Ilan Pappé
          Exposé d’Ilan Pappé à la Conférence de Stuttgart         
Je remercie tous les organisateurs ; je sais qu’il a  fallu beaucoup d’efforts pour nous réunir tous. C’est une grande  réussite. (...) Vous nous avez également donné une magnifique occasion  de nous rencontrer les uns et les autres et nous vous en sommes très  reconnaissants. En raison de l’oppression israélienne, il est plus  facile de se rencontrer ici qu’en Palestine  où pourtant nous devrions être autorisés à le faire ; espérons-le, un  jour nous serons tous réunis là-bas, sans devoir nous rendre dans les  collines gelées de Stuttgart pour créer une vie commune !
Je pense que c’est bien l’essentiel de l’histoire sioniste de ne pas permettre aux gens de mener une vie  normale, de ne pas leur permettre d’être des amis normaux, et de les  obliger à passer par toutes ces difficultés pour satisfaire cette  aspiration humaine élémentaire qui est de vivre ensemble.
Nous vivons des temps très bizarres. D’une part, en tant  que militants, nous ne pourrions pas avoir rêvé un meilleur  gouvernement israélien. Je pense en effet que ce gouvernement rend tout à  fait superflue une analyse sophistiquée de ce qu’est le sionisme en  Israël. Il est très facile d’expliquer, non seulement ce qu’est la  politique menée par Israël, mais aussi l’idéologie raciste qui la  sous-tend. D’autre part, l’économie israélienne est celle qui a connu  les plus grands succès au cours des trois dernières années ; elle a fait  beaucoup mieux que l’Allemagne, beaucoup mieux que la plupart des  puissances économiques de l’Occident ;  son système bancaire est très stable, sa monnaie est l’une des plus  fortes dans le monde et elle ne souffre pas du tout de toutes les  difficultés qui ont affecté les économies capitalistes occidentales au  cours des trois dernières années.
Le résultat est un écart très déconcertant entre ce que  le citoyen occidental moyen pense d’Israël et la façon dont les  Israéliens, en particulier les juifs israéliens, se voient eux-mêmes.  Ils pensent qu’ils vivent dans une société très performante ; ils  croient que le conflit israélo-arabe est une chose du passé, que la  question palestinienne est terminée ; que, oui, il y a un problème à  Gaza, que oui il y a un problème avec le Hezbollah au Liban, mais que  c’est un problème qui concerne l’ensemble du monde, que ce n’est pas un  problème qui concerne particulièrement les Israéliens ; que cela fait partie de la soi-disant guerre contre le terrorisme.
Nous vivons aussi des temps bizarres car, en dépit de cela  - Mazin Qumsiyeh en a parlé hier en détail, je n’ai donc pas à le  répéter - nous vivons aussi une époque où certaines politiques  particulières et spécifiques d’Israël sont sévèrement critiquées. Les  gens vont manifester contre le massacre à Gaza, les gens vont manifester  contre l’attaque de la flottille pour Gaza, et pourtant, personne n’ose  attaquer l’idéologie qui est derrière ces politiques. Il n’y a pas de  manifestations contre le sionisme, parce que le Parlement européen  considère, même une manifestation contre le sionisme, comme de  l’antisémitisme.
Imaginez qu’à l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud, vous n’ayez pas été autorisé à manifester contre l’apartheid sud-africain, mais seulement contre le massacre de Soweto ! Cela,  est encore un grand succès israélien. Et l’Allemagne joue un rôle très  important dans ce succès, dans le fait que le principal problème et la  principale raison des politiques criminelles [d’Israël] n’est pas  analysé, n’est pas discuté, n’est pas abordé, seulement les symptômes.  Je ne suis pas médecin, mais je sais que si vous traitez les symptômes  et non la cause de la maladie, vous ne guérissez pas le patient.
Donc je pense que ce dont nous avons vraiment besoin, en tant que militants - je pense qu’il est plus facile de vous parler de cela  qu’à des gens qui ne savent rien du conflit ou qui se situent  totalement de l’autre côté - c’est de changer un peu ce que nous  faisons. Pas en ce qui concerne notre campagne BDS (Boycott,  Désinvestissement, Sanctions) qui a beaucoup de succès ; ou le genre  d’actions que nous faisons en Allemagne et ailleurs en solidarité avec  le peuple palestinien. Je pense que c’est un chapitre remarquable de  l’activité de la société européenne, pas moins remarquable, comme cela a été souligné hier, que le chapitre de la lutte contre l’apartheid, mais, pour la plupart d’entre nous, nous n’utilisons pas encore le bon  langage. Nous, la plupart d’entre nous, n’utilisons pas encore le genre  de vocabulaire que nous devrions utiliser pour faire passer le message  au sujet du problème dont nous nous occupons.
