Si Israël continue d’attaquer Gaza, il est très probable que
 nous assistions à une troisième Intifada. Mais celle-ci sera 
différente, puisque l’opinion publique a subi une profonde 
transformation à l’échelle mondiale.
La mort de trois jeunes colons israéliens et les 
représailles avec le meurtre brutal de l’adolescent palestinien Mohammad
 Abu Khudair ont déclenché le cycle de la violence et un inquiétant 
bombardement médiatique – bien que familier – de la part d’Israël. 
Lorsque le visage sinistre de Mark Negev est apparu sur les écrans de 
télévision du monde entier, les citoyens assiégés de Gaza ont commencé à
 se recroqueviller dans la perspective d’une nouvelle opération « Plomb 
durci » menée au nom de la vengeance.
Tout ceci n’a rien d’étonnant. Cependant, l’entrée de l’État 
islamique en Irak et au Levant (EIIL) sur la scène régionale pourrait 
entraîner des conséquences complètement inédites et imprévisibles pour 
les actes belligérants d’Israël.
Gilad Shaar, Naftali Fraenkel (tout juste âgés de 16 ans) et Eyal 
Yifrah (19 ans) ont été kidnappés le 12 juin à proximité de leur 
résidence familiale dans la colonie illégale de Goush Etzion. Au cours 
des 18 jours suivants, les médias internationaux étaient saturés de 
descriptions émouvantes des recherches organisées, puis de la terrible 
découverte de leurs corps et, enfin, des scènes déchirantes de douleur à
 leurs funérailles. Les dirigeants mondiaux ont envoyé des messages 
personnels de condoléances aux familles et assuré à Israël leur soutien 
sincère dans ses efforts d’éradication de tous les « terroristes ».
Cependant, les circonstances de la mort de ces jeunes hommes 
demeurent mystérieuses. Le Premier ministre israélien, Benjamin 
Netanyahu, a immédiatement annoncé que « le Hamas paierait le prix 
fort », mais ce dernier a nié toute implication. Cette nouvelle raison 
de diaboliser le Hamas tombe à pic et est fort commode, étant donné que 
sa réconciliation récente avec le Fatah est perçue comme une menace 
existentielle pour Israël. Les médias internationaux grand public ont 
largement accepté et diffusé le verdict infondé d’Israël.
Ce qui est avéré, ce sont les circonstances horribles dans lesquelles
 Abu Khudair, âgé de 17 ans, est décédé. Il a été kidnappé dans la 
banlieue occupée de Shuafat, au nord de Jérusalem, contraint à boire de 
l’essence, puis brûlé vif. Les trois hommes qui ont avoué ce meurtre 
(des « extrémistes » israéliens) avaient tenté de kidnapper un enfant de
 neuf ans la veille. Cette histoire a été complètement passée sous 
silence.
Les médias et hommes politiques internationaux n’ont pas non plus 
mentionné le fait qu’entre la disparition des adolescents israéliens et 
la découverte de leurs corps, sept Palestiniens ont été assassinés par 
l’armée israélienne. En effet, depuis l’an 2000, 1405 enfants 
palestiniens ont été tués par Israël, apparemment en toute impunité. Les
 médias ont complètement occulté le fait que les adolescents israéliens 
vivaient dans une colonie illégale dans laquelle la violence envers les 
Arabes est fortement encouragée. Bien sûr, ceci ne signifie pas que ces 
enfants méritaient de mourir, mais n’est-il pas évident que la violence 
est une conséquence logique du vol des terres des familles 
palestiniennes par Israël ?
Israël profite impudemment des meurtres pour justifier et faire 
campagne pour le mouvement de colonisation en mélangeant appels à 
l’expansion des colonies et deuil national. Le gouvernement de Benjamin 
Netanyahu est dominé par des extrémistes sionistes, notamment le 
ministre de l’Économie, Naftali Bennett, également dirigeant du parti 
« Foyer juif », qui sont convaincus que les Juifs sont les héritiers de 
l’Israël biblique dans son ensemble par la volonté divine.  Cette vision
 est à la base de l’intransigeance de Benjamin Netanyahu et de son échec
 quant à la suspension de la colonisation durant les négociations de 
paix. Dans une tentative pour faire accepter à la nation l’inacceptable 
épuration ethnique des Palestiniens, Tel Aviv a transformé les colons en
 pionniers héroïques encerclés par des hordes de sauvages meurtriers en 
maraude, comme dans les westerns hollywoodiens.
Le sensationnalisme et l’irresponsabilité avec lesquels les meurtres 
des adolescents colons ont été décrits ont entraîné des manifestations 
publiques et acerbes de racisme.  Des brutes armées se sont rendues dans
 les rues de Jérusalem occupée en scandant des slogans tels que « Mort 
aux Arabes » ou « Que votre village brûle ». Les crimes haineux envers 
les Arabes sont endémiques et, selon les témoignages de collègues sur le
 terrain, largement occultés par la police israélienne.
Du point de vue politique, il est opportun pour Israël d’utiliser 
cette tragédie comme prétexte pour attaquer le Hamas, et des frappes ont
 été lancées sur ses installations militaires à Gaza immédiatement après
 les funérailles des colons. Les petites agressions se poursuivent. Dans
 la nuit de lundi, les forces aériennes israéliennes ont tué au moins 
huit personnes à Gaza, et la bande de Gaza est privée d’électricité 
depuis la semaine dernière, après que les avions de combat ont commencé à
 cibler des infrastructures civiles. Des proches résidant à Gaza m’ont 
confié que tout le monde vit dans la peur d’une attaque semblable à 
celle de 2008-2009, lorsque l’opération « Plomb durci » avait ôté la vie
 à presque 1 500 Palestiniens.
