Letty Cottin Pogrebin - The Jewish Forward
Vous avez sûrement lu des articles sur la situation dans la ville de Cisjordanie de Hébron où 800 colons juifs vivent au milieu de 170 000 Palestiniens. Mais c’est autre chose de se trouver sur place. Voir ce que vous voyez vous donne mal au ventre. Voir ce que vous voyez fait immanquablement penser à un mot qui commence par « A ».
Fouilles et arrestations dans la vieille ville de Hébron, en Palestine occupée.
Il y a quelques semaines, j’ai passé un après-midi dans des lieux qu’on ne visite pas quand on fait le tour des synagogues et il n’y a pas d’autre mot pour décrire ce que j’ai vu. Dans la colonie de Kiriat Arba, la directrice du projet de Peace Now (Paix maintenant) de surveillance des colonies, Hagit Ofran, a dit à notre délégation composée d’Etasuniens appartenant au mouvement Peace Now : « A partir d’ici seuls les Israéliens peuvent entrer dans Hébron en voiture, les Palestiniens doivent y aller à pied. » J’ai cru qu’elle plaisantait. Mais pas du tout.
Depuis les années 1970 des colons radicaux revendiquent des propriétés de Hébron que des Juifs possédaient avant l’établissement de l’état d’Israël en 1948. Aujourd’hui il y a des affiches partout qui proclament le droit divin des colons à la ville, en citant les paroles de la Torah (« Les enfants sont revenus dans leurs frontières » Jérémie 31, 17) et rappelant le massacre de 66 Juifs par leurs voisins arabes.
Je n’ai trouvé aucune mention du massacre de 1994 qui a eu lieu à la mosquée Ibrahimi dans la tombe des Patriarches au cours duquel Baruch Goldstein, un docteur israélien originaire des USA, a ouvert le feu sur des musulmans en prière, faisant 29 morts et 125 blessés. Quand les Palestiniens en colère sont sortis dans les rues de Hébron, les forces de défense israéliennes ont imposé un couvre-feu aux Palestiniens, qui ne leur laissait que quelques heures par jour pour sortir faire les courses.
D’abord on nous massacre, ensuite on nous punit, ont rétorqué les Palestiniens furieux. Pourquoi ne pas imposer un couvre-feu aux Juifs extrémistes ? Pourquoi le fardeau de la sécurité des Juifs doit-il retomber sur nous ?
A chaque nouvelle éruption de violence, l’armée israélienne a imposé de nouvelles restrictions aux Palestiniens. Le Protocole de Hébron de 1997, un accord diplomatique signé entre Israël et l’Organisation de Libération de la Palestine avec l’aide de l’administration de Clinton, a divisé officiellement la ville. Les Palestiniens ont la responsabilité de la plus grande partie de Hébron appelé secteur H-1, et le secteur H-2 - qui couvre les 18% de la ville où les colons se sont installés - est resté sous le contrôle de l’armée israélienne.
Le grand marché qui approvisionnait la ville et les villages environnants s’est retrouvé dans le secteur H-2. Il a été fermé par l’armée israélienne et des mesures de séparation ont été mises en place pour protéger les colons contre les attaques et réduire au maximum les frictions entre les Arabes et les Juifs. L’accès des Palestiniens au centre ville a été sévèrement restreint, les échoppes ont fermé, quelques unes ont été réquisitionnées par des colons et des planches sont clouées sur la plupart des issues.
Au bout de 14 ans de ce régime, la rue principale ressemble à une ville fantôme, les bâtiments qui s’écroulent sont couverts de graffitis en hébreu : « Les Juifs n’achètent qu’aux Juifs », « Pas d’arabes ni de rats » et pire encore. Mon coeur se soulève en lisant ces mots pleins de haine mais plus encore en voyant que la rue est divisée physiquement en deux, d’un côté les Palestiniens, de l’autre les Juifs - le côté le plus large pour les Juifs - et tout cela sous la surveillance des soldats. Ofran me dit que certains Palestiniens doivent passer par les toits pour rentrer chez eux parce que les rues leur sont interdites.
Issa Amro, un militant palestinien des droits de l’homme, nous a brossé en 10 petites minutes un portrait effrayant de l’occupation israélienne du secteur H-2 et de ses 18 checkpoints. Bien que natif de Hébron, certaines rues lui sont interdites. Bien qu’il pratique la non violence, il est soumis à la loi militaire tandis que le colon le plus radical est soumis au droit civil. Il nous expliqué que les Palestiniens peuvent être détenus sans jugement pendant plusieurs jours mais les Israéliens seulement 24 heures. Les Palestiniens doivent barricader leurs fenêtres pour se protéger des pierres que lancent les colons car l’armée ne protège pas leurs maisons. Il nous a raconté qu’il y a deux ans une femme a accouché au checkpoint parce que les ambulances palestiniennes ont besoin d’autorisations spéciales pour passer d’un secteur à l’autre. Des douzaines de routes ont été bloquées avec des barrières en ciment pour empêcher les Palestiniens de se déplacer librement.
Si on ouvre les yeux et qu’on regarde les choses en face, on est obligé d’admettre l’impensable - « A » pour arrogance et, oui, pour apartheid. Cela me fait mal rien que d’écrire ce mot.
Moi qui suis une sioniste de longue date qui aime Israël et veux la paix, j’ai rejeté cette étiquette qui me paraissait outrancière ainsi que les comparaisons que je trouvais incendiaires et faciles avec l’Afrique du Sud d’avant Mandela qu’ont répandues Jimmy Carter et quelques personnalités de la gauche. J’ai fait des douzaines de voyages en Israël depuis 1976 et tout en critiquant sévèrement la politique de son gouvernement - qu’il soit Travailliste, Likud ou Kadima - à l’égard des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur de la ligne verte, je n’ai jamais pensé que les faits sur le terrain justifiaient ce jugement extrême. Mais c’est que, avant le mois dernier, je n’étais jamais allée à Hébron.
Les Juifs qui aiment la justice ne peuvent pas nier plus longtemps ce que les autorités israéliennes font à Hébron ; on n’a pas le droit de dire qu’on ne savait pas.
* Letty Cottin Pogrebin, a fondé et dirige Ms. Magazine, est l’auteur de neuf livres, et a été présidente de Americans for Peace Now.
31 mars 2011 - Counter Currents - Pour consulter l’original : http://countercurrents.org/pogrebin...
Traduction : Dominique Muselet
Traduction : Dominique Muselet