Les relations  entre Israël et les Etats-Unis sont extrêmement tendues depuis  l’annonce, par l’Etat hébreu, d’un plan de construction à Jérusalem-Est.  Peut-on pour autant parler de grave crise diplomatique ?

 Oui, en ce sens que cette annonce a  étalé au grand jour la crise de confiance entre le gouvernement de  Benjamin Netanyahou et l’administration américaine, laquelle couvait  depuis un an. Non, dans la mesure où le prétexte immédiat de cette  querelle n’a pas de signification stratégique et que pour l’instant les  contours de la dispute restent flous.
On pourrait à la rigueur dire que l’administration Obama  a hérité d’une occasion pour manifester un mécontentement beaucoup plus  profond, qu’elle s’en est saisie, mais qu’elle ne sait toujours pas ni  comment s’en servir ni si elle pourra réellement être exploitée. D’où  cette impression de flottement, un discours extrêmement fort et menaçant  faisant place à des déclarations plus mesurées et modérées.
Les Etats-Unis se sont donc servis de  cette provocation comme d’un prétexte...

 Dans un sens, oui, et c’est en tout cas  comme cela que beaucoup d’Israéliens l’ont vécu. Soyons clairs : si les  relations entre Washington et Jérusalem avaient été au beau fixe,  l’annonce aurait provoqué une petite dispute mais sans plus et sans  lendemain.
La question, désormais, est de savoir si le débat va en  rester là, cantonné à cet incident, ou bien si l’administration Obama va  chercher – et réussir – à l’élargir à la question de la vision  israélienne sur la résolution du conflit israélo-palestinien. C’est en  somme une partie d’échecs qui se déroule dans laquelle chacun des deux  adversaires cherche à définir les termes du débat – Jérusalem-Est ou le  processus de paix – et les contours de la fin de partie.
Mais, de l’autre côté, comment  interpréter cette décision d’Israël d’annoncer la construction de 1.600  nouveaux logements à Jérusalem-Est pendant la visite du vice-président  américain Joe Biden ?

 Tout d’abord, je ne crois pas  personnellement à un coup prémédité de la part du Premier ministre  israélien. Il dit ne pas avoir été au courant de l’annonce, et cela me  paraît juste. C’est là, d’ailleurs, un des problèmes : la construction à  Jérusalem-Est est une chose tellement naturelle pour Israël – qui  considère Jérusalem comme territoire souverain – qu’une décision de ce  type est quasiment routinière.
C’est une dimension capitale pour comprendre la  dynamique de la querelle et les obstacles auxquels font face les  Etats-Unis. Netanyahou a présenté ses excuses concernant le moment  choisi pour faire une telle annonce ; il a réitéré qu’Israël ne s’était  jamais engagé à geler la construction à Jérusalem-Est ; et il a dit que  la construction continuerait tout en promettant de ne plus embarrasser  Washington. Pour la vaste majorité des Israéliens, cela devrait suffire à  clore le débat. En d’autres termes, l’administration Obama a hérité  d’un conflit dont les termes ne lui profitent guère, car ce n’est pas  sur ce sujet-là qu’elle peut espérer provoquer un débat de fond en  Israël.
L’administration américaine avait déjà  perdu en crédibilité, lorsqu’au début du mandat d’Obama Israël avait  opposé une fin de non recevoir à son exigence de gel de la colonisation.  Peut-elle se permettre de capituler une seconde fois ?

 Non, en tout cas pas s’il elle veut  conserver la crédibilité requise pour mener à bien les négociations. Une  fois le conflit lancé, les Etats-Unis doivent trouver un moyen  d’obtenir des concessions de la part de Netanyahou qui lui permettront  de sortir la tête haute et de montrer que leur colère n’était pas pour  rien. Tout l’enjeu est désormais de savoir comment les deux parties  négocieront leur sortie de crise – chacun cherchant à sauver la face et à  ne pas céder sur le fond. Le risque étant que si Netanyahou montre une  nouvelle fois qu’il peut tenir tête aux Américains, cela ne va faire  qu’exacerber le scepticisme des Palestiniens et des pays arabes envers  le processus de paix, et les conforter dans l’idée qu’alors qu’eux  jouent franc jeu, Israël continue à faire obstacle.
Jusqu’à présent, l’administration Obama  s’est cassée le nez sur le dossier du conflit israélo-palestinien, alors  qu’elle en avait fait une priorité. Sa stratégie est-elle à revoir ?

 C’est en effet l’un des dossiers que  l’administration Obama a le plus de mal à gérer. Mais il faut souligner  qu’elle a hérité, de l’administration précédente, d’une situation  extrêmement complexe et périlleuse. Cela dit, ses échecs sont fonction  et de quelques errements tactiques et, plus important, du fait que sa  politique se soit avérée ne pas être en adéquation avec la réalité  régionale. Cette administration est la descendante de celle de Bill  Clinton, mais, entre-temps, la région a énormément changé. Pour que ses  tentatives aient prise sur les acteurs, il lui faut remettre à jour son  logiciel : intégrer la fragmentation politique côté palestinien, le  mouvement vers la droite de la société israélienne, l’apparition ou le  renforcement de nouveaux acteurs (islamistes, Hamas, colons et droite  religieuse) et la polarisation du monde arabe, ainsi que sa propre perte  de crédibilité, laquelle a commencé bien avant l’arrivée d’Obama au  pouvoir.
Dans ce contexte, la réunion du  Quartette sur le Proche-Orient, qui se tient vendredi à Moscou,  peut-elle faire avancer les choses ?

 Il est difficile d’en attendre quelque  chose vu les précédents, mais sait-on jamais ! Le plus probable est que  le Quartette réitère la condamnation de la décision israélienne ainsi  que son soutien pour les pourparlers indirects israélo-palestiniens.
Peut-on s’attendre à une troisième  intifada ?

 Vous savez, ce type d’événement est  toujours improbable avant qu’il ne surgisse et toujours inévitable après  qu’il se soit produit. Les éléments dangereux sont certainement  présents : côté palestinien, on perd espoir, et la poudrière de  Jérusalem-Est est plus menaçante que jamais. On voit également la  violence qui pointe. Cela dit, les événements demeurent pour l’instant  localisés et maîtrisés, les organisations militantes palestiniennes ont  été largement démantelées, la coopération entre services de sécurité  palestiniens et israéliens est à son plus haut niveau historique, et le  peuple palestinien est épuisé. Pour toutes ces raisons, difficile de  croire qu’on soit à la veille d’un embrasement généralisé. Mais l’heure  n’est pas non plus à la complaisance : avec le recul, l’impossible a  tendance à devenir, tôt au tard, inévitable.
Ancien conseiller du président Clinton pour les affaires  israélo-arabes, Robert Malley est aujourd’hui directeur du programme  Moyen-Orient de l’International Crisis Group.