Parce que l’un des plus grands paradoxes de ce qui se passe en Israël et en Palestine, est que, d’une part, ce n’est pas une histoire compliquée ; c’est une histoire que l’on a déjà vue : des colons européens qui arrivent pour, soit liquider, soit expulser le peuple autochtone.  À cet égard les sionistes n’ont rien inventé de nouveau. Mais d’autre  part, Israël a réussi, avec l’aide des alliés qu’il a partout dans le  monde, y compris dans ce pays, à construire cette explication complexe  ...... qui est tellement complexe que seuls les Israéliens sont capables  de la comprendre ! Et vous n’êtes pas autorisé à intervenir, surtout si  vous êtes Allemand, vous n’êtes pas autorisé à interférer dans cette  analyse, car elle est très complexe !
Non, ce n’est pas du tout complexe. Et c’est pourquoi l’histoire est si importante.  Comprendre l’histoire, pas si complexe, de ce qu’a été le mouvement  sioniste et de ce qu’il est en train de faire aux autochtones de la Palestine, c’est cela  toute l’histoire. Oui, il y a d’autres histoires qui lui sont  connectées, je suis d’accord : le sort des juifs en Europe,  l’Holocauste, que sais-je, les relations entre le christianisme et le  judaïsme au cours des 2000 ans écoulés, mais ce sont des à-côtés. Elles  ne sont pas l’histoire principale, elles font partie de l’histoire, mais  ce n’est pas par elles qu’il faut commencer.
C’est pourquoi, en Israël, quand ils apprennent  l’histoire de leur propre pays - même, malheureusement, les étudiants  palestiniens qui sont citoyens israéliens - ils commencent à Odessa. Je me souviens de cet étudiant palestinien, à l’Université, qui me disait « pouvez-vous  nous expliquer pourquoi nous, qui sommes nés à R...ou à S... ou dans le  Néguev, nous devons commencer notre histoire à Odessa ? » Ils ne  savaient même pas où se trouvait Odessa. Et je lui ai dit : c’est parce  que vous êtes sous occupation, même à l’intérieur d’Israël, pas  seulement en Cisjordanie, pas seulement dans la bande de Gaza. Les  Palestiniens vivant en Israël sont aussi sous occupation, et sont aussi  colonisés, et si nous ne comprenons pas cela, nous ne pourrons pas sortir de l’impasse.
Parce que ce qu’on appelle le « processus de paix », qui a commencé en 1967, semble se dérouler sur Mars, sur la Lune !  C’est, dans l’histoire, le seul processus de paix que je connaisse qui  n’ait jamais eu aucun rapport avec le problème qu’il était censé  résoudre. Ce dont ils parlaient, à Genève en 1977, à Madrid en 1991, à  Oslo en 1993, avait très peu à voir avec l’essence du problème. Ils  traitaient des symptômes - je suis d’accord - mais pas de l’essence du  problème.
Et cela, c’est le second plus grand succès israélien :  le fait que non seulement l’opinion publique ne traite pas de l’essence  du problème, mais que le processus de paix lui aussi réussisse à  l’éviter. Donc si vous revenez à l’histoire, et que vous utilisez  aujourd’hui le bon  vocabulaire, vous n’êtes pas anachronique ; vous êtes en réalité une  personne très pertinente et tout-à-fait à jour. Je vais vous expliquer  ce que je veux dire.
Si vous dites que le sionisme est du colonialisme, vous  êtes l’étudiant le plus jeune et le plus à jour que j’aie rencontré.  Quiconque tenterait de vous décourager en disant que c’est anachronique,  que ce n’est pas utile, que c’est de l’antisémitisme ... est lui-même  anachronique ; il vit sur la lune ou sur Mars, et peut continuer à parler de quelque chose qui n’a rien à voir avec ce qui se passe sur le terrain.
En fait, si vous connaissez l’hébreu, vous savez que  toute la langue hébraïque, de 1882 jusqu’à aujourd’hui, qui a été  construite pour décrire ce que le mouvement sioniste est en train de  faire en Palestine, utilise, encore et encore, les mots « hityachwut, hituachahut » ; et la seule façon de traduire ces mots est COLONISER. Il n’y a pas d’autre traduction.
