Pierre Puchot, Mediapart
A  l’issue d’une visite à Washington au cours de laquelle il n’a pas  ménagé le président des Etats-Unis, Benjamin Nétanyahou a prononcé mardi  un discours qui ne laisse aucune place au processus de paix avec les  Palestiniens
La scène est extravagante :  fièrement dressé au centre de l’hémicycle, le premier ministre israélien  reçoit, mardi 24 mai, l’ovation du Congrès américain. Vient-il de  signer un traité de paix ? De faire montre d’un quelconque courage  politique ?
Bien au contraire : à l’issue d’une visite à Washington  au cours de laquelle il n’a pas ménagé le président des Etats-Unis,  Benjamin Nétanyahou a prononcé mardi un discours qui ne laisse aucune  place au processus de paix avec les Palestiniens, excluant tout retour  aux frontières de 1967 pour la création d’un Etat palestinien, pourtant  souhaité par Obama la semaine passé.
Pis : devant les membres du Congrès, le premier ministre  a fait une fois de plus la promotion de sa vision ethnique et  religieuse du conflit : « Je me suis dressé devant mon peuple et je leur  ai dit : “J’accepterai un Etat palestinien”, affirme le premier  ministre israélien. Il est temps que le président Abbas se dresse devant  son peuple et dise : “J’accepterai un Etat juif”. » Dans les rangs des  démocrates et des républicains, il ne s’est trouvé personne ce jour-là  pour préciser au premier ministre que plus d’un quart des Israéliens  n’étaient pas juifs, et que « juif » n’était pas une nationalité...
Curieuse vision de l’histoire que celle du premier  ministre israélien – depuis Arafat, l’Autorité palestinienne reconnaît  de fait la légitime existence d’Israël... mais pas au-delà des  frontières de 1967 – démentie par les Israéliens eux-mêmes, du moins par  une majorité d’entre eux. Si l’on en croit un sondage publié cette  semaine par le quotidien de centre droit Maariv, il semble que les  Israéliens ne soient pas si catégoriques que leur premier ministre.
À la question : « Comment selon vous le premier ministre  aurait-il dû réagir aux propositions d’Obama ? », 46,8% des personnes  interrogées estiment que le chef du gouvernement aurait dû les soutenir  tout en exprimant des réserves, 10% pensent qu’il aurait dû les accepter  sans réserve, tandis que 36,7% soutiennent qu’il devait les repousser.  Un sondage aux résultats toutefois quelque peu contradictoires,  puisqu’il indique que si des élections avaient lieu aujourd’hui, et non  en 2013, le Likoud, le parti de Nétanyahou, progresserait et obtiendrait  30 sièges (contre 27 aujourd’hui) sur 120.
Cruel pour Obama, ce sondage montre pourtant que la face  émergée d’Israël n’est pas tout à fait représentative du débat qui  traverse la société israélienne.
Qu’a dit Obama dans ce discours prononcé jeudi 19 mai,  que l’on annonçait comme son grand discours de relance en matière de  politique internationale ? Au-delà de son plan d’aide aux pays ayant  fait leur révolution (Tunisie, Égypte), le président américain s’est  déclaré pour la première fois en faveur de la création d’un Etat  palestinien dans le cadre des frontières de 1967, sur la Cisjordanie, la  bande de Gaza et Jérusalem-Est, avec des échanges possibles de  territoires. Il a également évoqué le principe d’un Etat démilitarisé.
Et après ? Comment le président des Etats-Unis  compte-t-il s’y prendre pour concrétiser cette nouvelle annonce ? Par un  nouveau plan, que le presse américaine annonce depuis deux ans ? Selon  une nouvelle approche ? De cela, pas un indice. Obama évoque les  frontières de 1967, mais ne se donne pas les moyens d’en faire une  réalité concrète, serait-ce dans un plan à moyen terme.
Comment le président américain compte-t-il contraindre  Israël à évacuer 300.000 colons israéliens qui vivent aujourd’hui en  Cisjordanie, quand le départ de 8.000 colons de Gaza en 2005 fut vécu  par la majorité des Israéliens comme un drame national ?  Ce retrait de  Cisjordanie est pourtant la condition sine qua non à l’établissement  d’un Etat sur les frontières de 1967. Obama sait cela. Toute la première  partie de son mandat a cependant consisté à redonner la main à Benjamin  Nétanyahou sur cette question essentielle de la colonisation.
Depuis deux ans, l’administration américaine a égrené un  chapelet de bonnes intentions, sans jamais avoir les moyens de cette  ambition. Pour l’heure, le bilan d’Obama peut être considéré comme plus  nocif encore que celui du second mandat de George W. Bush ! En laissant  sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton accepter le concept israélien de  « gel partiel des colonies » en Cisjordanie (lire notre article), Obama a  sapé dès l’automne 2009 l’une des bases des négociations, le gel de la  colonisation, au centre des débats depuis vingt ans, sans jamais  proposer de solution de substitution.
A elle seule, l’annonce en faveur d’un Etat palestinien  sur les frontières de 1967 (position adoptée par les Nations unies  depuis quatre décennies) est certes spectaculaire, traduisant les  positions irréconciliables des diplomaties israélienne et américaine sur  la question des frontières du futur Etat. Ce qui ne remet en rien en  cause leur entente sur d’autres points, comme le boycott du Hamas,  qui gouverne Gaza depuis trois ans et que Benjamin Nétanyahou considère  comme « l’Al-Qaïda palestinien », ou le refus d’une proclamation  unilatérale de l’Etat palestinien devant l’Onu.
Ici réside d’ailleurs la seule véritable information  d’importance pour les Palestiniens dans le discours d’Obama de jeudi.  Comme elle a fait pression il y a deux ans sur l’Autorité palestinienne  afin qu’elle demande le report de l’examen du rapport Goldstone relatif à  l’offensive israélienne à Gaza, l’administration américaine fera tout  ce qu’elle peut pour empêcher ou limiter la portée de la reconnaissance  par l’assemblée générale de l’Onu en septembre d’un Etat palestinien,  selon le plan élaboré par le premier ministre palestinien Salam Fayyad,  qui a déjà remporté quelque succès. Plusieurs pays d’Amérique latine,  dont le Brésil, n’ont-ils pas affiché leur volonté de reconnaître l’Etat  palestinien, avec Jérusalem-Est pour capitale ?
Par-delà l’annonce sur les frontières de 1967, les discours d’Obama et de Nétanyahou marquent en fait le désengagement  américain du Proche-Orient, l’hostilité de l’administration d’Obama  envers l’initiative de l’Autorité palestinienne devant l’Onu et  l’enterrement du processus de négociations. Mais cela, les dirigeants et  l’opinion publique palestinienne l’avaient compris, depuis longtemps.