Publié le 4-09-2010 
                   Le journaliste Gideon Eshet, du  quotidien à grand tirage Yediot Ahronot, revient, vendredi dans un  éditorial, sur la décision de centaines d’artistes israéliens de  boycotter la colonie d’Ariel (Cisjordanie occupée) où doit  officiellement se tenir un festival théâtral en novembre prochain. « Les boycotts sont quelque chose de légitime », écrit-il en titre, et  c’est même selon lui « un mode d’ expression parfaitement  juif ». Lire  ci-dessous (traduit de l’anglais par CAPJPO-EuroPalestine)
Les boycotts sont légitimes
C’est même une manière juive de s’exprimer, alors pourquoi tout ce bazar à propos du boycott du théâtre d’Ariel ?  (Par Gideon Eshet)
Le boycottage d’Ariel, annoncé par des artistes, des  écrivains et des professeurs d’université a fait beaucoup de bruit ici.  Comme si une infraction grave venait d’être commise. Il y a eu des voix  pour dire que c’était parfaitement illégitime et correspondait, à Dieu  ne plaise, à une coutume diasporique. Les plus prudents ont dit que les  personnes bénéficiant de subventions publiques –comme les théâtres ou  les établissements universitaires – n’ont pas le droit de boycotter  d’autres Israéliens, quels qu’ils soient.
Pourtant, le boycott est un mode d’expression légitime  partout dans le monde, et une arme politique vitale. Les Américains et  les Indiens avaient imposé un boycott sur les produits britanniques, à  l’époque où ils luttaient contre l’occupant anglais. Les  anti-esclavagistes américains boycottèrent les fabricants américains qui  pratiquaient l’esclavagisme. De nombreux Etats ont boycotté les  produits sud-africains quand ce pays pratiquait la ségrégation raciale.
On a aussi vu les Etats-Unis boycotter les Jeux  Olympiques à Moscou, et les Soviétiques boycotter les Jeux Olympiques à  Los Angeles. Des syndicats et des associations de consommateurs ont  pareillement boycotté des fruits et légumes, dans le cadre d’une lutte  entre ouvriers agricoles et propriétaires.  C’est comme ça, le boycott  est quelque chose de mondial.
Et c’est aussi une pratique juive. De fait, les Juifs  ont imposé le boycott à l’encontre d’autres Juifs, ceux qu’on appelle  les Samaritains. Pas tant parce que ces derniers voyaient d’un bon œil  la lutte des Palestiniens, mais plutôt parce que ces Samaritains  considèrent le Mont Gerizim comme leur Saint des Saints, au lieu de  Jérusalem.
Le fait que les Samaritains lisent et étudient de  manière presque exclusive la Torah, en ignorant largement le contenu du  reste des écrits bibliques (ce que font aujourd’hui une bonne part des  ultra-orthodoxes aussi)  n’était pas pris en compte.  Leur haut degré  d’observance des prescriptions de la Torah, bien plus élevé que chez le  Juif laïque moyen,  n’était pas non plus porté à leur crédit. Le  judaïsme orthodoxe et l’Etat d’Israël décidèrent de les boycotter. Un  boycott de taille, n’est-ce pas ?
On peut mentionner aussi le boycott juif des automobiles  Ford. Aujourd’hui, on voit plein de Ford en Israël. Mais dans les  années 1920, les Juifs avaient lancé une campagne de boycott contre ce  fabricant. Pourquoi ? Cela n’a pas beaucoup d’importance. Ce qui est  intéressant, dans cet épisode, c’est que ce fut une des campagnes de  boycott parmi les plus réussies, à l’instar de celle, ultérieure, lancée  contre l’Afrique du Sud. Le fabricant américain finit par supprimer les  écrits antisémites du fondateur de la firme, Henry Ford.
Ailleurs, des Juifs « sionistes » imposèrent un boycott  des produits d’entrepreneurs juifs ayant osé embaucher des ouvriers  arabes.
Et on peut dire aussi quelque chose à propos des  boycotts lancés par des gens ou des institutions subventionnés par  l’Etat d’Israël. Il y en a un paquet.  Toutes les institutions juives  orthodoxes, qui  sont financées par l’Etat, boycottent néanmoins les  congrégations Réformées et Conservatrices. Pendant ce temps, des  ultra-orthodoxes édictent le boycott des magasins vendant de la  nourriture non-cachère aux côtés d’aliments cachère, quelque chose que  leurs homologues de Londres n’oseraient jamais faire. Tout cela émane  d’institutions religieuses financées par l’Etat.
Mais bien sûr, quand la politique religieuse arrive sur  le tapis, Limor Livnat (ministre de la culture) et Benjamin Netanyahou  (Premier Ministre), qui pérorent en ce moment sur les boycotts émanant  de gens financés publiquement, ne trouvent rien à redire.
Condamnations absurdes
L’Union Européenne a imposé un boycott des produits des  colonies, ne les reconnaissant pas comme produits « made in Israel », et  leur appliquant des tarifs douaniers. Mais  lorsque cela se produisit,  que fit donc le gouvernement, qui comptait alors dans ses rangs Ariel  Sharon, Benjamin Netanyahu, Ehud Olmert et Limor Livnat ? Il déclara sa  disponibilité à coopérer avec ce boycott, et les produits d’Ariel ne  sont plus considérés comme fabriqués en Israël.
Enfin, il faut savoir que le gouvernement israélien ne  reconnait pas « l’Université d’Ariel ». La règlementation du Conseil de  l’Enseignement Supérieur ne s’y applique pas, et lorsque des pressions  ont été exercées sur lui, le Conseil les a repoussées. L’établissement  d’Ariel n’est donc reconnu que par la grâce d’un décret du gouverneur  militaire, remplaçant de l’Etat jordanien dans ce territoire occupé.
Ironiquement, c’est donc  le gouvernement lui-même qui a  initié le boycott d’Ariel , avec une Limor Livnat déjà à la tête de ce  Conseil, et toujours à sa tête aujourd’hui ! Autrement dit, même dans ce  cas, le boycott a été fait sur fonds publics !
Alors, en quoi l’acteur Dror Keren et l’écrivain David  Grossman (deux des signataires de l’appel au boycott d’Ariel, NDLR)  méritent-ils des condamnations aussi insensées ? Parce qu’ils se sont  conduits comme les Juifs et leurs gouvernements se conduisent, depuis  des générations ? Ou parce qu’ils font ce que ferait  tout défenseur des  libertés luttant contre la discrimination et l’oppression ?
Gideon Eshet
L’article en anglais : http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3948278,00.html CAPJPO-EuroPalestine