Larbi Sadiki - Al Jazeera
          La guerre, les sanctions et un siège psychologiquement  traumatisant appliqués à 1,5 million d’êtres humains font de ceux-ci des  « êtres maudits », dépouillés de presque tous les droits accordés aux  sociétés humaines dans tous les coins du monde, écrit Larbi Sadiki.         
Gaza : une survie dépendant de l’ingéniosité et de l’improvisation - Photo : Getty
Gaza « la prison géante à ciel ouvert » n’est pas une expression de Hosni Mubarak, le président égyptien. Elle n’est pas plus une création de Khaled Meshaal du mouvement Hamas et encore moins de Mahmoud Abbas du Fatah. Elle appartient à David Cameron, le jeune et charismatique premier ministre britannique.
Depuis l’imposition du blocus de Gaza il y a presque  quatre ans, aucun dirigeant européen n’avait exprimé avec autant de  force et de façon aussi directe l’outrage moral que représentent ces  sanctions. Ses paroles ont eu un  large écho dans Gaza comme dans tout  le monde arabe.
Grâce à ce qu’exprime Cameron, une misère indicible brise le silence quasi absolu de la société politique internationale, et ainsi se trouve mise en cause l’immoralité de l’indifférence et de l’inaction envers le blocus.
Avant d’espérer, de façon apparemment illusoire, un état  palestinien, le besoin des Gazaouis est de retrouver dignité et  humanité. Un regard à l’intérieur de la « grande prison » indique que le  blocus a des effets à plusieurs niveaux, se faisant sentir au niveau de  l’économie, de la politique, de la diplomatie et de la sécurité.
Pour la plupart des Arabes, il est facile d’expliquer  pourquoi Israël impose un tel blocus déshumanisant, mais le rôle de  l’Egypte dans ce blocus défie toute interprétation logique. La musique  nous disant que le régime égyptien et d’autres états arabes sont  assujettis  aux accords internationaux ne convainc ni les Arabes ni les  occidentaux.
Mais se conformer aux sanctions qui traumatisent,  déshumanisent et isolent des frères Arabes, comme en Irak (avec des  dizaines de milliers morts en conséquence) ou à Gaza serait donc  acceptable au nom des bonnes règles de conduite sur la scène  internationale.
La Palestine occupée : Homo Sacer
Il y a beaucoup de « prisons » qui constellent le vaste  paysage politique du Moyen-Orient. Mais Gaza est incontestablement la  plus pénible.
Cameron a déclaré devant le parlement britannique en  juin 2010 que le monde ne peut pas « s’occuper du problème du processus  de paix au Moyen-Orient tant qu’il y aura une prison géante à ciel ouvert à Gaza ». Israël doit prendre en compte la protestation morale de ses partisans et suivre leur conseil de cesser ce blocus.
Le blocus sur Gaza est un affront au monde civilisé. Point.
Les horreurs de l’holocauste nous enseignent ce à quoi  aucun groupe humain ne devrait être soumis. L’holocauste appartient à  toute l’humanité et a humilié toute l’humanité. Ce n’est pas la  propriété exclusive d’Israël.
Le blocus imposé à Gaza est un outil psychologique puissant visant à extorquer des concessions aux Gazaouis et au mouvement Hamas.
À Gaza, les obligations imposées aux forces d’occupation  par les Conventions de Genève ont été niées et invalidées  d’innombrables fois, faisant de cette Quatrième Convention rien de plus  que de l’encre sur du papier.
Dire si Israël est toujours une force de occupation [à  Gaza] peut être une question aux controverses sans fin. Mais le fait  demeure que les Gazaouis ne peuvent pas se déplacer, ni manger à leur  faim, ni regarder la télévision, ni utiliser l’Internet, ni conduire des  voitures, ni étudier, ni travailler, ni penser au futur, ni faire et  élever des enfants, en résumé ne peuvent pas « vivre » au sens littéral,  puisqu’Israël contrôle les accès aériens, maritimes et terrestres dans  et hors de Gaza.
Sans la protection du droit international, Gaza est effectivement traitée presque comme un « Homo Sacer (1) » dans la communauté des groupes humains et dans la société internationale, de ses villes et de ses états. La guerre,  les sanctions et un siège psychologiquement traumatisant appliqués à  1,5 million d’êtres humains font de ceux-ci des « êtres maudits »,  dépouillés de presque tous les droits accordés aux sociétés humaines  dans presque tous les coins du monde.
Au cours des dernières années, les Gazaouis ont été  soumis à un « régime [alimentaire] » collectif obligatoire assorti de  bombardements. Ils ont été affamés, financièrement dépouillés, et Gaza à  été obligée de faire machine arrière vers un état effroyable  d’existence moins qu’humaine.
Les filles d’Obama à Gaza
Ce qui est déconcertant dans tout cela est que les sanctions maintenues par Israël et l’Egypte ne sont pas imposées par les Nations Unies et que personne dans le monde n’est tenu de les appliquer - sauf les organismes de secours des Nations Unies...
Pauvre Obama dont l’avènement au pouvoir a aiguisé l’appétit des « damnés de la terre », lui qui devait les libérer de la faim, de l’occupation, de l’autoritarisme et du déni de représentation.
Il est en panne de mots quand il s’agit de la bande de  Gaza. Mais sa langue si ampoûlée s’en prend avec violence et éloquence  quand il s’agit des roquettes du Hamas et d’autres factions  palestiniennes contre la colonie de Sedorot. Il a eu raison d’apporter  son soutien et sa sympathie aux habitants de Sedorot. Ismail Haniyeh, le premier ministre assiégé dans la bande de Gaza fait de même. Comme beaucoup d’autres dirigeants du Hamas,  il ne voit pas l’utilité de cette stratégie. Tout comme des dirigeants  et une partie du peuple israéliens se sont opposés au blocus et au  bombardement de Gaza en décembre 2008 et janvier 2009.
