01.07.11
J'imagine qu'après la visite à Washington de Benyamin  Nétanyahou, lui-même et son entourage ont tiré la plus grande fierté de  leur prestation. Mais qu'y ont vu les Palestiniens ? Qu'a pu y voir la  jeunesse arabe ? Ce qu'ils ont vu avant tout, c'est qu'Israël continue  de se moquer du monde, tout en entretenant l'illusion de négociations  toujours possibles, comme si les conditions définies par Benyamin Nétanyahou  laissaient la moindre place au compromis. Dans son discours, M.  Nétanyahou a prononcé cinquante fois le mot "paix", mais il n'a même pas  cherché à maquiller ce "non" qui s'inscrivait partout entre les lignes.
Il a répété "non" à l'envi, avec un sourire suffisant et un visage  déconcertant d'assurance. M. Nétanyahou est certainement disposé à  continuer à parler de paix ; il est à n'en pas douter disposé à  maintenir l'emprise d'Israël sur les territoires occupés dans le cadre  du processus de paix. Mais tout observateur perspicace aura compris que  de vraies négociations de paix sont impossibles dans les conditions qu'a  définies Israël à Washington.
Ce que les Arabes et les Palestiniens ont vu également, c'est une  Amérique naïve et détachée applaudissant une politique d'intransigeance,  aveugle au tour de passe-passe de Benyamin Nétanyahou. Ils ont vu les  deux chambres du Congrès des Etats-Unis acclamer le premier ministre  israélien qui déclarait Jérusalem indivisible et, par là même, la mort  du processus de paix. Ils ont vu les parlementaires américains courber  la tête devant la seule démocratie occidentale qui continue d'opprimer  un autre peuple, et qui le fait depuis près de cinquante ans. Ils ont vu  les Etats-Unis s'accrocher à des sentiments d'hier, ne faire aucun  effort pour comprendre les horizons de demain.
L'avenir montrera que ces événements à Washington ont entériné la  perte du nouveau Moyen-Orient par les vieux Etats-Unis. Le crédit gagné  par Barack Obama  au Caire il y a moins de deux ans aura été dilapidé en un clin d'oeil.  Quand un Palestinien voit Nétanyahou sous les applaudissements à  Washington, que peut-il penser de cette superpuissance censée jouer le  rôle d'intermédiaire impartial ?
Prévenir le pire
La colère et la frustration peuvent prendre bien des formes  différentes - un nouveau cycle de violences, ou bien le rejet, par cette  impressionnante jeune génération, de tout ce que l'Occident peut avoir  de positif. Nous sommes donc à un moment-clé où il faut que l'Europe  fasse le lien entre des Etats-Unis de plus en plus dépassés, et ce  formidable potentiel qui s'éveille au Moyen-Orient. Dans le cas  contraire, l'Europe risque, elle aussi, de perdre cette nouvelle  génération.
L'appel lancé aux chefs d'Etat européens par le groupe  d'intellectuels israéliens dont j'ai l'honneur de faire partie s'inscrit  dans un vaste effort mené par des éléments démocratiques de la société  israélienne pour prévenir le pire. Nous avons appelé l'Europe à montrer  la voie en accueillant une Palestine  indépendante dans la grande famille des nations. Nous avons souligné  que c'était nécessaire pour sortir de l'impasse, mais aussi conforme aux  intérêts d'Israël. Sans compter qu'il n'y a guère de sens à s'efforcer  d'éviter un événement dont nous sommes tous convaincus qu'il finira par  advenir.
Aujourd'hui, après trente ans d'entêtement et de stagnation, Benyamin  Nétanyahou est enfin prêt à reconnaître qu'Israël ne peut maintenir  toutes ses colonies. Combien d'années devront encore s'écouler, combien  de vies seront sacrifiées, avant qu'il accepte de faire l'inévitable pas  en avant ? Car tôt ou tard, un Etat palestinien sera créé. Israël  serait bien avisé de le reconnaître dès maintenant pour que puissent  s'ouvrir ensuite des négociations entre deux Etats souverains sur les  problèmes qu'il leur reste à résoudre.
Le processus de paix a presque vingt ans. Dans son ombre, c'est toute  une génération d'Israéliens et de Palestiniens qui ont grandi et perdu  leur innocence. La plupart ne croient plus que ce processus débouchera  sur un avenir meilleur. La stratégie palestinienne, qui conjugue  construction de structures étatiques et souhait de reconnaissance par  les Nations unies, ne peut pas se substituer à l'espoir de paix, mais  elle est à l'image de ce nouvel esprit qui souffle sur tout le  Moyen-Orient.
C'est ce nouvel esprit, ce sont ces transformations qui permettront  au long processus de paix d'atteindre enfin son but. Un Etat palestinien  sera créé. Ce n'est qu'en le reconnaissant, en oeuvrant à son  acceptation au sein de la famille des nations, que nous nous  rapprocherons de ce jour où deux Etats souverains se partageront dans la  paix et la prospérité cette étroite bande de terre entre Jourdain et  Méditerranée. Dès septembre, ouvrons grand nos bras à l'Etat  palestinien.
Traduit de l'anglais par Julie Marcot