Mohammed Rabah Suliman - The Electronic Intifada
          Au lieu de les amener à capituler, le siège d’Israël a politisé la jeunesse de Gaza.         
Photo : Anne Paq -ActiveStills
Les Palestiniens ont eu du mal à croire à l’accord de réconciliation entre les deux plus grandes factions palestiniennes, le Hamas et le Fatah, conclu avec l’aide de l’Egypte qui a répété que mettre fin au siège est une priorité. La jeunesse  palestinienne qui vit dans la bande de Gaza assiégée n’a pas tardé à  envisager une nouvelle vie dans un Gaza libéré des divisions politiques  comme du siège.
En 2006, le Hamas a gagné les élections législatives palestiniennes devant le Fatah. Le Fatah a longtemps dominé l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et il a contrôlé l’Autorité Palestinienne depuis qu’elle a été créée après les accords d’Oslo de 1993. Le Hamas n’est pas membre de l’OLP.
Une année plus tard, un gouvernement d’unité nationale  qui avait réuni les deux factions pour une courte période de temps a  éclaté suite aux efforts des USA, entre autres, pour le saper, et le Hamas a jeté le Fatah dehors de la bande de Gaza après des combats aussi violents que navrants.
Depuis la population de Gaza vit en état de siège, un  siège impitoyable et hermétique maintenu par Israël et l’ancien  gouvernement de l’Egypte du président Moubarak qui vient d’être déposé.
Des quantités de rapports ont été rédigés pour décrire  la crise humanitaire que le siège provoquait ainsi que la politique  agressive d’Israël contre les civils palestiniens. Les convois de  solidarité se sont succédés à Gaza dans un effort pour alléger les  souffrances que le siège infligeait aux Palestiniens.
Mais un aspect du siège israélien a été bizarrement laissé de côté, c’est sa conséquence positive sur la jeunesse de Gaza.
En dépit de ses nombreux côtés très destructeurs, le siège d’Israël a rendu à la jeunesse  palestinienne un service unique. Il nous a offert de nouvelles voies  dans notre lutte pour la liberté, approfondi notre sentiment patriotique  et finalement créé un environnement qui engendre un sens collectif  d’altruisme et de coopération. Il a créé une nouvelle génération qui se  sent vraiment concernée.
En 2006, quand la politique de blocus de Gaza d’Israël  s’est mise en place, le peuple de Gaza ne se rendait pas compte de  l’ampleur de la débâcle qui les attendait. Peu après les prix se sont  mis à monter, il est devenu difficile de traverser les frontières et des  coupures de courant incessantes ont dominé irrémédiablement tous les  aspects de la vie.
Il était d’impossible, même pour les Palestiniens de  Gaza, d’imaginer qu’ils seraient capables d’endurer longtemps cette  nouvelle vie.
C’était peut-être  le but d’Israël. Ils ont dû se dire : "Ils ne seront pas capables de  tolérer la vie d’enfer que nous allons leur faire mener, nous allons les  étouffer de tous les côtés, nous leur causerons tant de douleurs qu’ils  ne tarderont pas à imploser."
Mais ils n’ont pas réussi. Et contre toute attente,  après quatre ans de siège et en dépit de la misère générale, des grandes  souffrances et de la punition collective, la vie continue.
Pour nous, les jeunes de Gaza, la vie sous le siège a  été un choc terrible. Nous n’étions pas capables de supporter cette  oppression et au début la vie a été un calvaire. La colère et la  frustration nous submergeaient chaque fois que nous nous rendions compte  que le siège n’était pas prêt de prendre fin.
Nous nous sentions impuissants devant la nécessité  d’affronter seuls les ténèbres qui assombrissaient nos esprits et nos  corps. Parfois nous parvenions à échapper un instant à nos souffrances  lorsque l’oppression dans laquelle nous vivions se relâchait un peu. Par  exemple en allant au bord de la mer pourtant parsemée de navires  israéliens la nuit ou dans un café voisin où le son musical des  narguilés se mélangeait inextricablement avec le vrombissement  horripilant des générateurs qui tournaient à plein volumes.