Ainsi le mouvement sioniste, à la fin du XIXè siècle,  époque où le colonialisme disposait de très bonnes relations publiques,  utilisait très volontiers le mot coloniser. Mais, par la suite, les  sionistes ont appris que le colonialisme n’était pas si populaire, alors  ils l’ont traduit différemment, ils ont trouvé le mot « settlement »  [« implantation »], qui signifie quelque chose d’autre en anglais ; et  ils ont trouvé cette réponse : « Oui, c’est coloniser, mais ce n’est pas comme “coloniser”, c’est une chose différente ».
Encore une fois,  c’est complexe, et nous seuls, les juifs israéliens pouvons comprendre  pourquoi la colonisation israélienne et le colonialisme blanc en Afrique  « ne sont pas pareils ». Mais si vous n’êtes pas un  juif israélien, vous ne pouvez pas le comprendre ; si vous n’êtes pas  un sioniste juif israélien, bien sûr, vous ne pouvez pas le comprendre !  Et je pense qu’il est important de ramener cela, dans nos écoles, dans notre approche du public, dans nos négociations avec les élites politiques de ce pays, et en Occident, et de dire : vous avez affaire avec le dernier projet colonialiste et, aussi bizarre que cela puisse paraître, même au XXIè siècle, ce projet colonialiste emploie les mêmes tactiques que le colonialisme du XIXè siècle.
Je pense que toute personne décente en Occident,  comme au temps du colonialisme, ne prendra pas parti pour le  colonialisme. Mais vous devez nettoyer votre vocabulaire, vous devez  nettoyer votre esprit et vous devez penser que ce que les gens disent à  propos de ce que vous dites est absolument sans pertinence. Ce qu’ils  disent n’a pas d’importance ; ils vont vous considérer comme antisémite  même si vous soutenez la solution de deux États parce que cela signifie  que vous ne soutenez pas la solution de deux États comme ils  l’entendent. Parce que vous ne comprenez pas le problème ; vous pensez  que la solution de deux États consiste en un État souverain et  indépendant sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, non, vous ne  comprenez pas.
L’État pour les Palestiniens, c’est deux Bantoustans,  divisé par douze en Cisjordanie, et clôturé comme un camp de  concentration à Gaza, qui n’a pas de connexion entre les deux, et qui a  une petite municipalité à Ramallah que l’on appellera gouvernement ;  voilà l’État. Et si vous ne comprenez pas que c’est un État, cela montre [de leur point de vue] que vous avez encore beaucoup à apprendre sur la complexité du conflit !
Le colonialisme est un message du passé que nous  devrions accepter et que nous devrions traiter, et nous devrions  recruter des anciens combattants de même que des cohortes de jeunes  militants pour travailler sur une chose pour laquelle il devrait être  partout facile de recruter des gens : la lutte contre le colonialisme, la lutte contre l’idée que quelqu’un de l’extérieur a le droit de démolir la vie des gens qui sont à l’intérieur. Car c’est cela qu’ils ont fait en 1882, et en 1948, et c’est cela  qu’ils ont fait hier dans le Néguev, ou en Cisjordanie, et ils vont le  faire encore la semaine prochaine si nous continuons à parler de  négociations de paix, de solution à deux États, de toutes sortes de  concepts sans pertinence qui n’ont rien à voir avec les réalités sur le  terrain.
Le second concept du passé  sur lequel je pense que nous devrions insister et que nous devrions  transmettre, que ce soit pour essayer de protester contre quelque chose  qu’Israël est en train de faire aujourd’hui, ou que ce soit pour  commémorer en janvier ce qu’Israël a fait dans la bande de Gaza, ou  lorsque nous commémorons en mai le crime qu’Israël a commis en 1948, est celui du nettoyage ethnique.
C’est, bien sûr, un concept qui a été développé dans les  années 1990 à cause de ce qui s’est passé au cours des guerres dans les  Balkans, mais même avant ces évènements, le nettoyage ethnique était  considéré par la communauté internationale comme une idéologie et une  politique inacceptables. Seul le génocide est considéré par la  communauté internationale comme une chose pire que le nettoyage  ethnique. Et bien souvent les deux sont liés, comme on peut le voir dans  d’autres endroits, et comme on peut le voir en Israël et en Palestine.  Lorsque vous autorisez la poursuite d’une politique de nettoyage  ethnique, il n’y a pas à être surpris si ses auteurs passent un jour à  un génocide. Parce que dans les deux cas, vous devez totalement  déshumaniser les personnes que vous expulsez ou massacrez, même si ce  sont des enfants ; elles doivent être totalement déshumanisés.
