Jean-Paul Chagnollaud
L’exigence  de la reconnaissance d’Israël en tant qu’Etat juif, à la fois sur le  plan interne et international... renvoie à une stratégie qui loin de  concourir à la paix dans la région peut au contraire provoquer de graves  tensions et de nouvelles violences que personne ne pourra vraiment  maîtriser.
On pouvait espérer, il y a  encore quelques semaines, que Benjamin Netanyahu était sincère lorsqu’il  affirmait sa volonté d’aller au bout de ce processus de négociations,  allant jusqu’à évoquer la perspective d’une paix durable entre  Israéliens et Palestiniens ; tandis qu’Ehoud Barak, le ministre de la  Défense, dans une interview très remarquée, début septembre, allait plus  loin en estimant que la partie arabe de Jérusalem Est pourrait passer  sous contrôle palestinien....
Mais il vient de faire une proposition qui risque de  tout faire échouer : celle d’accepter un gel de deux mois de la  colonisation en échange de la reconnaissance par les Palestiniens  d’Israël en tant qu’Etat juif. Comme l’écrit Akiva Eldan, un des  principaux éditorialistes de Haaretz, « quand le Premier ministre  demande à Mahmoud Abbas de reconnaitre Israël comme l’Etat du peuple  juif, cela revient à lui offrir de l’assister dans son suicide  politique ». On retrouve une critique analogue dans Yédioth Aharonoth,  où Shimon Shiffer, dénonce une « manoeuvre » en rappelant qu’en 1993,  lors de la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP, il n’avait pas  été question de cette référence. La formule était simple : Israël  reconnait l’OLP comme représentant du peuple palestinien et l’OLP le  droit de l’Etat d’Israël d’exister en paix et dans la sécurité. Les  critiques émanent aussi de l’opposition avec des prises de position très  fermes de Tipzi Livni et de Ehoud Olmert notamment, mais aussi de  certains ministres du gouvernement. Et sur le plan international, les  Etats-Unis et l’Union européenne ont fait entendre leur voix pour la  déplorer, même si ce fut dans un style assez feutré.
Si elle n’est pas dépassée, cette initiative peut être  lourde de conséquences d’autant qu’elle peut se lire a deux niveaux :  tactique et stratégique.
Tactique, en ce que le Premier ministre manoeuvre pour  resserrer les liens de sa coalition dont une partie importante est  constituée du parti d’extrême droite d’Avigdor Liberman, Israël Beytenou  (Israël, notre maison). Le Shass lui ayant donné son feu vert (ou  orange) pour un nouveau gel de la colonisation, le soutien de Liberman  s’avère donc décisif. Mais cette interprétation a ses limites puisqu’on  sait que les Palestiniens ne peuvent que refuser. Il s’agit donc d’autre  chose et on peut dès lors se poser la questions de savoir si le Premier  ministre ne cherche pas à faire échouer ces négociations d’autant que  son vice-Premier ministre, Moshe Ya’alon, vient d’affirmer « qu’ il n’y a  aucune chance de parvenir à la paix avec les Palestiniens dans un  proche avenir ».... Dès lors, le gouvernement israélien en resterait à  une gestion du conflit tout en essayant de faire porter la  responsabilité de l’échec aux Palestiniens. L’argumentaire est prêt et a  déjà commencé à fonctionner : si les Palestiniens ne veulent pas  reconnaître Israël en tant qu’Etat juif, c’est bien la preuve qu’ils  estiment que l’occupation a commencé en 1948 et non pas en 1967 ; ils  refusent donc l’existence même d’Israël !
Au-delà de cet aspect tactique déjà en soi très  préoccupant, il faut bien voir que cette politique s’inscrit dans une  perspective stratégique potentiellement dangereuse. Ce n’est pas par  hasard si, au même moment, le cabinet ministériel (par 22 voix contre 8)  vient d’adopter (le 17 octobre) un amendement qui va donc être repris à  la Knesset au terme duquel les candidats non juifs à la citoyenneté  devront prêter allégeance à « l’Etat juif et démocratique d’Israël ».  Quoi qu’en dise Netanyahu, il y a une contradiction indépassable entre  les deux termes, Etat juif et démocratie, car donner ainsi la primauté à  la dimension ethnique de l’Etat aboutit immanquablement à ce que les  citoyens non juifs, c’est à dire les Arabes israéliens, soient  considérés comme des citoyens de seconde zone alors qu’ils représentent  20% de la population (soit 1,5 million). A moins de refuser de voir la  réalité en face, il faut bien savoir que c’est déjà le cas. Les Arabes  d’Israël ne sont pas des citoyens à part entière. Ce nouveau texte va  donc institutionnaliser une situation de fait en lui donnant un  fondement juridique supplémentaire. Il n’est donc pas étonnant que les  réactions de cette communauté qui réclame l’égalité des droits ait, ces  derniers jours, multiplié les critiques et les protestations. Et que  dire alors de la situation des 200.000 Palestiniens de Jérusalem qui  n’ont droit qu’au titre précaire et révocable de résidents, alors qu’ils  sont pourtant chez eux !
Mais dans la société juive aussi, nombreux sont ceux qui  ont exprimé de fortes réserves. L’opposition par la voix de Tipzi Livni  a estimé que « ce texte affaiblit Israël, ternit son image et inquiète  nos concitoyens arabes » Quant à Itzhak Herzog, un des ministres  travaillistes qui a voté contre le projet d’amendement, il n’a pas  hésité à déclarer qu’il y a « des relents de fascisme dans les marges de  la société israélienne ».
Cette exigence de la reconnaissance d’Israël en tant  qu’Etat juif, à la fois sur le plan interne et international, va très  loin. Si on revient à la relation aux Palestiniens, ces dispositions  conduisent à empêcher toute forme de discussion sur le retour des  réfugiés qui est une des questions clés d’un règlement du conflit. Non  pas un retour massif bien sûr mais seulement de quelques dizaines de  milliers d’entre eux comme cela avait été envisagé dans les discussions  d’Oslo, de Taba et de Genève. Et enfin, last but not least, cette  problématique légitime les thèses du transfert des Arabes israéliens en  dehors du pays. Même s’il a été désavoué après par le Premier ministre,  c’est ce qu’a affirmé Avigdor Liberman devant l’Assemblée générale des  Nations unies le 28 septembre dernier, en ces termes : « le principe de  base d’un accord sur le statut final ne doit pas être la terre contre la  paix, mais plutôt un échange de territoires peuplés ».
Comme on le voit cette proposition renvoie à une  stratégie qui loin de concourir à la paix dans la région peut au  contraire provoquer de graves tensions et de nouvelles violences que  personne ne pourra vraiment maîtriser.
Pour contrer ces risques très graves, il n’y a qu’une  possibilité : continuer ces négociations et trouver, malgré tout, des  compromis. S’ils le veulent vraiment, les Etats-Unis ont les moyens de  l’imposer. Quant aux Palestiniens, ils doivent éviter de tomber dans ce  piège en restant à la table des négociations pour exiger que soient  rapidement abordées les questions de fond. A commencer par celle des  frontières entre les deux Etats parce qu’elle conduira aussitôt à  l’essentiel des problèmes à trancher. Ce serait alors un moment de  vérité.
Paris, le 13 octobre 2010