Cependant, malgré nos efforts il nous était impossible  de faire abstraction du contexte politique. Nous y étions rejetés par  l’ampleur de la misère qui s’imposait à nous.
Cela a généré chez beaucoup d’entre nous un état d’esprit qui a finalement débouché sur des activités fructueuses.
Beaucoup de jeunes de Gaza se sont intéressés à la  politique en écoutant les informations, en lisant les rapports et les  analyses. La lecture est devenue notre seule et unique ressource puisque  nous n’avions rien d’autre à faire. Très vite nous nous sommes mis à  lire de plus en plus.
La lecture a allumé une nouvelle lumière dans le noir ;  elle a fait souffler de nouveaux vents dans l’immobilité et a ajouté un  parfum à nos vies monotones. C’était trop beau pour y résister. En plus  de la lecture, de nombreux jeunes de Gaza se sont mis à documenter les  atrocités israéliennes contre les Palestiniens dans des articles, des  blogs, des films et des contributions sur le net. Israël était au centre  de leurs préoccupations. Tout ce qui concernait Israël était digne  d’intérêt. Sur le terrain, l’hyperactivité se manifestait surtout par  l’immense variété d’activités que les jeunes pratiquaient et animaient  et les mouvements et réseaux sociaux.
Un des groupes remarquables de jeunes qui vient d’être  crée dans la bande de Gaza est le Réseau d’expression des jeunes  palestiniens ("PYAN"). Pyan est aussi un mot arabe qui signifie  exposition, représentation, rhétorique ou rayonnement ; tout cela fait  partie du travail auquel l’équipe se consacre.
Le réseau se définit comme "un nouveau mouvement qui a pour but de promouvoir des actions démocratiques en Palestine  et de combattre les idées préconçues sur les territoires occupés par le  moyen du dialogue international et des enquêtes sur le terrain". Il  fonctionne régulièrement et organise des ateliers en coordination avec  des institutions locales et internationales avec l’objectif de "[jouer]  un rôle innovant pour aider la jeunesse palestinienne à acquérir les  connaissances et les techniques nécessaires pour défendre leur cause et  leurs droits sacrés contre la désinformation opérée par les médias  occidentaux dominants".
Samah Saleh, un des cofondateurs de PYAN m’a expliqué le  rôle qu’avait joué le siège dans la création du réseau d’expression et  de quantités d’autres groupes de jeunes :
"Le siège est la cause principale de l’émergence de  PYAN. Gaza est assiégé depuis environ quatre ans, et pendant tout ce  temps les jeunes de Gaza se sont efforcés de comprendre les effets des  politiques mondiales, régionales et intérieures sur leurs vies. A Gaza,  le siège était l’éléphant dans la pièce et les Gazaouis, abandonnés à  leur sort, devaient vivre en défiance permanente de l’intrusion du  blocus dans leur vie quotidienne même dans les choses les plus simples.  Nous avons fait de PYAN une plateforme pour la jeunesse de Gaza,  répondant ainsi au besoin irrépressible des jeunes de communiquer au  monde entier ce qu’ils vivent sous le siège israélien".
Parler de ce siège inhumain sans se concentrer sur les crimes d’Israël contre des civils palestiniens n’a peut-être  pas aussi intéressant. Mais après avoir fait voler en éclat tous les  clichés nous décrivant comme des terroristes, nous refusons maintenant  d’être décrits comme des gens qui meurent de faim ou qui se sont  réfugiés dans un coin et restent assis dans le noir. Notre capacité à  transformer nos souffrances en une source d’inspiration est le garant de  notre dignité et alimente notre invincible détermination.
* Mohammed Rabah Suliman,  21 ans, est un étudiant et un blogger palestinien de Gaza. Il étudie la  littérature anglaise à l’université islamique et tient un blog à Gaza Diaries of Peace and War à http://msuliman.wordpress.com. On peut le suivre sur Twitter at http://twitter.com/# !/ imPalestine.
26 mai 2011 - The Electronic Intifada -  Pour consulter l’original : 
http://electronicintifada.net/conte...TRaduction : Dominique Muselet