William A. Cook
OPINION :
Le refus d’un état palestinien aboutira donc à un état  israélien non démocratique d’apartheid contrôlé par une minorité, comme  l’Afrique du sud il y a des dizaines d’années.
"A partir du moment où nous  avons choisi d’assumer un rôle qui comprend la domination permanente du  monde par les armes, nous nous sommes retrouvés seuls -craints, haïs,  corrompus et corrupteurs, maintenant "l’ordre" par le terrorisme d’état  et la corruption et adonnés aux rhétoriques mégalomaniaques et aux  sophismes qui invitaient littéralement le reste du monde à s’unir contre  nous. Nous sommes montés sur le tigre napoléonien. La question était  -allions nous en en descendre un jour et serait-ce même possible ?"  (Chalmers Johnson, The Sorrows of Empire 284).
La semaine dernière, la communauté mondiale a pu  constater la justesse de la prémonition que Johnson a eue il y a six ans  en voyant les efforts de Netanyahu et Obama pour contrôler le tigre  lâché par la création de l’état d’Israël - à coup de fourberies, de  terrorisme et de puissance militaire- au milieu du monde arabe, état qui  doit maintenant faire face au printemps arabe qui naît des cendres des  dictateurs déchus. La coercition, la corruption et la puissance  militaire pouvaient créer une illusion de stabilité aussi longtemps que  des accords fournissaient les milliards de dollars nécessaires à la  police de la sécurité, à l’entraînement des troupes par les USA, au  soutien technique et au matériel militaire qui maintenaient les  dictateurs au pouvoir.
Mais deux facteurs : le fait que l’oligarchie issue des  multinationales ("corpocracy") qui gouverne cet empire le contraint à  obéir aux désidératas de son enfant adopté, et la guerre sans fin qu’il  mène pour soutenir sa croissance économique, ont terriblement affaibli  les USA comme le montrent leurs futiles efforts pour contenir le  terrorisme dans tout le Moyen Orient. Désormais les USA se retrouvent  sans pouvoir, sans ressources et sans  amis, manipulé par les sionistes israéliens comme Sharon, Olmert, et  Netanyahu qui méprisent la faiblesse des USA et tiennent son Congrès  prisonnier par la force, la corruption et le mensonge, les mêmes  méthodes qu’Israël a utilisées contre les peuples du Moyen Orient pour  créer l’illusion de pouvoir.
Ironiquement dans son discours à l’AIPAC et à Netanyahu,  lundi, Obama a dressé une carte démographique qui contraint Israël et  la communauté mondiale à voir ce qui motive réellement le parti du  Likoud au moment même où il prétend que "la paix est le premier objectif  d’Israël". La population palestinienne de la Palestine historique sera égale à la population juive avant 2014 (Palestine  Bureau of Statistics). Ce fait matériel (litt."sur le terrain") montre  que les Palestiniens seront majoritaires à l’ouest du Jourdain ;  L’ironie réside dans une déclaration du Likoud qui est passée  inaperçue : "Le gouvernement d’Israël rejette absolument la création  d’un état palestinien à l’ouest du Jourdain". Non seulement ceci  signifie que le gouvernement israélien rejette totalement un état  palestinien (d’une manière comparable en vérité au refus du Hamas  de reconnaître Israël) mais il le fait alors même qu’il est confronté à  l’évidence incontournable que les Juifs seront alors minoritaires en Palestine.  Le refus d’un état palestinien aboutira donc à un état israélien non  démocratique d’apartheid contrôlé par une minorité, comme l’Afrique du  sud il y a des dizaines d’années.
Mais le discours d’Obama a été plus loin que les  statistiques démographiques. Il a essayé d’expliquer aux Israéliens que  les murs et les barrières de maillon de chaînes ne pourraient pas  contenir les 6,1 millions de futurs Palestiniens même avec des barbelés,  des tours de contrôle et de la haute technologie. Comment Israël  pourrait-il contrôler une population supérieure en nombre à la sienne,  entassée sur 15% de la Palestine historique pendant que sa propre  population en occupe 85% ? (PCBS). Comment la communauté mondiale  pourrait-elle accepter une situation d’une telle injustice, surtout que  ces chiffres ne comprennent pas les 5,6 millions de réfugiés qui vivent  dans divers pays arabes. Selon le droit international, ces personnes ont  le droit du retour et beaucoup d’entre elles auraient le droit de  revenir sur des terres qui sont maintenant revendiquées par Israël.  Obama laisse entendre qu’Israël doit choisir entre accepter un accord  qui donnerait assez de terre et de ressources aux Palestiniens ou  affronter l’inévitable dissolution de l’état juif  si la solution d’un seul état devient une réalité de facto. En 2002 le  prince saoudien a proposé un plan de paix basé sur les frontières de  1967 qui incluait une totale reconnaissance de l’état d’Israël par tous  les pays arabes. Israël et les USA l’ont rejeté d’emblée.
