Pascal Boniface
OPINION :
Evoquer les souffrances des Palestiniens, refuser l’assimilation Gaza égale terrorisme, est une réelle preuve de courage.
La semaine dernière, Caroline Fourest était invitée à la matinale de France Inter pour son livre sur Marine Le Pen.  L’humoriste maison Sophia Aram la félicita chaudement pour le courage  dont elle avait fait preuve avec cette publication, dans la lignée de  celui qui lui avait été nécessaire pour rédiger un livre sur Tariq  Ramadan. Pour faire l’apologie d’une des meilleures amies du patron de  France Inter, Sophia Aram n’a pas eu besoin d’un courage excessif.
L’étiquette de courageuse convient-elle à Caroline  Forest ? Elle la revendique et elle lui est souvent attribuée par ceux,  nombreux dans les médias, qui l’encensent. La promotion de son livre sur  Marine Le Pen  est d’ailleurs triomphale et ressemble par son ampleur à celles qui  sont mises en place lorsque BHL, de ses parrains, sort lui-même un  livre. Je n’entre pas ici dans le débat du rapport pour le moins  élastique que Caroline Forest entretient avec la vérité.
Mais il est évident que s’attaquer à Marine Le Pen  n’exige aucun courage. Elle est certes extrêmement visible, elle a une  forte popularité dans une grande partie de l’opinion française, mais  d’un point de vue médiatique, il n’y a aucun risque à s’en prendre à  elle. On est au contraire sur de faire à la quasi unanimité. De même  s’attaquer à Tariq Ramadan, ostracisé par les médias d’État, tient plus  de la volonté de plaire aux faiseurs d’opinion qu’à une manifestation de  courage. Le courage ne consiste pas à s’attaquer à des personnes  visibles mais sans pouvoir, mais d’oser prendre à contre-pied ceux qui  ont des positions de puissance. Dévoiler les supercheries de BHL  comporte plus de risques professionnels que de taper sur Tariq Ramadan.  Mais en France on peut encore vaincre sans péril et triompher avec  gloire.
Melissa Theuriau  a fait un documentaire sur Gaza. Il est déjà étonnant que M6 ait  accepté de le diffuser et que la presse s’en soit fait l’écho dans des  proportions non négligeables. Dans les interviews qui ont été faits, on  n’a pas demandé à Melissa Theuriau,  s’il lui avait fallu du courage moral et physique pour faire ce  reportage, on lui a plutôt demandé s’il s’agissait d’un acte militant.  Pourtant, évoquer les souffrances des Palestiniens, refuser  l’assimilation Gaza égale terrorisme, est une réelle preuve de courage.  C’est aller à l’encontre du « syndrome Catherine Nay », du nom de cette  journaliste d’Europe 1 qui avait subi une tempête médiatique pour avoir  fait une comparaison entre Mohamed Al Durah et l’enfant juif de la photo  du ghetto de Varsovie et qui en avait tiré comme conclusion qu’elle  n’évoquerait plus jamais le Proche-Orient.
Dans son livre La peur des barbares, Tzvetan Todorov  remarque que celui qui critique d’une façon ou d’une autre les musulmans  est aussitôt salué par les autres pour son courage, que le terme de  courageux revient en boucle dans les exercices d’autosatisfaction et  d’admiration mutuelle. Il écrit « il est un peu excessif, avouons-le, de  vouloir bénéficier à la fois de l’honneur réservé aux persécutés et des  faveurs accordées par les puissants ».
publié sur le blog de P. Boniface
et celui du du NouvelObs, "Affaires stratégiques"