Joharah Baker
Miftah
Miftah
          Les commentaires du lecteur sur un article sont souvent le meilleur test de l’opinion publique...         
Un manifestant palestinien rejette  d’un coup de pied une grenade lacrymogène lancée par un policier des  frontières israélien lors des affrontements à Silwan, Jérusalem-Est, le  15 octobre 2010.
Reuters/Baz Ratner
...Ils sont même parfois plus intéressants que l’article  lui-même car ils provoquent l’expression de points de vue variés à  partir d’un large spectre de personnes, dont beaucoup s’affrontent avec  violence.
C’est bien sûr vrai à propos d’un fait récent et de la  vidéo qui montre un colon, à Silwan, percuter deux garçons palestiniens  avec sa voiture. La vidéo (ci-dessous), et c’est compréhensible, a  provoqué un déluge de commentaires, dont certains étaient  scandaleusement inhumains.
« Ce ne sont pas de simples gamins, il y a un assassin dans leur petit cœur, »  lit-on dans un commentaire sur les enfants filmés dans la vidéo et qui  furent par la suite arrêtés par les autorités israéliennes ; « Enfermez-les », lit-on dans un autre.
L’un de ces enfants s’appelle Omran Mansour, il a été  relâché le 17 octobre après avoir passé neuf jours dans un centre de  détention israélien. Bien que certains articles disent qu’il a huit ans,  d’autres affirment qu’il en a douze. Mais dans les deux cas, c’est un  enfant. Après sa libération, le garçon a été placé sous résidence  surveillée à son domicile - autorisé seulement à aller et revenir de  l’école, avec un parent. Il doit payer aussi une amende de 2 000 NIS  (nouveau shekel israélien, plus de 400€).
Mansour a lancé des pierres, personne ne le conteste.  Oui, lui et quelques autres enfants, ont lancé ardemment des pierres sur  la voiture du colon alors que celui-ci pénétrait dans leur quartier.  Personne ne dit le contraire. Cependant, il est très troublant que, un,  les autorités israéliennes aient traité ces enfants comme des criminels  de droit commun (comme des adultes, pas moins) et, deux, que certains  lecteurs pétris de méchanceté aient suggéré à plusieurs reprises que des  adultes palestiniens avaient tout organisé. Oh, et aussi que les gamins  méritaient ce qui leur arrivait.
Plusieurs commentaires s’inscrivent dans le stéréotype  vicieux où ce sont les parents palestiniens qui incitent leurs enfants à  la violence. « ... la vidéo, montrant comment les gamins sont poussés par les adultes qui tiennent les caméras à attaquer la voiture, » lit-on dans la partie d’un commentaire.
Un autre écrit, « Pourquoi ne  parlez-vous pas dans votre article de cette sorte de parents qui  envoient leurs gamins de 6 et 7 ans sur les routes nationales pour  lancer des pierres ? ». Un autre, particulièrement inquiétant, commente un article du Jerusalem Post, « Si  vous jetez des pierres sur ma voiture, je vous écrase... Il est évident  que les Palestiniens ne veulent pas coexister pacifiquement avec les  juifs. Ils devraient tous aller en Jordanie. »
Bien sûr, il y en a eu beaucoup d’autres qui étaient  amicaux et solidaires, venant de personnes du monde entier et qualifiant  l’action d’Israël de honteuse. Le colon, dont la voiture fut  caillassée, a été emmené pour interrogatoire et libéré le jour même.
Même si les opinions peuvent varier sur l’efficacité des  jets de pierres, surtout par des enfants, la question essentielle c’est  ce qui les motive. Contrairement à ce que certains prétendent, les  Palestiniens - enfants ou pas - ne sont pas plus enclins à la violence  que n’importe quel autre peuple sur terre. A Silwan, les circonstances  atténuantes qui entourent la « violence » nous apportent une image  beaucoup plus complexe que les apparences. Les colons juifs, squattant  illégalement la terre palestinienne à Silwan, sont à l’origine de la  véritable violence dans ce quartier de Jérusalem-Est, et c’est à cause  d’eux que les habitants luttent contre les ordres de démolition de leurs  maisons, de confiscation de leur terre et contre tout autre harcèlement  quotidien. Les colonies sont une manifestation de la violence de  l’occupation et à Silwan, elle est portée à son paroxysme.
Il n’est donc pas surprenant que les habitants de Silwan  veuillent s’opposer à la présence des colons. Même au niveau  international, ces colons n’ont pas le droit d’être là. Jérusalem-Est  est un territoire occupé, ce qui signifie que les membres de la  puissance occupante ne peuvent y vivre, ni le modifier. Quand les  questions de légalité deviennent des questions de personnes, la tension  devient seulement plus forte. Pour la population de Silwan, la terre qui  est occupée est la leur, ils l’ont héritée de leurs pères et  grands-pères. Les maisons que les autorités municipales israéliennes  ordonnent de démolir les abritent depuis des décennies. Les rues que les  colons s’arrogent le droit d’emprunter sont des rues palestiniennes, et  donc réduisent gravement le droit des Palestiniens à ce même luxe.
Aussi, quand les enfants, qui vivent, respirent et  goûtent cette injustice qui les frappe jour après jour, voient un intrus  (en l’occurrence le chef colon David Be’eri), alors ils choisissent de  se battre, de toutes les manières qu’ils connaissent. Cela ne veut pas  dire que leurs parents les ont incités à descendre dans la rue et à  s’armer de pierres. Tous les parents aiment leurs enfants et pour une  grande part, de la même manière. L’universalité à vouloir protéger et  guider ses enfants vers la sécurité et le bonheur s’applique aux parents  palestiniens tout autant qu’aux parents de n’importe quelle autre  nationalité. Pour insinuer le contraire, il faut être raciste jusqu’à  l’os.
D’ailleurs, quelle justification peut-on donner au fait  d’enlever un enfant de 10 ou 11 ans de son domicile, après minuit, sans  permettre à ses parents de l’accompagner, et de le garder enfermé  pendant neuf jours dans un centre de détention pour adultes ? Les  enfants, selon les lois universelles, ont droit à un traitement spécial  et ne doivent être détenus ou emprisonnés, qu’en « dernier recours ».
« Le bien-être, les besoins spécifiques,  les intérêts supérieurs, et les droits de l’homme des mineurs "doivent  être une considération primordiale", » stipulent les règles des Nations-Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.  En outre, alors que pour les Israéliens, l’enfance va jusqu’à 18 ans  inclus, les lois militaires israéliennes considèrent que pour les  Palestiniens, on est adulte à partir de 12 ans.
Avec cette attitude, il n’est pas surprenant que ce  mois-ci, le ministre de la Sécurité publique israélien, Yitzhak  Aharonovitch, ait annoncé que « les enfants (palestiniens) ne pouvaient bénéficier d’une impunité. »  Il a raison. Les enfants palestiniens sont emprisonnés, détenus pendant  des jours sans procès, frappés, harcelés sexuellement et placés en  résidence surveillée pendant des mois. Oui, Mansour a jeté des pierres  sur la voiture d’un colon, dans son quartier. Même si c’est vrai, il  existe aussi une autre vérité incontestable qui ne peut être négligée.  Si Mr Be’eri avait habité ailleurs, à Tel Aviv (ou aux Etats-Unis) et si  les colons illégaux avaient quitté le secteur occupé de Jérusalem, le  petit Omran aurait eu une vie normale (sans jets de pierres), comme  n’importe quel autre enfant dans le monde.
Johara Backer
* Joharah Baker est écrivain au Media and Information Department at the Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy (MIFTAH). Elle peut être contactée à mid@miftah.org.