Obama n’a pas dit au gouvernement israélien ce qu’il  devait faire, mais il a noté que les temps changent (times are a  changin’). Il ne sera plus possible, sous-entend Obama, d’accueillir  parmi l’élite les quelques personnes qu’on peut soudoyer pour qu’ils  acceptent de signer avec Israël un pseudo accord de paix comme ceux qui  ont été signés en Egypte et en Jordanie, ni de contraindre les pairs de  Kadhafi à conclure des accords de pétrole juteux, ni d’envahir  illégalement un pays qui n’a rien fait aux USA comme nous l’avons fait  en Irak et en Afghanistan pour mettre en place des leaders complaisants  qui feront ce que veulent nos entreprises. Non, les temps ont changé ;  le nouvel Arabe se rend compte que les ressources des USA s’épuisent, il  est conscient de sa crise économique et de sa dette colossale, il voit  l’étau qui se resserre sur les Juifs à cause de la croissance de la  population palestinienne, il veut la justice pour lui-même et pour les  Palestiniens et il sait qu’il peut forcer la communauté internationale à  se réveiller à travers l’assemblée générale de l’ONU.
Obama n’a que trop conscience du peu de pouvoir qu’il a  en tant que président des USA. Il sait que les représentants du peuple  sont aux mains des multinationales et du lobby israélien. Cela signifie  qu’il ne peut rien faire en matière de législation ni de politique  étrangère ou intérieure s’il s’oppose aux sionistes qui contrôlent son  gouvernement et qu’il ne sera pas non plus réélu. C’est un homme  enchaîné et soumis à ses maîtres. Mais il sait aussi que cette  soumission est un danger pour les USA, que ses soldats sont au service  d’une puissance étrangère et que la haine des étasuniens brûle le coeur  de ceux qui vivent sous la botte des troupes israéliennes.
Mark Perry fait état d’un briefing d’un caractère  explosif unique de l’amiral Mullen selon lequel les dirigeants arabes  les plus importants pensent que l’administration étasunienne est  incompétente et incapable de tenir tête à Israël ; il parle aussi de  ceux du General Petraeus qui voit la soi-disant "relation spéciale" avec Israël comme un risque pour les vies des Etasuniens et leurs intérêts.
Le briefing de janvier de Mullen était une première.  Aucun commandant précédent du CENTCOM (Commandement central des USA) ne  s’était jamais exprimé sur ce qui était considéré essentiellement comme  une question politique ; c’est pourquoi ceux qui ont fait ce rapport à  Muller ont insisté sur le fait que leurs conclusions étaient le fruit  d’un tour de la région effectué en 2009 sur les instructions de Petraeus  au cours duquel ils avaient parlé à des dirigeants arabes importants.  "Partout où ils sont allés, le message était assez humiliant" a dit un  officier du Pentagone qui connaît le briefing. "Non seulement les USA  sont considérés comme faibles mais sa puissance militaire dans la région  diminue." (voir Mark Perry, “Putting American Lives At Risk")
Voici la déclaration faite par le général Petraeus au  nom du Centcom devant le comité des services armés du Sénat le 16 mars  2010 :
Il n’y a pas de progrès suffisant vers une paix générale au Moyen Orient. Le conflit  qui ne se résout pas entre Israël et certains de ses voisins entrave  notre capacité à faire avancer nos intérêts dans le territoire placé  sous notre responsabilité (AOR). Les tensions entre Israël et les  Palestiniens dégénèrent souvent en violences et en confrontations armées  d’importance. Le conflit  engendre des sentiments anti-étasuniens qui sont dûs au sentiment que  les USA favorisent Israël. La colère arabe au sujet de la question  palestinienne limite la force et la profondeur des partenariats entre  les USA et les gouvernements et les peuples de l’AOR et entame la  légitimité des leaders arabes modérés de la région. Al-Qaeda et d’autres  groupes militants exploitent cette colère pour obtenir du soutien. le conflit augmente aussi l’influence à l’Iran sur le monde arabe à travers ses obligés, le Hizbollah au Liban et le Hamas.
Obama a compris les implications pressantes de la  renaissance des aspirations humanitaires des peuples de Tunisie,  d’Egypte, de Libye, du Barhein, du Yémen, d’Arabie Saoudite, de Syrie,  de Jordanie, d’Iran et même de Palestine, surtout de Palestine, car ces  aspirations submergent les bureaux des représentants de l’ONU pour  exiger la reconnaissance des citoyens occupés et assiégés de Palestine.  On s’attend à ce qu’en septembre prochain, l’Amérique Latine, l’Asie, la  plus grande partie de l’Europe et tous les pays arabes acceptent comme  membre à part entière l’état palestinien dans les frontières de 1967 et  alors le long calvaire du peuple palestinien durant 63 ans d’un  processus de paix toujours saboté par Israël, touchera à sa fin (Voir  Jeff Halper, “Israel is the Problem,” The Plight of the Palestinians).
