Denis Sieffert
OPINION :
"Mahmoud Abbas renvoie l’image d’un homme faible, constamment floué par ses « partenaires »."
Le 23 septembre, Mahmoud 
Abbas a demandé à l’ONU la reconnaissance d’un État palestinien. Il a 
prononcé un discours ferme, qui exclut d’entrer en négociation sans un 
calendrier précis. Les États-Unis et l’Europe doivent maintenant 
afficher leurs positions.
Ovationné par une foule enthousiaste à son retour à 
Ramallah, Mahmoud Abbas a, en quelques jours, transformé son image de 
négociateur terne, et souvent faible, en « héros » populaire, comme l’a
 écrit non sans emphase l’éditorialiste du quotidien Al-Qods. Soudain 
désireux de cultiver les symboles, celui qui est redevenu Abou Mazen, 
son nom de guerre de l’époque des fedayins, s’est aussitôt rendu sur la 
tombe de Yasser Arafat : « Nous sommes allés à l’ONU en portant vos 
espoirs, vos rêves, vos ambitions, vos souffrances, votre vision et 
votre désir pour un État palestinien indépendant », a-t-il déclaré, 
interrompu à plusieurs reprises par les acclamations.
À New York, malgré les pressions américaines et 
européennes, Abbas n’a pas renoncé à demander l’adhésion de la Palestine
 à l’ONU « sur la base des lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est 
pour capitale ».
Longtemps cantonné par Arafat au rôle du négociateur, 
Mahmoud Abbas, bien que pionnier du mouvement palestinien – il fut l’un 
des fondateurs du Fatah, en 1959 –, n’a jamais eu le prestige du 
« guerrier ». Il ne s’est jamais identifié à la résistance armée. Dès 
les années 1970, cet homme originaire de Galilée (aujourd’hui, au nord 
d’Israël), et réfugié en Syrie à partir de 1948, a plaidé au sein de la 
direction palestinienne en faveur de contacts avec la gauche 
israélienne. Il a été l’un des artisans des négociations secrètes qui 
ont conduit aux accords d’Oslo en 1993. Un rôle ingrat au sein d’une 
population qui n’avait pas admis le renoncement à 78 % de la Palestine 
mandataire.
Dans la logique de cette stratégie très diplomatique, 
Mahmoud Abbas s’opposera ouvertement à la militarisation de la deuxième 
Intifada, à partir de septembre 2000. Éphémère Premier ministre d’Arafat
 d’avril à septembre 2003, il se brouille ensuite avec le vieux leader 
palestinien. Il est cependant élu à la présidence de l’Autorité à la 
mort d’Arafat. Pour son peuple, il est l’homme des poignées de mains 
avec Sharon et Nétanyahou. Toute sa stratégie repose sur la confiance 
qu’il fait à ses interlocuteurs américains et israéliens. Jouissant un 
temps du soutien populaire, il est finalement sévèrement désavoué lors 
des élections législatives de janvier 2006, remportées par le Hamas.
De plus en plus, Mahmoud Abbas renvoie l’image d’un 
homme faible, constamment floué par ses « partenaires ». Les 
négociations, auxquelles il ne renonce jamais, apparaissent pourtant de 
plus en plus comme un théâtre d’ombres qui permet aux Israéliens de 
gagner du temps pour intensifier la colonisation. Sur un plan 
économique, il est partisan d’une politique libérale. Il nomme pour cela
 au poste de Premier ministre un technocrate qui rompt avec la tradition
 des leaders historiques : Salam Fayyed, ancien cadre de la Banque 
mondiale.
Abbas va si loin dans le compromis – beaucoup parlent de
 « compromission » – que certains de ses opposants au sein de la gauche
 laïque palestinienne le comparent à Pétain. Il mord le trait, 
incontestablement, lorsqu’il semble faire cause commune avec Israël, et 
avec l’Égyptien Moubarak, contre le Hamas. Ce sont les préparatifs 
d’offensive armée du Fatah contre le Hamas qui conduiront le mouvement 
islamiste à prendre les devants, et à s’emparer du pouvoir militairement
 à Gaza, en juin 2007. C’est la faute historique d’Abbas, pris ainsi en 
tenaille entre Israël, qui une fois de plus le piège, et le Hamas. Faute
 qu’il paie d’une perte de légitimité à Gaza, où le pouvoir du Hamas est
 toujours sans partage.
Il apparaît pourtant aujourd’hui qu’Abbas avait une 
stratégie sinon irréprochable, du moins cohérente : mettre son pays en 
ordre économique, se présenter comme un partisan constant du dialogue, 
pour revendiquer ensuite ce que ses interlocuteurs lui avaient promis : 
la reconnaissance d’un État palestinien. Beaucoup doutaient, avant le 
discours de l’ONU du 23 septembre, de la fermeté de Mahmoud Abbas. 
Est-ce l’aboutissement d’une stratégie mûrie de longue date, ou le 
résultat de la brusque prise de conscience d’un homme trop longtemps 
dupé par Israël, mais aussi par Washington et les grandes capitales 
européennes ? Toujours est-il que le vieil homme est allé jusqu’au bout 
de sa démarche. Il n’a finalement renoncé ni à demander la 
reconnaissance pleine et entière d’un État palestinien membre de l’ONU,
 ni aux frontières du 4 juin 1967, ni à Jérusalem-Est comme capitale.
Reste le douloureux problème du droit au retour des 
réfugiés. Reste aussi que les longues tractations qui ont débuté lundi 
aux Nations unies peuvent encore laisser le temps d’un nouveau recul 
palestinien. La postérité d’un homme n’est certes pas le problème 
principal du peuple palestinien, mais, à 76 ans, Mahmoud Abbas trouve 
dans la situation actuelle une chance inespérée de léguer une image 
positive à l’histoire. Ce peut être suffisant pour inciter à la fermeté 
celui qui fut de tout temps le « modéré » de la direction palestinienne.