Richard Falk
Des  mouvements civils dans le passé ont conduit à des changements positifs  au niveau mondial, créant un précédent pour le mouvement BDS
Certains plaident depuis  longtemps pour l’idée que les juges des tribunaux nationaux peuvent  contribuer à faire respecter les normes mondiales en étendant la portée  de leur droit national, spécialement en ce qui concerne les crimes  graves qui ne peuvent être poursuivis par ailleurs.
Le pouvoir d’utiliser les tribunaux nationaux contre la piraterie en haute mer a  été largement approuvé, et constitue la base jurisprudentielle pour ce  que l’on appelle aujourd’hui la « compétence universelle », c’est-à-dire  que, nonobstant le lieu  où le crime a été commis et la nationalité de son auteur présumé et de  sa victime, un tribunal national a autorité pour y rattacher sa  législation.
Ce recours à la compétence universelle a été grandement  stimulé  à la suite des procès pour crimes de guerre à la fin de la  Deuxième Guerre mondiale contre les dirigeants survivants politiques et  militaires allemands et japonais, un cadre juridique qui fut  institutionnalisé au niveau international en 2002 avec la création de la Cour pénale internationale.
Une justice collective
La logique sous-jacente veut que la guerre d’agression, les crimes contre l’humanité, et les  graves violations des lois de la guerre  et du droit humanitaire international sont des crimes contre l’humanité  tout entière, et pas seulement contre la victime, État ou individu.  Bien que le Jugement de Nuremberg ait été vicié, « justice des  vainqueurs », il a généré des normes mondiales sous la forme des  Principes de Nuremberg, normes considérées par un consensus juridique  international comme contraignantes.
Ces idées sous-tendent les récentes inculpations contre des parias géopolitiques comme Saddam Hussein ou Slobodan Milosevic,  et plusieurs personnages tyranniques africains. Mais dès qu’il s’agit  d’acteurs politiques de premier plan, au sens de la hiérarchie  hégémonique dirigée par les Américains, alors ces dirigeants du reste du  monde jouissent de l’impunité, étant exemptés en fait de toute  responsabilité au regard du droit pénal international.
C’est un exemple éloquent du deux poids-deux mesures qui  imprègne l’ordre du monde actuel, sans doute illustré avec la plus  grande évidence quand il est en relation avec le droit de veto accordé aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ou le régime de non-prolifération qui régit l’armement nucléaire. Un deux poids deux mesures qui rompt tout lien entre le droit,  tel qu’instauré par le système étatique au niveau mondial, et les  prétentions à une justice mondiale. Le défi pour ceux qui recherchent  une justice mondiale fondée sur un droit international lui aussi  équitable est d’écarter en toutes circonstances importantes le deux  poids-deux mesures et l’impunité.
Le monde des États souverains et des Nations unies  n’a pas été capable de lancer un tel défi. Dans ce vide s’est créé un  mouvement croissant de la société civile mondiale qui a fait ses débuts  dans la lutte mondiale contre le colonialisme, spécialement contre la guerre au Vietnam, et qui a progressé de façon spectaculaire à la suite de la campagne anti-apartheid.
La puissance de la solidarité
Ce mouvement s’est appuyé sur différents instruments,  notamment les campagnes de solidarité pour les boycotts, les  désinvestissements et les sanctions, les tribunaux informels composés de  citoyens pour juger les crimes de guerre (à commencer par le Tribunal  Russell pendant la guerre du Vietnam, qui a inspiré les Tribunaux permanents des Peuples à Rome et, en 2005, le Tribunal mondial sur la guerre  en Irak qui a tenu 20 sessions à travers le monde, parachevées par une  session ultime à Istanbul), la désobéissance civile sous différentes  formes, spécialement en refusant de servir lors d’opérations militaires  violant le droit international.
C’est une coalition de la société civile qui a créé le climat politique qui, de façon quelque peu surprenante, a permis à la Cour pénale internationale de voir le jour  en 2002, mais sans la participation, et là, ce n’est pas une surprise,  des États-Unis, ni d’Israël, ni de la plupart des membres les plus  importants du plus haut niveau géopolitique.
C’est sur ce fond là  qu’apparaissent deux mises au  point  contradictoires qui seront débattues plus en détail dans des articles  ultérieurs : mener une guerre totale de légitimité contre Israël au nom  du combat palestinien pour une paix juste, et mener une campagne  virulente réactive contre ce que les extrémistes israéliens appellent  « Lawfare » (guerre juridique à outrance). Une stratégie de guerre de  légitimité recherche la mobilisation populaire sur la base d’une  coercition non violente pour atteindre des objectifs politiques, en  s’appuyant sur la pertinence du droit international et la  responsabilisation de ceux qui agissent au nom des États dans la  perpétration de crimes d’État.
Légitimité c/Guerre juridique à outrance
Le rapport Goldstone illustre bien cette jonction entre  guerre de légitimité et guerre juridique à outrance, renforçant les  assertions palestiniennes comme quoi leur persécution relève de l’usage  de la force par Israël notamment dans la tristement célèbre opération  Plomb durci (2008/2009), et provoquant chez les plus hauts dirigeants  d’Israël une furie vindicative dans leurs tentatives de discréditer  l’éminent juriste, Richard Goldstone, qui dirigea la mission des Nations unies chargée du rapport et dont les conclusions furent établies de façon convaincante.
Avec une impunité israélienne de plus en plus menacée,  des pressions particulières furent exercées sur les États-Unis pour  qu’ils utilisent leur poids géopolitique au sein des Nations unies pour maintenir l’impunité sur le dossier bien élaboré des crimes israéliens, et s’assurer que les Nations unies  restent bien un sanctuaire sélectif pour de telles scandaleuses  garanties d’impunité. Ces questions de responsabilité pénale sont en  première ligne pour la guerre  de légitimité, et fournissent les bases pour agir dans le monde en lien  avec la campagne grandissante du BDS (boycotts, désinvestissements et  sanctions).
La contre-attaque Lawfare à un niveau reconnaît la force  des efforts de la société civile, mais elle s’est aussi engagée avec  cynisme et polémique pour discréditer le recours au droit international  par ceux qui sont les victimes des usages abusifs et oppressifs des  pouvoirs militaire et policier.
Les Palestiniens ont été persécutés ainsi pendant plus  de 62 ans, et leurs efforts pour mettre fin à toute cette succession  insupportable de réalités en recourant de façon novatrice à la  résistance non violente et à la légitime défense méritent le soutien de  toutes les personnes de conscience à travers le monde.
Que ce recours à une guerre de légitimité puisse au bout  du compte parvenir à la justice pour le peuple palestinien et à la paix  pour les deux peuples, seul l’avenir nous le dira, mais il ne fait  aucun doute que cette bataille est le meilleur exemple contemporain  d’une « guerre juste ».
Richard Falk est professeur  émérite Albert G. Milbank de droit international à l’Université de  Princeton et professeur éminent invité en études mondiales et  internationales à l’université de Californie à Santa Barbara. Il a écrit  et dirigé de nombreuses publications portant sur une période de cinq  décennies, il a publié récemment le volume « Droit international et  tiers-monde : réorganiser la justice » (Routledge – 2008).
Il est actuellement à sa troisième d’un mandat de six ans comme rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains palestiniens.
publié par al Jazeera
traduction : JPP pour l’Afps