Ce vote va mettre Israël dans une position intenable  parce que les USA vont être obligés de renoncer au rôle de protecteur  d’Israël pour qui ils ont défié l’ONU pendant toutes ces années, faisant  de l’ONU une institution sans objet et sans  pouvoir et anéantissant les aspirations de la communauté mondiale. Les  discours d’Obama devant le Congrès et l’AIPAC contraindront Netanyahu  soit à accepter des négociations de paix qui verront la création d’un  état palestinien viable soit à négocier avec l’ONU au lieu des  Etats-Unis la création d’un état palestinien, une perspective qui ne  plaît pas à Israël. Cependant la vérité est que l’état d’Israël a été  reconnu par l’ONU par un vote de l’assemblée générale en 1949 rendant  donc difficile un vote similaire au profit des Palestiniens. C’est  seulement si l’ONU intervient pour établir des frontières légitimes aux  deux pays, créant ainsi une situation équitable de départ, qu’une paix  juste et réelle deviendra possible.
Netanyahu, au contraire, a ignoré ces implications et tenté de défendre la rhétorique mégalomaniaque d’Israël,
• une rhétorique qui fait grand cas de la menace contenue dans la charte du Hamas  de ne pas reconnaître l’état d’Israël mais oublie de parler au monde du  rejet pur et simple d’un état palestinien dans le propre programme du  Likoud ;
• une rhétorique qui prétend que les frontières de 1967  sont indéfendables pour Israël tout en niant les massacres de  Palestiniens avant et après la mise en oeuvre du plan de partition de  l’ONU qui s’est soldé par la confiscation de 21000 dounams (1  dounam:1000m2) de terre en Galilée, Al-Muthalath et dans le Negev.
• une rhétorique qui déclare que les colonies doivent  rester en Cisjordanie au même titre que l’autoroute d’apartheid que  seuls les Juifs ont le droit d’utiliser en dépit du fait qu’il y a  jusqu’à 517 774 Juifs éparpillés en Cisjordanie rendant une Palestine  viable impossible tandis que 1496 dounams, de plus ont été confisqués  pour construire le mur d’expansion et d’annexion pour les colonies en  expansion ;
• une rhétorique qui exige que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un état juif  et démocratique même si cette définition est un oxymore qui a comme  conséquence de faire des arabes israéliens des citoyens de seconde  classe, tandis qu’Israël refuse la création d’un état palestinien à  l’ouest du Jourdain ;
• une rhétorique qui exige que les Palestiniens  rejettent la violence alors qu’Israël occupe leur pays illégalement  ainsi que des terres libanaises et syriennes et a assassiné sans relâche  des Palestiniens depuis sa création, un fait qui est attesté par  d’innombrables résolutions de l’ONU.
En ce temps de commémoration, il faut que le peuple des  USA réfléchisse sur le rôle qu’il a joué dans la naissance ratée de  l’état d’Israël et la désastreuse catastrophe qu’a subie le peuple  palestinien. Ironiquement, la plupart des Etasuniens ne peuvent se  souvenir ni de la Déclaration d’Indépendance d’Israël ni de la Nakba et  pourtant en 2011 leur existence économique, politique et internationale  est tributaire des décades de soutien inconditionnel que le gouvernement  étasunien à donné à l’état terroriste d’Israël. Ironiquement au moment  où le président Obama donne un aperçu de ce que l’évolution de la  situation au Moyen Orient lui inspire, le "soutien indéfectible" à  l’état d’Israël a déjà provoqué la condamnation universelle de son pays  considéré comme une nation qui a perdu son honneur, en qui on ne peut  pas avoir confiance et à qui il faut mieux ne pas avoir à faire car il  ne lui reste plus aucune velléité de rendre justice aux faibles et aux  personnes sans défenses. Voilà peut-être ce qui mène la puissance  étasunienne à la catastrophe : notre politique de domination du monde au  profit de notre élite économique.
William A. Cook est professeur  d’Anglais à l’Université de La Verne dans le sud de la Californie. Il  écrit fréquemment pour des sites Internet comme The Palestine Chronicle,  MWC News, Atlantic Free Press, Pacific Free Press, Countercurrents,  Counterpunch, World Prout Assembly, Dissident Voice, et Information  Clearing House. Il a écrit plusieurs livres dont "Tracking Deception :  Bush Mid-East policy, The Rape of Palestine, The Chronicles of Nefaria", un roman, et "The Plight of the Palestinians" qui va sortir. On peut le joindre à wcook@laverne.edu or www.drwilliamacook.com
Publié par Countercurrents
et en français par le Grand Soir
traduction : D. Muselet