Incapacité à tenir tête efficacement
Les hommes politiques palestiniens sont divisés quant à la réponse à 
apporter à la dernière agression d’Israël ainsi qu’à la colère du peuple
 suite au meurtre d’Abu Khudair et au passage à tabac de son cousin âgé 
de 15 ans, Tareq Abu Khudair, par la police israélienne. Le président de
 l’Autorité nationale palestinienne (ANP), Mahmoud Abbas, n’est pas 
parvenu à incarner l’atmosphère qui règne dans les rues, et même ses 
collègues les plus modérés ont exprimé leur frustration quant à son 
incapacité à tenir tête et à maîtriser efficacement Israël.
Nombreux sont ceux qui concluent que Mahmoud Abbas n’est plus motivé 
par les droits et les attentes raisonnables des Palestiniens, mais 
plutôt par son désir de ne pas contrarier Tel Aviv et risquer de perdre 
son mandat et les privilèges qui s’y rattachent. Le mois dernier, 
Mahmoud Abbas a horrifié le monde arabe en déclarant aux délégués de 
l’Organisation de la coopération islamique (OCI) lors d’une conférence à
 Djeddah que la coordination des forces de sécurité avec Israël était 
« dans l’intérêt des Palestiniens », malgré le fait que les soldats 
israéliens aient assassiné cinq Palestiniens et mis à sac les maisons 
des villageois à la recherche des adolescents kidnappés.
En dépit des provocations, le Hamas a répondu avec retenue. Les 
roquettes qu’il a lancées par-dessus la frontière dans le désert 
inhabité autour de Sdérot constituent un avertissement. Le groupe 
islamiste dispose de missiles modernes et bien plus efficaces, capables 
de frapper la Jérusalem occupée et Tel Aviv. Alors qu’Israël aimerait 
que le schisme entre le Hamas et le Fatah soit renouvelé (afin de 
« diviser pour régner »), le Hamas s’est engagé dimanche dernier dans la
 négociation d’une trêve avec Tel Aviv sous l’égide de l’Égypte. Pour 
l’instant, il est au moins parvenu à maîtriser les factions radicales en
 son sein qui appellent à une réponse plus énergique.
Pendant ce temps, les rues palestiniennes sont en proie à la colère. 
Des jeunes armés de pierres ont engagé des combats de rue sporadiques 
avec l’armée et la police israéliennes. Si Israël continue d’attaquer 
Gaza, il est très probable que nous assistions à une troisième Intifada.
 Mais celle-ci sera différente.  L’opinion publique internationale a 
subi une profonde transformation. Le mouvement Boycott, 
désinvestissement et sanctions à l’encontre d’Israël gagne en intensité 
alors que les médias sociaux permettent la diffusion de photos réelles 
non censurées. Plus tôt cette semaine, le plus grand syndicat de 
Grande-Bretagne, Unite, a désigné Israël « coupable du crime 
d’apartheid », et s’est engagé avec ses 1,5 millions de membres à 
prendre des « mesures plus radicales semblables à celles qui ont été 
prises contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud » et à combattre 
« l’épuration ethnique des Palestiniens ».
Il est par conséquent probable qu’une troisième Intifada donnerait 
lieu à une sympathie et à un soutien populaire généralisés. Je pense 
qu’Israël hésite à provoquer une véritable confrontation pour les 
raisons évoquées ci-dessus, mais également en raison d’un évènement 
totalement inédit. Dimanche dernier, le chef du Mossad, Tamir Pardo, a 
annoncé lors d’une réunion privée avec les principaux hommes d’affaires 
israéliens que la plus grande menace planant sur la sécurité d’Israël ne
 résidait plus dans les ogives nucléaires iraniennes mais dans l’échec 
de l’obtention d’un accord avec les Palestiniens. Et il a raison.
La colère des Arabes a trouvé un nouveau véhicule sous la forme de 
l’EIIL, le mouvement salafiste-djihadiste qui a déferlé sur la Syrie et 
l’Iraq et déclaré l’établissement d’un « califat » islamique sur les 
territoires considérables et contigus qu’il a conquis. Israël possède 
une frontière avec la Syrie, et l’EIIL a fait une percée en Jordanie. Il
 ressort clairement des publications sur les plateformes des médias 
sociaux que de jeunes Palestiniens exaltés adhèrent à l’idéologie de 
l’EIIL. Ils considèrent cette organisation ultra-radicale comme une 
possibilité de salut quant aux injustices perpétrées à leur encontre par
 Israël.
Alors qu’il est facile de contenir une Intifada menée à coup de 
pierres, l’EIIL dispose d’armes et de véhicules militaires très 
sophistiqués confisqués aux armées officielles d’Iraq et de Syrie.
Si l’EIIL lance une attaque en règle contre Israël de l’intérieur 
mais aussi au niveau des frontières, Tel Aviv risque de regretter 
amèrement d’avoir refusé de négocier avec le Hamas. Car, comparé à 
l’EIIL, le Hamas n’est qu’un gros nounours.
* Abdel Bari Atwan est palestinien et rédacteur en chef du site Raialyoum. Abdel Bari Atwan est considéré comme l’un des analystes les plus pertinents de toute la presse arabe.
Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.