Si le Sud-Soudan et le Timor Oriental sont devenus indépendants avant  les Palestiniens, c’est que quelque chose ne tourne vraiment pas rond.  Comment peut-on comparer, tant au plan religieux qu’international, le  statut de ces pays à celui de la Palestine ? Voilà ce que doit penser tout Palestinien qui fait le bilan des pertes et profits de son peuple depuis les accords d’Oslo.
Les soulèvements contre des rois, des sultans et des  présidents régnant en autocrates en Afrique du Nord et dans le monde  arabe suscitent un certain malaise chez les Palestiniens : comment se  fait-il que, dans tous ces pays, le peuple remporte de tels succès  contre des régimes d’oppression et qu’eux-mêmes restent sous la coupe de  l’occupation israélienne qui dicte à Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, ce qu’il doit faire et ne pas faire ?
Quelles conclusions les Palestiniens peuvent-ils tirer  de l’agitation qui secoue actuellement le monde arabe ? Le salut ne  viendra pas des États-Unis, qui ne soutiennent pas Mahmoud Abbas malgré toutes les concessions qu’il a faites. Les documents récemment publiés par Al Jazeera  ont révélé jusqu’où il était prêt à aller dans les négociations avec  Israël ; pourtant il n’a reçu aucun soutien de la part de Washington.
Et, comme si cela ne suffisait pas, les États-Unis ont opposé un veto  décisif à une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant la  colonisation. Ceci malgré le fait que par le passé - après que Netanyahu  eut posé de sérieux problèmes à Washington et étendu les colonies à  Jérusalem et en Cisjordanie, mettant ainsi un terme au processus de paix  - les États-Unis eux-mêmes ont sévèrement critiqué la colonisation.
Les événements de ces dernières semaines montrent que  Washington est prêt à soutenir les soulèvements non-violents de la  société civile, plutôt que les concessions diplomatiques. Or, dans le  passé, Mahmoud Abbas a fermement rejeté des propositions émanant de divers milieux et visant à organiser un soulèvement non-violent massif.
De hauts fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et  du Fata’h ont pris des mesures pour contenir les mouvements de  protestation qui ont lieu chaque semaine à Bil’in et dans d’autres  villages de Cisjordanie. Ils se méfient non seulement de l’apparition de  rivaux politiques, mais aussi de dérapages violents, qui ne pourraient  que faire du tort à la cause palestinienne, comme cela  s’est effectivement produit lors de la seconde intifada. En cas de  confrontation brutale, le rapport de force jouerait en faveur d’Israël,  qui a ainsi tout intérêt à provoquer de tels dérapages afin d’en  profiter pour écraser les Palestiniens.
Mais la situation a maintenant changé. Le modèle positif  qu’offre l’insurrection non-violente qui a éclaté dans tout le monde  arabe, la retenue dont ont fait preuve les insurgés, pourraient suggérer  aux Palestiniens que c’est la bonne méthode pour obtenir des  changements historiques. Si les Israéliens répriment brutalement les  manifestations palestiniennes, ils apparaîtront aux yeux de l’opinion  comme des émules de Kadhafi ou d’Ahmadinedjad.
On sent un grand malaise dans la rue palestinienne. Les  gens ont été profondément déçus par le déroulement du processus de paix  et par l’attitude d’Israël et des États-Unis. La société palestinienne  possède l’infrastructure technologique qui, en d’autres pays, a joué un  rôle moteur dans les manifestations de masse - internet, téléphones  portables, antennes paraboliques. L’ « élan générationnel », qui a tenu  un grand rôle en   Égypte, est prêt à entrer en jeu : la société  palestinienne comporte une majorité de jeunes gens dont l’avenir est  bloqué par l’occupation. La seconde intifada et la répression exercée  avec une poigne de fer par Israël ont modelé l’adolescence de ceux qui  ont aujourd’hui entre 20 et 30 ans, et constitué leur premier contact  avec la politique.
Les soldats, les colonies, les points de contrôle et les  restrictions de circulation font depuis longtemps partie de leur vie  quotidienne. Il ne manque plus qu’une étincelle pour mettre le feu aux  poudres. Déjà, la catastrophe s’écrit sous nos yeux.