Laurent Zecchini
M. Obama  peut .. continuer à faire figurer dans son bilan l’illusion que les  Etats-Unis ont remis le processus de paix sur les rails.
Barack Obama a remporté un  petit succès au Proche-Orient, dont il espère un coup de pouce pour la  seule échéance qui vaille : le 2 novembre, date des élections  américaines de mi-mandat. Les Etats arabes les plus à l’écoute des voeux  de Washington ont convaincu la Ligue arabe, le 8 octobre, d’accorder un  mois de plus à l’administration américaine pour tenter de renouer le  fil des négociations directes entre le premier ministre israélien,  Benyamin Nétanyahou, et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité  palestinienne.
M. Obama peut ainsi continuer à faire figurer dans son  bilan l’illusion que les Etats-Unis ont remis le processus de paix sur  les rails. C’est pour cela que George Mitchell, émissaire américain pour  le Proche-Orient, n’a cessé ces dernières semaines de souligner les  "progrès" enregistrés dans le cadre de sa médiation. La vérité, attestée  par des négociateurs palestiniens et israéliens, est qu’il n’y en a eu  aucun.
Depuis que les négociations directes ont été lancées, le  2 septembre, puis interrompues, le processus de paix a repris le  registre d’une comédie diplomatique tissée de "dates butoirs", de  "discours historiques", de "concessions sans précédent", au bout du  compte de faux-semblants. M. Obama a trouvé en M. Nétanyahou un allié  providentiel mais masqué : "Bibi" table sur le fait que, flanqué d’une  majorité républicaine au Congrès, M. Obama sera obligé de lui laisser la  bride sur le cou pour la colonisation de la Cisjordanie.
Pour tenter de faire perdurer le processus de paix,  Washington a multiplié les largesses politiques et les garanties de  sécurité envers Israël, mais M. Nétanyahou, poursuivant son avantage, en  redemande. Il mène un jeu qui semble affranchi de toute vision  historique : gagner du temps, durer, garder intacte sa coalition  gouvernementale, gérer ses contraintes politiques.
Sa posture politique, utilisée par nombre de ses  prédécesseurs, tient en peu de mots : négocier (avec les Palestiniens)  toujours, ne conclure (la paix) jamais, et surtout préparer le terrain  pour que le blâme d’une rupture des négociations retombe sur la partie  palestinienne.
Le risque, c’est qu’un jour il n’y ait plus personne  pour faire la paix. Les Palestiniens éprouvent une lassitude croissante,  66 % d’entre eux, selon les sondages, ne voulant plus entendre parler  de négociations directes. Dans la jeune génération, la perspective d’un  Etat palestinien indépendant relève aujourd’hui du mirage, dont la  matérialisation n’est d’ailleurs plus forcément souhaitée. M. Abbas, à  force d’avaler les couleuvres que lui servent Américains et Israéliens,  de fixer des "lignes rouges" toujours franchies, offre un spectacle qui  serait pathétique s’il disposait d’un "plan B" cohérent.
Mais l’Intifada a été un désastre pour la cause  palestinienne. L’autre option, c’est le premier ministre, Salam Fayyad,  qui la prépare, en bâtissant les fondations sur lesquelles, espère-t-il,  la communauté internationale acceptera de reconnaître, aux Nations  unies, un Etat palestinien indépendant.
Les Israéliens, de leur côté, ont-ils envie de paix ? Il  y a quelques mois, seuls 8 % d’entre eux estimaient qu’un règlement de  paix était le défi le plus urgent pour Israël. Il y a, dans la mentalité  collective, une impression trompeuse de quiétude, presque  d’invincibilité, fondée sur la puissance militaire, la prospérité  économique et la certitude que le soutien de l’Amérique pour l’Etat juif  est indéfectible.
Le credo d’Avigdor Lieberman, l’ultranationaliste  ministre des affaires étrangères, selon lequel "au Proche-Orient, seuls  les forts survivent", est à l’unisson des certitudes d’une part  croissante de la société israélienne. Sous l’influence de cet allié  qu’il juge incontournable, la politique de M. Nétanyahou tend  irrésistiblement vers l’extrême droite : 69 % des Israéliens,  indifférents au risque de dérive théocratique, sont d’accord pour  obliger les candidats à la naturalisation à prononcer un serment de  loyauté envers l’"Etat juif et démocratique".
Une majorité d’entre eux ne voit pas d’obstacle à  limiter la liberté d’expression lorsque celle-ci est contraire aux  intérêts de l’Etat. Plus d’un tiers des Israéliens et 68 % des  ultraorthodoxes veulent interdire aux non-juifs le droit d’élire les  membres de la Knesset. Yitzhak Herzog, ministre (travailliste) des  affaires sociales, exagère-t-il en voyant dans cette évolution des  "relents de fascisme", et les commentateurs qui voient se développer en  Israël un "fascisme religieux" ne sont-ils que les gauchistes d’un "camp  de la paix" en voie d’épuisement ?
Moshe Yaalon, vice-premier ministre, l’a dit sans  ambages il y a quelques jours : aucun des sept ministres les plus  influents du gouvernement Nétanyahou ne croit possible de conclure un  accord avec les Palestiniens dans les années à venir. Israël, constate  le ministre de la défense Ehoud Barak, est de plus en plus isolé dans le  monde. A ce phénomène d’enfermement international s’ajoutent l’autisme  grandissant d’une société israélienne indifférente à l’"autre", et une  évolution politique de plus en plus ultranationaliste.
De quoi donner raison aux Cassandre, pour qui les  chances de parvenir à une coexistence de deux peuples et de deux Etats  dans la Palestine historique sont désormais infimes.