Tobias Buck
Ils  ne seront cette année que 18 000 à accomplir leur aliyah en  s’installant dans l’État hébreu. On est loin des vagues d’arrivées  massives du début des années 1990.
Une des conséquences les  moins visibles des remous de l’économie mondiale se cache dans les  statistiques annuelles de l’émigration vers l’État hébreu  : ces deux  dernières années, le nombre de Juifs ayant réclamé la citoyenneté  israélienne a augmenté. « Malgré l’instabilité économique sur le plan international, Israël s’en sort incroyablement bien », se réjouit Natan Sharansky,  l’ancien dissident soviétique qui a pris l’an dernier la tête de  l’Agence juive pour Israël. Installée à Jérusalem, l’institution, qui  promeut l’immigration et accueille les nouveaux venus, reconnaît  cependant que l’ère des arrivées massives est terminée. Sharansky estime  que, cette année, seulement 18 000 Juifs auront accompli leur aliyah,  qui signifie à la fois « ascension » et « installation en Israël ». On  est loin des centaines de milliers de migrants arrivant de l’ex-Union  soviétique au début des années 1990. « L’époque de l’immigration massive  est derrière nous. Il ne s’agit plus de sauver des Juifs des pogroms,  de l’Holocauste, ni d’aucune persécution, explique Sharansky.  Aujourd’hui, 94 % des Juifs vivent dans le monde libre et ont le choix  de venir ou non en Israël. »
Contrairement à ce qu’espéraient les pères fondateurs du  sionisme, l’écrasante majorité des Juifs d’Amérique et d’Europe a  choisi de ne pas partir. Un choix qui déçoit beaucoup en Israël, dont le  fondement idéologique est l’idée que tous les Juifs doivent vivre dans  leur propre État. Le recul de l’immigration juive alimente aussi des  inquiétudes quant à l’équilibre démographique. Pour l’instant, entre le  Jourdain et la Méditerranée, les Juifs sont plus nombreux que les  Arabes. Mais cela devrait changer avec la croissance démographique plus rapide des Palestiniens.
Nouvelle réalité
Pour Sharansky, l’argument démographique ne suffit  cependant plus à convaincre un Juif de faire son aliyah  : « Pour ceux  qui veulent vraiment influencer l’histoire juive, Israël est le meilleur  endroit. L’avenir du peuple juif dépend de ce qui se passe en Israël.  Mais l’idée que l’exil n’est qu’un moment passager et que tous ceux qui  ne s’installent pas dans l’État hébreu sont menacés de disparition ne  correspond plus à la réalité. Les dirigeants israéliens reconnaissent  désormais la réalité de la diaspora. »
Cette nouvelle réalité a contraint l’Agence juive à  adopter une nouvelle approche. Son objectif aujourd’hui est plutôt de  « renforcer l’identité juive ». Selon Sharansky, cela passe par le  resserrement des liens entre les communautés juives à l’intérieur et à  l’extérieur d’Israël, par exemple en multipliant les visites de jeunes  Juifs en Israël. « Notre but n’est plus de convaincre nos  coreligionnaires de faire leur aliyah, mais plutôt de renforcer leur  sentiment d’appartenance. Certains d’entre eux viendront s’installer,  d’autres non. »
Sharansky lui-même a fait neuf ans de prison en URSS  pour avoir voulu émigrer dans l’État hébreu. Libéré en 1986, il  s’installa en Israël et entra en politique en prenant la tête d’un parti  qui défendait les intérêts des migrants russes. Sharansky joue un rôle  pivot dans les relations entre Israël et sa diaspora à un moment où ces  liens sont de plus en plus distendus. Selon nombre d’observateurs, les  Juifs américains progressistes, par exemple, se détournent de plus en  plus d’Israël. « La vérité, soutient Sharansky, c’est que le lien  entre les Juifs américains et l’État hébreu reste très fort. » Le  principal danger, selon lui, c’est l’affaiblissement progressif du mode  de vie juif à l’étranger à cause de l’assimilation, et notamment du  mariage mixte. « Dans beaucoup d’endroits, déplore-t-il, un Juif sur  deux épouse un non-Juif. »