Aissa Hireche
Les jours passent et se ressemblent, ou  presque. De petits faits divers par-ci, quelques évènements par-là, une  parole ici, un geste ailleurs, un incident dans un coin, un petit  accident dans un autre… Lorsqu’on les regarde séparément, on a  l’impression qu’il ne s’agit que de petites choses insignifiantes, mais  il suffit parfois de les relier pour y découvrir le fil conducteur de  l’histoire de l’humanité et les éléments premiers du sens de l’homme.
Quelles relations peuvent  exister entre Iulia Tymoshenko et l’assassinat de Mabhouh à Dubaï ?  Entre la visite du Président Russe à Paris et l’opération Mushtarak en  Afghanistan ? Quelle relation peut exister entre les éloges lancés à  l’adresse du premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan par un officiel  Qatari et la reprise des négociations entre l’Inde et le Pakistan ?  Quelle relation peut-on faire aussi entre la lâche décision d’annexion  d’une partie d’Hébron par Netanyahu et la construction du mur d’acier  par l’Egypte ? Quelles relations existeraient donc entre les excuses  formulées par Walid Joumblat à la Syrie et la décision iranienne  d’enrichir l’uranium à 20% ? A part le fait qu’ils aient tous eu lieu au  cours des mois de janvier et février 2010, ces différents évènements,  en apparences banals, ont en commun le fait qu’ils annoncent avec  beaucoup d’insistance d’ailleurs une guerre prochaine, celle que Barak  Obama, prix Nobel de la paix, aurait décidé de mener contre l’Iran !
Iulia, la première feuille d’un automne iranien Le 08  février 2010. Il est exactement 6h12’ ce matin lorsque la jeune dame  blonde se laissa tomber sur la chaise. Malgré la douche froide qu’elle  vient de prendre pour mieux se réveiller, elle n’arrive toujours pas à  tenir debout. Elle n’a dormi qu’une heure à peine cette nuit et elle a  l’impression que sa tête va exploser.
La journée d’hier a été intense en activités et toute la  nuit, la dame aux tresses blondes, comme l’appellent certains  journalistes, elle l’a passée à suivre de près avec ses militants les  résultats du scrutin. Iulia Tymoshenko, n’arrive toujours pas à  comprendre comment elle a perdu les élections présidentielles. Elle qui  était pratiquement assurée de remporter le scrutin.
Dans son déshabillé de satin, couleur rose clair, la  présidente et fondatrice du Parti « Batkivshchyna » (la Patrie) se  demande encore comment est-il possible qu’elle perde contre son  adversaire alors que tout indiquait qu’elle devait être la grande élue  en ce jour d’hiver ukrainien. Mais plus que la défaite elle-même et la  perte de la présidence du pays, ce qu’elle elle n’arrive pas à  comprendre, c’est surtout le silence de l’Europe et la position  incompréhensible l’OSCE (organisation pour la Sécurité et la Coopération  en Europe) qui s’est empressée de juger le scrutin « transparent et  honnête » alors qu’elle n’a cessé durant les dernières vingt quatre  heures de dénoncer, avec ses partisans, des irrégularités et des fraudes  massives.
Au prix d’un grand effort elle arriva à se lever en  entendant la bouilloire siffler. En revenant de la cuisine, une grande  tasse de café à la main, elle pense encore aux multiples signaux que lui  avait lancés l’Occident. Depuis qu’elle a pris part à la Révolution  Orange aux côté de celui qui allait devenir son pire ennemi, Viktor  Iouchtchenko le chef de l’État sortant, elle a gagné un capital  sympathie très important auprès des médias occidentaux et aussi auprès  de cercles influents et centres de décisions. Iulia se rappelle au mot  près le communiqué de presse balancé un certain matin d’automne 2007 par  le puissant PPE « En outre, disait la fin du communiqué, nous sommes  convaincus que le Premier Ministre Yulia Tymoshenko donnera une nouvelle  impulsion à la direction européenne de l’Ukraine – bien entendu, le PPE  sera heureux de l’aider dans cette tâche ». En emportant le scrutin  présidentiel avec 48,95 % de voix contre 45,47 % (le total ne fait pas  100 parce que conformément à la constitution ukrainienne plus de 5.5%  ont voté « contre tous » à ce second tour) pour celle que certains  médias occidentaux appelaient, lors des innombrables manifestations  d’opposition aux communistes, la « Jeanne d’Arc de la Révolution »,  Viktor Ianoukovitch, l’ex-communiste, peut dire qu’il a pris sa revanche  sur la Révolution orange.
En fait, Ianoukovitch est le candidat de Moscou et c’est  en réalité Moscou qui prend sa revanche. Cela tout le monde le sait, et  Iulia aussi le sait, mais ce que la dame blonde aux tresses enroulées  sur le haut de la tête n’a pas encore compris en cette froide matinée de  février ukrainien, c’est qu’elle est la première victime de la terrible  machine de guerre qui est bel et bien enclenchée par l’administration  d’Obama en concertation avec certains pays de l’Occident contre l’Iran.