Quiconque a vécu en Israël assez  longtemps, comme c’est mon cas, sait que la principale corruption subie  par les gens au cours du service militaire est la totale déshumanisation  des Palestiniens. C’est pourquoi, quand il voit un bébé  palestinien, un soldat israélien ne voit pas un bébé, il voit un ennemi  potentiel. Entre chasser le bébé de la maison à coups de pieds, et tuer  le bébé, la route n’est pas très longue. Et je pense que le message à  transmettre touchant la purification ethnique est un message de  criminalisation, non des politiques de l’État d’Israël, mais de  criminalisation de l’État d’Israël. Et c’est ce que nous devrions faire.
Nous devrions le faire parce que seule une approche fasciste de la vie  prétendrait que, dans toute situation historique, un État et un pays  sont une seule et même chose. Non, ce n’est pas le cas. Parfois l’État  représente la pire chose qui puisse arriver à un pays. Et la pire chose  qui soit arrivée à la Palestine, c’est l’État d’Israël. Si nous voulons faire de la Palestine  un pays où les gens pourraient vivre comme des égaux, en fait vivre de  bien des façons mieux que dans d’autres parties du Moyen-Orient,  peut-être même mieux que dans certaines parties de l’Europe, il faut  mettre au premier plan le pays, au détriment de l’État. Je sais que ce  n’est pas facile, et il ne s’agit pas de mettre en question le droit des États à exister.
Nous sommes des individus, nous sommes des militants, nous n’avons pas le pouvoir de contester le droit d’un État à exister, nous n’avons pas le pouvoir d’éliminer des États - Israël a le pouvoir d’éliminer des États, pas nous. Ce que nous avons,  c’est le pouvoir moral de dire aux gens : le type d’État que vous avez  fondé, et le type d’État que vous soutenez, est en train de détruire le  pays dans lequel vous vivez. La création de cet État a conduit, en 1948,  à l’expulsion de la moitié de la population indigène de la Palestine.  Montrez-moi n’importe quelle autre situation où la communauté  internationale viendrait dire, sous le slogan de la paix : pour faire de  ce pays un endroit paisible, il fallait expulser la moitié des gens qui  y vivaient.
Ce n’est qu’en Israël et en Palestine que l’on a ce  moment historique bizarre où les Nations-Unies - incarnant la volonté de  la communauté internationale - disent au monde qu’elles autorisent  Israël à expulser la moitié de la population de la Palestine au nom de  la paix. Et quand vous commencez par là l’histoire d’Israël, il est très  difficile de vous rétracter ; vous devez expliquer qu’en fait vous  devez étudier l’histoire, et revenir à 1947 et 1948, et dire que la  partition, ou l’idée de partition est une idée immorale. Ce n’est même  pas une bonne idée de « real » politique, mais cela bien sûr on ne pouvait pas le savoir en 1947. Je peux comprendre, qu’en 1947-1948, on aurait dit « voyons si, en divisant le pays en deux » cela pourrait marcher. Qui pouvait le savoir ?
Mais 60 ans plus tard, peut-on encore prétendre que de  couper en deux le bébé, si vous voulez, est différent du jugement de  Salomon ? Vous connaissez l’histoire du jugement de Salomon ? Vous  connaissez cette histoire du bébé et des deux mères [qui se le  disputent], et que c’est la véritable mère qui refuse que le bébé soit  coupé en deux. Nous savons qui est la véritable mère dans le cas  d’Israël et de la Palestine. Nous savons qui est tout le temps prêt, soi-disant,  à le couper. Donc je pense que toute l’idée de la purification ethnique  est liée au soutien international qui lui a été fourni ; pas par un  soutien direct, mais par l’accord et le consentement des Nations-Unies,  et par la suite de la Communauté européenne et des États-Unis, pour dire  que la seule façon d’établir la paix en Palestine, c’était que les Israéliens expulsent assez de Palestiniens, et s’emparent d’une partie suffisante de la Palestine pour créer la « seule démocratie du Moyen-Orient ».