« Si quelqu’un envoyait des roquettes sur ma maison où mes deux filles dorment la nuit, je ferais tout pour arrêter cela,  et j’attends des Israéliens qu’ils fassent de même », avait dit aux  Israéliens celui qui était encore candidat à la présidence en Juillet  2008.
Malia, Sasha et leur petit toutou de compagnie ne  supporteraient pas le blocus de Gaza comme le font des centaines de  milliers d’enfants - mais sans petits chiens - de Gaza dont les parents  n’ont pas les moyens de les nourrir, et encore moins de leur acheter des  animaux de compagnie.
Peut-être Obama a-t-il pensé, mais sans oser le dire :  « Si quelqu’un privait d’électricité et de nourriture ma maison où mes  deux filles dorment la nuit, je ferais tout pour arrêter cela, et j’attends des Palestiniens qu’ils fassent de même. »
Le conte des deux cités
La politique de gestion de l’espace urbain utilisée par  Israël est brillante. C’est une autre méthode dans son éventail de  moyens de faire la guerre aux Palestiniens. Ramallah est installée dans  l’illusion que la normalité est de retour. Les signes extérieurs de  cette normalité - la nourriture, une certaine liberté de circulation et  d’accès à l’éducation, l’ordre public et les boîtes de nuit - abondent.
Le mérite en revient en partie à Keith Dayton, l’officier américain qui a transformé les milices indisciplinées du Fatah  en un corps homogène pour un « Abbas-istan » en Cisjordanie. Il y a  cependant toujours de la police contre la dissidence, de la corruption  et du népotisme.
Contrairement à Ramallah et Bethléem où les niveau de  vie paraissent satisfaisants, la bande de Gaza doit se débrouiller avec  peu. Le blocus a été allégé et davantage de denrées alimentaires et  autres marchandises se frayent quotidiennement un chemin vers le  territoire assiégé. Toutefois, dans une très large mesure les biens  essentiels pour la reconstruction sont toujours interdits. Le ciment et  les métaux sont essentiels à la reconstruction de près de 20 000 maisons  détruites ou endommagées durant les bombardements de 2009.
L’usage du coupon de rationnement est monnaie courante.  Avec près de 40% de chômage, le blocus a transformé une grande partie de  la population palestinienne en asssités, survivant grâce aux coupons  alimentaires et aux rations octroyés par des organismes de bienfaisance  et par le gouvernement. S’il n’y avait pas le Qatar, entre autres  donateurs, l’administration locale ne serait pas payée.
Mais comme la crise de liquidité est récurrente, Haniyeh a réduit les salaires à 40 dollars par mois. Les tunnels servent toujours à la contrebande de grandes quantités d’argent mais ce n’est pas suffisant pour faire fonctionner un Etat.
Main de fer contre main de velours
C’est exactement la question au cœur du blocus :  différencier le système politique palestinien entre les nantis  d’Abbas-ville dont les moyens sont garantis, et les démunis de Gaza où  la punition collective prétend imposer aux gens de repenser leur loyauté  envers le mouvement Hamas et envers sa stratégie politique. Il s’agit d’un puissant moyen psychologique visant à imposer des concessions à Gaza et au Hamas.
Le temps est venu d’utiliser plus de « main de velours » à Gaza pour attirer les habitants de Gaza et le Hamas à la table des négociations, faisant abandonner à Israël et à l’Egypte leurs tactiques inhumaines. Le Hamas a besoin de renforcer ses compétences diplomatiques pour ouvrir la bande de Gaza. Les habitants de Gaza ont suffisamment subi humiliation et isolement.
La « carotte » qui est celle de la Cisjordanie n’a pas jusqu’à présent tenté Gaza. Au lieu de faire la queue pour les avantages d’une vie plus sûre à Ramallah et dans ses faubourgs, les habitants de Gaza ont affirmé leur résistance en creusant des tunnels, lesquels au cours des quatre dernières années ont coûté la vie à près de 300 travailleurs.
Le Hamas a voulu parvenir à l’autosuffisance en fruits  et en légumes et il a en partie réussi. Un système de location des  terres pour l’agriculture basé sur les muharrarat [anciennement mustawtanat ou colonies abandonnées par les Israéliens] a joué un rôle certain dans cette stratégie.
La libération de centaines de prisonniers palestiniens en même temps que Gilad Shalit,  le soldat israélien capturé [par la résistance palestinienne en juillet  2006], serait peut être une étape dans l’usage de cette « main de  velours » envers la bande de Gaza.
Jusqu’à quand ?
Il était réconfortant de voir des images des mineurs  chiliens ramenés à la liberté et la compassion du monde pour 36 êtres  humains pris au piège sous terre pendant plus de deux mois.
Il y a un demi-million de mineurs (âgés de 0 à 18 ans)  et 1 million d’adultes piégés dans la bande de Gaza sous un état de  siège inhumain, sans que celui-ci soit mandaté par les Nations Unies, mais le monde entier se contente de regarder. Pourquoi ? Eux aussi doivent être ramenés à la liberté et à la vie.
* Larbi Sadiki est un maître de conférences en politique au Moyen-Orient à l’Université d’Exeter. Il a écrit dArab Democratization : Elections without Democracy (Oxford University Press, 2009)  et The Search for Arab Democracy : Discourses and Counter-Discourses (Columbia University Press, 2004), et prépare la publication Hamas and the Political Process (2011).
Note : 
(1) Homo Sacer : statut du droit romain. Il s’agit d’une personne pouvant être exclue, et même tuée.
4 novembre 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à : 
http://english.aljazeera.net/indept...Traduction : Abd Al-Rahim