Le retour du grand frère Russe
02 mars 2010. En montant les quelques marches de  l’Elysée avec un Sarkozy tout heureux, le président russe Dimitri  Medvedev se réjouit. Les négociations de son pays avec Européens et  Américains ont été menées d’une main de maître. Il a obtenu que son  candidat soit vainqueur à la présidentielle en Ukraine sans aucun  commentaire des pays occidentaux ni même de l’OSCE ; il vient de signer  un accord pour la construction d’une base militaire en Abkhazie pour une  durée de quarante-neuf ans sans que personne ne s’en sente offusqué ;  il a obtenu aussi à ce que Sarkozy reconsidère sa position sur la vente  des navires militaires de type Mistral.
En effet, à Paris on ne parle plus de la vente « d’un  seul et unique » de ces BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement),  mais on se donne même la peine de préciser qu’il s’agit bel et bien de  « quatre » navires. En contrepartie, qu’a donné la Russie de Medvedev ?  jusque là rien ou presque. Question livraison d’armes à l’Iran, Moscou  semble jouer au Yoyo. Une fois oui, une fois non, histoire de mettre la  pression dans ses négociations.
Le premier ministre israélien dépêché à Moscou pour  obtenir l’annulation des missiles S-300 à l’Iran, est retourné  bredouille. Le seul geste de Moscou a consisté à annoncer que la  livraison des S-300 à Téhéran sera reportée. Une déclaration qui sera  suivie quelques jours plus tard par une autre selon laquelle la Russie  livrera bien l’Iran en S-300. « La Russie entend respecter ses  engagements et livrer à l’Iran le système de défense antimissiles S-300  commandé par Téhéran », a déclaré le vice-ministre des Affaires  étrangères Sergeï Riabkov, cité par l’agence Interfax une semaine plus  tard.
En ce qui concerne le ralliement à la position des  Américains et des Européens, Moscou tergiverse et la seule concession  faite par Medvedev c’est qu’il « accepte désormais de reconsidérer  l’introduction des sanctions » contre Téhéran « à condition »  précise-t-il que ces sanctions ne soient imposées qu’en cas  d’impossibilité de dialogue et qu’elle n’affecte pas les civils. La  Russie est très attentive et semble prendre beaucoup de précautions. En  effet, les intérêts russes en Iran sont si importants que le dernier mot  doit revenir de fait au « grand frère russe » qui est en train de  marquer sérieusement son retour.
La main du Mossad 02 mars 2010. Devant les nombreux  journalistes venus assister à sa nième conférence de presse dans la  luxueuse salle réservée à de tels évènements, le chef de la police de  Dubaï laisse tomber l’information. « J’ai présenté au procureur de  l’émirat, dit-il, une requête en vue de l’arrestation du Premier  ministre israélien, Benyamin Nétanyahou ! » devant l’insistance de  certains journalistes quant au bien fondé d’une telle démarche, il  affirma avoir « désormais la certitude que le Mossad avait tué le  responsable du Hamas, Mahmoud al-Mabhouh ». Nul n’est dupe pour croire  qu’un jour un pays arabe s’aventurera à vouloir arrêter un premier  ministre israélien. Comme nul n’est assez dupe pour croire que les  Français, les Britanniques, les Australiens, et autres pays dont les  passeports ont été utilisés en vue du meurtre prémédité de Mabhouh  oseront sanctionner Israël. Il suffit de noter que « De source proche  des services de renseignement français, on dit que le passeport français  utilisé par un des suspects avait un numéro valide, mais que le nom  associé n’était pas correct » pour être sûr de la parodie qui va suivre  dans les prochains jours. D’ailleurs du côté d’Israël, on ne cache pas  sa satisfaction de voir que tous les services de renseignements font ce  qu’ils peuvent pour la sécurité d’Israël ».