Avec le projet sioniste, ils ont corrompu le sens commun de tout le vocabulaire que nous avions en Occident  à la fin des années 1940 et au début des années 1950. C’est ainsi que  vous établissez une démocratie ? En expulsant la population autochtone,  de sorte que vous puissiez avoir une majorité juive ? Mais c’est ce que  tous les jeunes Israéliens croient. Ils apprennent dans les départements  de science politique que, pour construire une société démocratique, où  la majorité peut décider ce qu’il faut faire, vous avez le droit de définir d’abord qui constitue la majorité, même par le meurtre de l’autre partie, de façon à être sûr de ce que sera le résultat des élections démocratiques.
Les Israéliens ne trouvent pas du tout bizarre que, si  vous établissez une démocratie, vous pouvez aussi perpétrer un nettoyage  ethnique, et un génocide, de façon à obtenir le bon électorat pour la future démocratie. Mais beaucoup de gens en Occident  parlent d’Israël comme d’un État démocratique ; parce que, disent-ils,  c’est la majorité qui vote et qui décide quoi faire. Le fait que la  majorité doit être maintenue en permanence par le nettoyage ethnique,  par des massacres, par la colonisation, par l’emprisonnement [des  Palestiniens] dans de grands ghettos comme Gaza, n’est jamais évoqué  comme faisant partie de la démocratie israélienne.
Je pense que c’est cela que nous devrions mettre en lumière. La  seule façon de maintenir Israël comme un État démocratique, selon  l’idéologie sioniste, est de continuer à être un État criminel.  C’est presque comme de permettre dans la pire sorte de prison, à la  pire espèce de criminels d’avoir un système démocratique, par la force  de leurs armes, par la force brutale, par leur puissance.
Le troisième et dernier concept  dont je voudrais vous parler, vient du colonialisme et du nettoyage  ethnique qui sont les principales idéologies moteur de l’État juif.  Le nettoyage ethnique et le colonialisme sont en effet les raisons pour  lesquelles il y a un État juif en Israël. Ce n’est pas, bien sûr, ce  que l’on enseigne, aussi bien aux Israéliens nés en Israël qu’aux gens  qui soutiennent Israël dans le monde. On nous parle de deux idéologies.  On nous parle de la nécessité de trouver un endroit sûr pour les juifs,  et nous savons que ce n’est pas un endroit très sûr pour les juifs - au contraire,  Israël est le seul endroit dangereux pour les juifs, c’est là qu’ils  sont morts en grand nombre depuis 1948 -, et que c’est l’endroit où les  juifs peuvent se recréer en tant que mouvement national et où ils  peuvent exercer leurs droits à l’autodétermination.
Mais nous savons qu’Israël ne s’intéresse pas au droit à  l’autodétermination pour les juifs, c’est pourquoi il encourage des  centaines et des milliers de non-juifs dans le monde à venir s’installer  en Israël, car ce qui est important pour Israël  n’est pas l’autodétermination pour le peuple juif, ce qui est important  pour Israël est de s’assurer que ce ne soit pas un État arabe.  Et si vous êtes un Bahaï, et que vous vivez sur une montagne dans  l’Himalaya, mais que vous n’êtes pas un Arabe, vous deviendrez un  citoyen israélien juif en un rien de temps, si vous êtes prêt à venir.  Il n’y a pas de problème. Les rabbins feront en sorte que vous soyez un  juif et, si vous êtes un homme, ils pourront vous faire subir quelque  opération douloureuse, mais dans l’ensemble vous êtes le bienvenu car  vous n’êtes pas un Arabe. Et si vous êtes un Arabe juif, vous devrez  vous « désarabiser », sinon vous ne serez pas le bienvenu dans la  société juive israélienne.
Ainsi, le troisième et dernier concept est celui de la pureté ethnique. La pureté ethnique de l’État, et cela est lié au droit au retour [des réfugiés palestiniens]. La plupart des gens, et spécialement certains de nos meilleurs amis - et je ne dis pas cela ironiquement puisque je viens de publier un livre avec Noam Chomsky, que j’inclus ici - certains de nos meilleurs amis sont contre le droit  au retour. Ils s’appuient sur des considérations pratiques ; ils vous  diront qu’il est irréaliste de dire aux réfugiés qu’ils devraient  s’attendre à la possibilité de revenir ; ils vous diront qu’ils  devraient [au contraire] être encouragés à réfléchir à un avenir différent.
Je voudrais dire que, dans cette analyse, le point de  départ n’est pas la praticabilité, n’est pas la « real » politique.  Parce que si la base d’analyse de la situation est la « real » politique  - comme le fait Uri Avnery, comme le fait Noam Chomsky,  et beaucoup d’autres, et ce n’est pas cyniquement que je dis « nos bons  amis », ils sont mes bons amis mais je suis, sur ce point, en total  désaccord avec eux - cela signifie que c’est l’équilibre des forces qui détermine votre attitude.
