Danny C
Continuer  à habiter là où l’on réside constitue déjà en soi un combat acharné et  quotidien contre les tracasseries administratives ou contre les  provocations des colons et de la police.
Jérusalem est une très  vieille ville et tout semble tourner ici autour de ses vieilles pierres.  Aujourd’hui, nous visitons Silwan, une section de Jérusalem-Est  comptant quelque 60.000 habitants. C’est une grande commune située entre  le mont des Oliviers et la Vieille Ville. Silwan est l’un de ces  endroits de Jérusalem où la politique israélienne visant à chasser les  Palestiniens de la ville bat son plein de façon on ne peut plus visible.
Ces pierres, elles nous appartiennent
Au pied de la Vieille Ville, on procède à des fouilles  archéologiques. On voit constamment des groupes de touristes qui  viennent regarder les pierres. Il faut déjà avoir une solide perception  de l’histoire pour y découvrir quelque chose d’intéressant, mais ils  continuent à affluer. Le gouvernement israélien met tout en œuvre pour  en faire un lieu d’attraction touristique. Une visite est même reprise  dans les programmes scolaires officiels. Car ces pierres nous  appartiennent. Tel est le message sous-jacent. Notre culture, notre  histoire et les Palestiniens n’ont rien à venir chercher ici.
La ville qui se trouve au-dessus de ces pierres est  systématiquement revendiquée par les colons. Des familles palestiniennes  sont chassées de leurs maisons afin d’installer une mini-colonie autour  des lieux de fouilles. Une rue qui dévale la colline en direction d’un  quartier revendiqué par les autorités municipales israéliennes  désireuses d’en faire un parc. Mille cinq cents résidents palestiniens  risquent de se faire expulser de leurs maisons afin de libérer de la  place pour un parc. Quand on déambule autour de la Vieille Ville, on  voit tout de suite « le plan » qui est systématiquement appliqué. Dans  la partie ouest, on pose la très controversée ligne de tramway. Dans la  partie est, on crée une large bande d’espaces libres et de constructions  israéliennes. L’encerclement de la Vieille Ville doit maintenant se  frayer un chemin par Silwan. L’espace vert qu’on veut y aménager a donc  bel et bien une signification politique précise.
Rester est un combat acharné et quotidien
La population de Silwan est impliquée dans un incessant  combat et elle essaie par tous les moyens possibles de résister aux  expropriations. Continuer à habiter là où l’on réside constitue déjà en  soi un combat acharné et quotidien contre les tracasseries  administratives ou contre les provocations des colons et de la police.  En 2008, les bulldozers sont venus transformer les maisons en monceaux  de ruines. Les pierres palestiniennes sont généralement des amas de  décombres… et, au nom de l’histoire sainte, leur quotidien se mue en  montagnes de pierres.
Mais, à leur tour, ces amas de décombres se muent en  munitions pour les habitants. Ce sont surtout les jeunes qui les  utilisent pour affirmer ce qu’ils pensent : nous ne nous laisserons pas  chasser ainsi !
2010 a été proclamée par les autorités municipales  israéliennes « Année de Jérusalem », ce qui s’est traduit par des  tracasseries et des brimades encore plus insupportables. Régulièrement,  la Vieille Ville est complètement fermée. Seuls les Israéliens et les  gens qui peuvent prouver qu’ils y habitent peuvent y entrer.
Les jeunes Palestiniens fêtent l’année de Jérusalem à  leur façon. Partout, les heurts avec les colons et la police augmentent.  Jeter des pierres est à nouveau leur réponse. Cela commence à  ressembler à l’époque de la première Intifada, la « guerre des  pierres », dans les années 80-90. Mais les circonstances sont très  différentes.
Dans la première Intifada, il y avait une direction unie  de la révolte, inspirée par l’OLP, le Front pour la libération de la  Palestine. Aujourd’hui, la société palestinienne est divisée, on assiste  à une lutte virulente entre le Hamas et l’Autorité palestinienne.  Personne ne sait précisément comment naissent et sont organisées les  actions, désormais. Elles vont et viennent. Elles naissent en réaction  aux provocations et elles se mettent en place via les réseaux informels  des jeunes. Ici aussi, la culture du GSM remplace le travail des  organisations et des comités. Et les jeunes Palestiniens s’alignent donc  en ordre de bataille dispersé, sans dirigeants, sans vision réelle.  C’est un combat inégal. Des dizaines de jeunes se lancent dans la  confrontation avec une police bien supérieure en nombre. La police  réagit avec une extrême brutalité et il y a très souvent des blessés.
Fin septembre, un homme, père de quatre enfants, a été  abattu par des colons. Ceux-ci ont expliqué qu’ils avaient réagi en état  de légitime défense parce que des enfants leur avaient jeté des  pierres. La population a réagi avec colère et en masse. [1] Jour après  jour, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue.
La colère qui couve en permanence chez les gens n’a pas  besoin de grand-chose pour éclater. Seulement, à quoi cela peut-il  mener, quelles sont les perspectives ? La population semble coincée  entre la répression israélienne et l’indifférence de l’Autorité  palestinienne qui, officiellement, défend peut-être le droit à  l’existence des Palestiniens mais qui, dans les faits, ne s’en soucie  guère.
Jérusalem B
Naturellement, il y a l’excuse officielle : l’Autorité  palestinienne n’a absolument pas la moindre autorité, dans cette ville.  Même le président palestinien Abbas doit demander la permission aux  Israéliens de visiter la capitale des Palestiniens. Les parlementaires  palestiniens vivent depuis plusieurs mois déjà dans les bureaux de la  Croix-Rouge à Jérusalem afin de protester contre le fait qu’Israël les  oblige à quitter la ville.
La stratégie dont on parle un peu partout, c’est que les  Israéliens proposeraient à l’Autorité palestinienne de fonder une sorte  de Jérusalem B, dans les quartiers extérieurs, de l’autre côté du mur  érigé par Israël autour de Jérusalem. En échange de la cession complète  de Jérusalem, l’Autorité palestinienne obtiendrait le droit de gérer ces  quartiers. Bien des Palestiniens craignent que ceci ne soit le tout  nouveau compromis qui vient de sortir de la boîte.
Quel sera dans ce cas le sort des dizaines de milliers  de Palestiniens qui vivent à l’intérieur du mur ? Personne n’en sait  rien. La conséquence immédiate d’une telle image de l’avenir, c’est que  le fossé entre la population et l’élite palestinienne ne fera que  s’élargir et que de plus en plus de gens vont se rendre compte qu’ils  vont devoir mener eux-mêmes la lutte pour leurs droits. Au sein de la  société civile palestinienne, l’appel à retourner à la base et à  reprendre là la lutte s’intensifie. Mais, pour l’instant, tout cela se  passe encore derrière les murs. Les pierres de la Jérusalem des simples  Palestiniens n’ont provisoirement pas encore livré leurs secrets.