Le 19 janvier 2010, l’assassinat de Mabhouh dans un  luxueux hôtel à Dubaï n’avait rien de fortuit. Ce n’était pas une simple  exécution d’un chef de Hamas, c’était l’élimination de celui qui avait  la charge de l’armement de Hamas d’Iran. Les Israéliens n’écartent pas  une entrée en guerre de Hamas et de Hezbollah contre eux lorsqu’une  guerre contre l’Iran éclatera, les deux groupes se faisant doter en  armes par Téhéran et en étant très proches. C’est dans ce sens que les  menaces de bombardement du Liban ont été proliférées par Israël et c’est  à cela que Saad El Hariri a dû répliquer aussitôt que le Liban se  mettra alors du côté de Hezbollah. Mais il n’y a pas que Hamas et le  Hezbollah. Il y a aussi la Syrie qui détient un rôle de premier ordre  dans la région. La Syrie qui n’est pas dupe de ce qui l’attend après la  destruction de l’Iran sait que son destin est inséparable désormais de  celui du puissant voisin Chiite. Et il ne sert plus à rien désormais  pour Bachar El Assad de cacher ses préférences, c’est ce qui explique  pourquoi il n’a pas hésité à s’afficher, la semaine dernière à Damas, et  de quelle manière, avec le président Iranien et la chef du Hezbollah.  Damas sait à quel point les pays arabes ne peuvent lui venir en aide  lorsque sonnera l’heure de sa punition qui n’a été que reportée par les  Etats Unis qui veulent remettre leur casquette de gendarme du monde. Les  divergences, les craintes et les luttes pour le leadership dans les  régions sont trop forts ont fait que les sunnites ne feront certainement  rien pour éviter la guerre contre l’Iran, mais c’est la situation  particulière de Damas, vue la menace qui pèse sur sa tête, qui a fait  que cette dernière se range seule du côté des chiites.
Les ottomans sont aussi de retour
Mais les pays sunnites de la région qui n’ont pas assez  de puissances pour prétendre prendre le leadership à l’Iran ont trouvé  en la Turquie un semblant de solution. En effet, ce pays dont l’économie  et la puissance ne cessent de prendre du poids, est en train de se  faire une place de plus en plus grande dans la région après en avoir été  longtemps écarté à cause des relations historiques entre les Ottomans  et les Arabes d’une part, et par le panarabisme lancé de Nasser. En  plus, le Premier ministre Turc Erdogan qui a gagné beaucoup de points  dans l’opinion arabe, notamment avec son comportement à l’égard de  Shimon Pérès à Davos et sa position ferme devant les exactions  israéliennes à de Gaza, est en train de devenir un éventuel leader  musulman, dans un monde où le leadership fait grand défaut. En tout cas,  il est déjà considéré comme un leader au moyen Orient. Et les éloges  qu’il a reçus à Qatar, récemment, scellent définitivement la décadence  de certaines parties de la région, comme l’Egypte qui, depuis la venue  de Moubarak, a n’a pas cessé de perdre des points à cause de positions  compromettantes et d’actes non moins compromettants. Erdogan, qui a  trouvé le moyen de faire de son pays un partenaire incontournable au  Moyen Orient, est en train de marquer le retour des … Ottomans avant que  ne se déclenche la guerre d’Iran de sorte que, une fois la puissance  iranienne détruite, la Turquie sera prête pour le rôle.
La diversion
En attendant, il faut que les Américains en finissent  avec les guerres d’Afghanistan et d’Irak. L’opération Musharak qu’ils  viennent de mener en terre afghane est la preuve qu’ils veulent en finir  au plus tôt et se retirer pour se concentrer sur l’Iran. La décision de  se retirer de l’Irak aussi doit être vue de ce point de vue. La date de  2011 revient très souvent dans les prévisions américaines quant aux  retraits des deux pays. Mais 2011 aussi est la date retenue pour doter  quatre pays du Moyen Orient d’un système de défense antimissiles, il  s’agit de Bahrein, Dubai, Abu Dhabi et des Emirats. Mais pour enfermer  correctement les Iraniens, les Américains voudraient que le Pakistan  positionne ses hommes le long des frontières avec l’Iran. Or, cela n’est  pas possible avec le nombre des troupes que le Pakistan déploie le long  de la frontière avec l’Inde. Les négociations qui ont été entamées la  semaine dernière entre Pakistanais et Indiens, et qui ont été provoquées  par les Américains, ont donc toutes les chances d’aboutir, Obama en est  le garant aux yeux des uns et des autres .
L’Iran n’ignore rien de tout cela. Sa décision  d’enrichir l’uranium à 20% n’est en fait qu’une preuve que, se sachant  cette fois sérieusement menacé, Téhéran est entré dans une phase de  course contre la montre pour se préparer à une guerre que tout semble  indiquer pour … 2011. Israël insiste pour que l’effort d’armement  nucléaire des Iraniens soit détruit au plus vite et pour arriver à leur  fin Netanyahu et les siens sont capable de provoquer le déclic. Obama  résiste à la pression du lobby juif américain et tente d’obtenir, en  contre partie, quelque chose pour les Arabes mais Israël ne veut rien  donner. Ni gel de la colonisation en Cisjordanie ni Etat palestinien. La  récente décision d’annexer une partie d’Hébron est une provocation  israélienne supplémentaire destinée à rappeler à Obama l’impatience  d’Israël devant le prétendu danger du nucléaire iranien et aussi pour  détourner le monde de l’affaire de l’assassinat de Mahbouh. Une  diversion à l’israélienne !
publié par le Quotidien d’Oran