Eh bien, si c’est l’équilibre des forces - comme nous l’avons  entendu hier, entre la plus grande et la plus puissante armée du  Moyen-Orient, et les plus faibles forces militaires du monde - qui  détermine notre attitude, nous ne devrions même pas être réunis  aujourd’hui. Nous devrions céder aux diktats israéliens. Nous  savons que les Israéliens sont très clairs au sujet de ce qu’ils  veulent : ils veulent autant de territoire palestinien que possible,  avec aussi peu de Palestiniens que possible ; c’est ce qu’ils voulaient  en 1882, et c’est ce qu’ils veulent en 2010. Cela n’a pas  changé. Les moyens ont changé, les circonstances historiques ont changé,  mais la vision de ce qui serait une florissante et prospère société  israélienne, à savoir une société avec aussi peu d’Arabes que possible,  et autant de territoire palestinien que possible, cela n’a pas changé. Donc, si la « real » politique détermine notre attitude, nous devrions céder à cette vision.
En tout état de cause, nous ne nous occupons pas de  « real » politique quand nous contestons ce que veut Israël. Et la  raison pour laquelle les Israéliens refusent, même de reconnaître, le droit  au retour, sans parler de la mise en œuvre pratique de ce droit, ce  n’est pas comme certains le pensent parce qu’ils auraient un sérieux  problème de conscience à admettre qu’ils ont expulsé et massacré un  peuple, trois ans après l’Holocauste. J’ai cru autrefois que c’était là  le problème, je l’admets. Je le croyais, j’étais plein d’espoir parce  que je suis un optimiste ; n’étant pas très grand, je voyais la moitié  du verre plein. Je croyais que les Israéliens ne voulaient pas parler du  droit au retour parce que des gens qui, comme Uri Avnery par exemple,  avaient été impliqués dans le nettoyage ethnique, se sentaient  malheureux à ce sujet. Et je croyais que, si vous parliez du droit au  retour, vous apportiez ... comme une sorte de panacée, le remède à la  maladie.
Non, malheureusement je pense que cela n’a rien à voir avec ça. D’un point de vue sioniste cela fait sens : les Arabes ne sont pas les bienvenus. Qu’il s’agisse des Arabes que nous avons expulsés, ou des Arabes que nous n’avons  jamais touchés, ou de ces Arabes juifs qui insistent à demeurer arabes  même s’ils sont juifs, ils ne sont pas les bienvenus car nous voulons  être une démocratie ! Et ces gens voudraient venir ! C’est la principale  raison qui est derrière le refus israélien du droit au retour.
Alors - et je vais terminer là-dessus - quand vous soutenez le droit au retour [des réfugiés palestiniens], vous ne soutenez pas seulement, ce que nous faisons tous, le droit  des personnes expulsées à revenir si elles le veulent. Vous ne  reconnaissez pas seulement le crime de nettoyage ethnique de 1948, vous  n’adhérez pas seulement aux résolutions des Nations Unies qui soutiennent très clairement le droit au retour, vous dites en plus un très simple NON au racisme. C’est cela que vous faites. Vous dites NON au seul État raciste du Moyen-Orient.
Nous n’avons pas de très jolis régimes au Moyen-Orient,  je suis d’accord ; les régimes politiques du Moyen-Orient ne sont guère  inspirants, je ne recommanderais pas aux futures sociétés de s’en  inspirer pour construire leurs politiques ; mais aucun d’eux n’est  raciste. Le seul État raciste est l’État juif d’Israël. Un des seuls  moyens de s’en prendre à cet État raciste est de le contester sur la  question du droit au retour des réfugiés. Non pas parce qu’il serait  praticable ou pas praticable, mais parce qu’il touche au code génétique  de l’État juif. L’idée que vous pouvez coloniser n’est pas nouvelle.  Mais l’idée que vous pouvez, au XXIè siècle, maintenir cette  colonisation en maintenant ouvertement un État raciste, ne devrait pas  être considérée comme acceptable, surtout pas dans ce pays. MERCI. 
Le texte de cet exposé a été établi en anglais par Claudine Faehndrich à partir de l’enregistrement vidéo de la Conférence de Stuttgart (novembre 2010) et traduit en français par JPH.
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                10 janvier 2011 - Silvia Cattori