quarantaine de blessés parmi les manifestants et de quinze  autres parmi les forces de l’ordre. Une soixantaine de personnes ont été  interpellées. Qu’est-ce qui a déclenché ces violences ?
Contrairement à ce que j’ai entendu dire, ce n’est pas  l’annonce de la construction de nouvelles colonies qui a mis le feu aux  poudres. Les violences ont commencé après les déclarations de Benyamin  Nétanyahou sur l’inscription au patrimoine historique israélien du  caveau des Patriarches à Hébron et du tombeau de Rachel à Bethléem à la  fin du mois de février (Lire : De l’usage très politique des caveaux et  tombeaux en Terre sainte).
L’annonce de l’inauguration, lundi soir, de la synagogue  Hourva, dans le quartier juif de la vieille ville, a aggravé la crise.  La colère des Palestiniens s’est cristallisée sur ces symboles davantage  que sur la colonisation, qui est un mouvement continu depuis des  dizaines d’années. Ce n’est pas une violence téléguidée. Les émeutiers  ont pour la plupart entre 13 et 20 ans. Comme leurs aînés, ils  appartiennent à une génération sans avenir.
Un dirigeant du Hamas a appelé mardi à  une nouvelle intifada. Comme en 1987 et 2000, y a-t-il aujourd’hui un  risque d’embrasement ?
Il ne faut jurer de rien, rien ne dit que ces violences  vont déboucher sur un mouvement qui durerait et s’étendrait à l’ensemble  de la Cisjordanie. Les affrontements d’aujourd’hui sont très  comparables aux événements qui ont secoué Jérusalem en 1996. A l’époque,  Benyamin Nétanyahou, qui effectuait son premier mandat en tant que  premier ministre, avait annoncé l’ouverture au public d’un ancien tunnel  construit le long du mur d’enceinte de l’actuelle mosquée Al Aqsa. La  décision avait provoqué de violentes émeutes, très brèves mais très  brutales.
Quelle influence a le mouvement  islamiste dans les Territoires occupés ?
La popularité du Hamas s’étend bien au-delà des limites  de Gaza. Lors des élections de 2006, le parti avait obtenu des scores  aussi importants dans l’enclave côtière qu’en Cisjordanie. Contrairement  aux autres mouvements palestiniens, il a su conserver de puissants  réseaux dans la Ville sainte. Ses membres sont influents dans les  associations proches des mosquées et des autorités religieuses. Le  Fatah, lui, s’est peu à peu désengagé. Depuis la mort de Fayçal Husseini  [ancien directeur de la Maison de l’Orient, mort en 2001 et membre du  comité exécutif de l’OLP, chargé du dossier de Jérusalem], il n’y a plus  de leadership nationaliste à Jérusalem.
Pourquoi les tensions se  cristallisent-elles aujourd’hui autour de Jérusalem ?
Jérusalem a un statut triplement particulier. D’abord,  la ville est presque totalement isolée du reste de la Cisjordanie. La  politique israélienne, et notamment la construction du mur de séparation  entre Israël et les territoires palestiniens, a transformé l’ancienne  capitale en enclave. Les autorités de Ramallah n’ont plus prise sur ce  qui se passe dans la ville. Mais malgré cela Jérusalem est restée un  lieu de rencontre entre les Palestiniens vivant en Israël et les  habitants de la partie orientale de la ville. Tous se retrouvent le  vendredi à la grande mosquée Al Aqsa pour prier.
Ce point de contact entre Palestiniens représente un  danger pour Israël, parce qu’il pourrait faire éclore la "menace  intérieure", celle d’un mouvement qui unirait Arabes israéliens et  habitants des Territoires occupés contre l’Etat hébreu. Enfin, Jérusalem  est une ville sainte. Le sentiment religieux y est particulièrement  exacerbé.
L’Autorité palestinienne est-elle en  mesure de contrôler la situation ?
Non, pas du tout. Le gouvernement de Ramallah est  complètement déconnecté de ce qui se passe à Jérusalem. Depuis deux ans,  les Etats-Unis et la Jordanie aident les autorités à former des  bataillons palestiniens. Environ deux mille hommes sont aujourd’hui en  mesure d’intervenir sous l’autorité du gouvernement palestinien en cas  de violences anti-israéliennes ou pour protéger le Fatah, au pouvoir à  Ramallah. Mais rien ne dit que ces bataillons soient en mesure de  juguler un mouvement qui prendrait de l’ampleur dans les Territoires.
Le président Mahmoud Abbas et son premier ministre,  Salam Fayyad, sont pieds et poings liés. En acceptant les conditions de  la négociation portées par les Etats-Unis,  ils se sont enfermés dans  une politique qui les a coupés du reste de la société palestinienne.