Comité international de la Croix-Rouge
Mathilde  De Riedmatten, chef adjointe de la sous-délégation du CICR à Gaza,  décrit la situation qui prévaut dans l’enclave côtière et comment les  Gazaouis continuent de lutter au quotidien.
Comment décririez-vous la situation humanitaire dans la bande de Gaza aujourd’hui ?
Le CICR est préoccupé par le fait qu’un million et demi  de Gazaouis ne peuvent pas mener une existence normale et digne.  Pratiquement personne ne peut quitter la bande de Gaza, même pas pour  aller en Cisjordanie où bon nombre ont de la famille ou y ont déjà  travaillé. Les établissements de santé souffrent des restrictions imposées par  Israël sur le transfert du matériel médical, des matériaux de  construction et de nombreux articles de base nécessaires à l’entretien.  Les installations eau et assainissement sont mises à rude épreuve depuis  de nombreuses décennies. Le fait qu’elles soient en état de  fonctionner, même de manière rudimentaire, est redevable aux efforts de  certaines organisations humanitaires. Les bâtiments qui ont besoin  d’être réparés depuis des années et les nombreux bâtiments détruits  durant l’opération militaire israélienne à Gaza en 2008-2009 ne peuvent  pas être réparés ou reconstruits car il n’est pas autorisé d’introduire  de grandes quantités de matériaux de construction de base comme le béton  dans la bande de Gaza.
La violence fait régulièrement des victimes civiles dans  la bande. Ces derniers mois, bon nombre de personnes ont été tuées ou  blessées lors d’une escalade de la violence et quelquefois même au cours  d’hostilités ouvertes. Les incidents de sécurité dans la zone située  entre Gaza et Israël entraînent souvent la perte de vies humaines ou la  destruction de biens ou de moyens de subsistance. Nous déplorons les  victimes civiles et continuons de rappeler à toutes les parties qu’il  faut épargner aux civils les effets des hostilités. Toutes les  précautions possibles doivent être prises pour éviter des victimes  civiles.
Le personnel du CICR suit constamment de près la  situation des civils, tels que les agriculteurs et les ramasseurs de  décombres, qui n’ont d’autre alternative que de vivre et de travailler  dans des zones proches d’Israël. La zone située le long de la clôture,  qui s’étend sur 300 mètres dans la bande de Gaza, a été déclarée zone  d’exclusion par les Forces de défense israéliennes. Une zone beaucoup  plus vaste, qui s’étend sur presque un kilomètre dans la bande de Gaza,  est considérée comme dangereuse en raison des incursions de l’armée  israélienne et de l’utilisation de balles réelles. Chaque fois que les  civils subissent un préjudice direct dans de tels incidents, nous  documentons les cas et faisons part de nos préoccupations de manière  bilatérale et confidentielle aux parties concernées.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation économique ?
Gaza est plus tributaire que jamais de l’aide  extérieure. Les jeunes – jusqu’à 50 pour cent du million et demi  d’habitants de la bande de Gaza ont moins de 18 ans – souffrent de  l’absence terrible de perspectives et mènent un combat permanent pour  garder espoir en l’avenir.
Les limites strictes sur les importations et  l’interdiction quasi absolue sur les exportations imposées par Israël  rendent impossible la reprise économique. Le taux de chômage est  actuellement de près de 40 pour cent et restera très élevé tant que  l’économie ne pourra pas reprendre. Cette situation difficile exacerbe  les difficultés déjà considérables liées à l’effondrement des secteurs  jadis prospères de l’économie.
Au fil des années, l’accès aux terres propres à  l’agriculture a été réduit par les restrictions imposées dans les zones  proches d’Israël, le nivellement des terres et la destruction des arbres  par les Forces de défense israéliennes. Pour aggraver encore la  situation, le prix élevé voire la pénurie totale de certains intrants  agricoles comme notamment les engrais et les pesticides, et le manque de  possibilités d’exportation ont pesé lourdement sur le secteur primaire.  En outre, de nombreux pêcheurs ont perdu leurs moyens de subsistance  après qu’Israël ait réduit la zone de pêche à trois milles marins de la  ligne côtière de Gaza.
Comme Israël conserve un contrôle effectif sur la bande  de Gaza, en particulier en maintenant l’autorité sur le mouvement des  personnes et biens, il doit s’acquitter des obligations qui lui  incombent en vertu des règles du droit applicable en cas d’occupation et  permettre à la population civile de mener une vie aussi normale que possible.
Israël a assoupli le régime de bouclage en juin 2010.  Est-ce que cela a eu un effet positif sur la vie des habitants  ordinaires de la bande de Gaza ?
La restriction sur le mouvement des personnes hors de la  bande de Gaza reste inchangée. Le système des permis instauré par  Israël, associé à des contrôles rigoureux, signifie que seules les  personnes ayant besoin de soins médicaux qui répondent à des critères  stricts de sécurité sont autorisées à sortir en empruntant soit le passage de Rafah vers l’Égypte soit celui d’Erez vers Israël. Très peu d’autres personnes sont autorisées à sortir de Gaza.
L’entrée de biens dans la bande de Gaza demeure encore  très limitée, non seulement en termes de quantité mais aussi en termes  de produits autorisés. Des retards importants sont fréquents. Certains  biens autorisés sont si chers que leur disponibilité n’a que peu  d’importance pour la grande majorité de la population qui n’aurait  jamais eu les moyens de les acheter. Même si l’exportation de certaines  cultures de rapport comme les œillets et les fraises a fait l’objet  d’une couverture médiatique, le niveau réel des exportations hors de la  bande de Gaza demeure pratiquement nul. Les importations de matériaux de  construction et de matières premières sont encore pour la plupart  interdites bien qu’elles soient vitales pour l’infrastructure du  territoire et la reprise économique.
À moins d’un changement politique qui s’accompagnerait  de la liberté de mouvement des Gazaouis et de l’accroissement des  importations de divers biens et d’importantes exportations, il n’y aura  pas d’amélioration.
Comment le CICR peut-il contribuer à atténuer les effets du bouclage ?
Pour aider les familles à joindre les deux bouts, nous  avons mis en place des programmes « argent contre travail » et lancé des  projets qui équipent les agriculteurs en outils et semences afin  d’améliorer le rendement des récoltes.
Nous faisons aussi tout notre possible pour nous assurer  que les personnes blessées et malades bénéficient de soins médicaux en  apportant un soutien aux services d’urgence du ministère de la Santé et  du Croissant-Rouge palestinien. La Société nationale dispense des soins  d’urgence pré-hospitaliers et assure des consultations en plus des  nombreuses autres tâches humanitaires qu’elle effectue dans la bande de  Gaza. Le CICR soutient aussi le Centre des membres artificiels et de  poliomyélite, unique installation de ce genre dans la bande de Gaza, qui  a traité plus d’un millier de patients en 2010.
Nos ingénieurs eau et assainissement concentrent leurs  efforts sur le traitement des eaux usées. Dans une usine récemment  achevée à Rafah,  une partie des eaux usées traitées peuvent en toute sécurité s’écouler  dans les nappes phréatiques et les remplir, constituant la seule source  d’eau propre dans la bande de Gaza. Grâce aux derniers travaux de  rénovation de l’usine, les eaux usées une fois traitées pourraient  bientôt servir à des fins agricoles par exemple pour l’irrigation des  arbres.