Pierre Haski
Malgré  les appels au calme, tout le monde se prépare à une guerre possible,  mais pas inévitable, à la frontière israélo-libanaise, au lendemain de  l’incident qui a fait quatre morts mardi, le plus grave entre les deux  pays depuis le conflit de l’été 2006.
Des renforts israéliens ont  été déployés à la frontière nord du pays, même si le ministre de la  Défense, Ehud Barak, affirme ne pas vouloir l’escalade. Même attitude  côté libanais : le porte-parole de l’armée libanaise se dit prêt à  « riposter » à toute « agression », tandis que le Hezbollah, très  présent militairement dans le sud Liban, se dit prêt à couper « la main  israélienne qui prend pour cible l’armée libanaise ».
Cette brusque montée de tensions n’est guère surprenante  dans une région hautement inflammable dans laquelle aucune perspective  de règlement négocié des divers conflits n’est en vue.
Au cours des trois derniers jours, on a ainsi assisté à trois incidents mortels :
1. Lundi, des roquettes tirées à partir du Sinaï  égyptien, semble-t-il par un groupe armé islamiste, sont tombées dans  les régions contigües d’Eilat, dans le sud-est d’Israël, et d’Aqaba en  Jordanie, faisant un mort côté jordanien.    2. Mardi, l’incident israélo-libanais, provoqué par une opération  israélienne destinée à abattre un arbre, s’est terminée avec quatre  morts, deux soldats et un journaliste côté libanais, et un officier  israélien.    3. Mercredi, un Palestinien a été tué par un tir d’artillerie  israélien près du camp de réfugiés de Khan Younes, dans la bande de  Gaza. Vendredi, déjà, Israël avait déclenché un raid aérien, tuant un  cadre du Hamas, en représailles à un lancer de roquettes à partir de  Gaza.
Aucun rapport entre ces incidents ? Certes, mais un  climat d’instabilité majeure, et des incendies mal éteints, ou prompts à  se répandre à la première occasion.
L’International Crisis Group : « Les Tambours de la guerre »
Le plus « chaud » est assurément celui qui menace à la  frontière libanaise. La veille de l’incident meurtrier de mardi,  l’International Crisis Group, un think tank basé à Bruxelles, publiait  une note au titre prémonitoire : « Drums of War », « Les Tambours de la  guerre »… La note commençait par cette analyse lucide :
« De toutes les explications du calme qui a prévalu à la  frontière israélo-palestinienne depuis la fin de la guerre de 2006, la  principale, celle qui devrait aussi susciter le plus d’inquiétudes, est  la crainte des deux parties de voir le prochain conflit devenir plus  dévastateur, et plus étendu, que le précédent.
Aucun des acteurs les plus pertinents -Israël,  Hezbollah, Syrie, Iran- ne souhaite cette perspective, et tous, pour  l’instant, s’emploient à retenir le feu.
Mais les racines politiques de la crise sont entières,  les dynamiques sous-jacentes toujours explosives, et les erreurs de  calcul ne peuvent pas être écartées. »
Est-on parvenu au stade de rupture ? Pas si sûr, même si  les apparences sont inquiétantes. Il est significatif en tous cas que  ce soit autour d’un incident mineur -la tentative israélienne d’éliminer  un arbre gênant-, que ce soit enclenché l’échange de tirs de mardi, qui  a pris tout le monde par surprise, à commencer par la malheureuse force  d’interposition de l’ONU, la FINUL.
Paradoxalement, l’incident a mis aux prises un acteur  relativement passif de la guerre de 2006 avec le Hezbollah, et qui ne  figure pas parmi les « acteurs les plus pertinents » cités par l’ICG :  l’armée nationale libanaise. Israël tenait d’ailleurs mercredi un  officier libanais pour responsable de l’échange de tirs de mardi. Selon  l’ONU, l’arbre au coeur du problème se trouvait bien en territoire  israélien, confirmant la version israélienne de l’incident, et pas au  Liban comme l’a affirmé Beyrouth.
Le climat autour du Liban est, il est vrai,  particulièrement tendu en ce moment, avec des menaces de tensions  communautaires entre chiites et sunnites, suite aux rumeurs sur  l’implication par le tribunal spécial pour le Liban (TSL) du Hezbollah  dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en  2005. Pour le Hezbollah, une telle accusation serait inacceptable et il a  fallu un sommet régional avec le roi d’Arabie saoudite, et les  présidents syrien et libanais vendredi pour calmer le jeu.
Pas de dynamique de paix au Proche-Orient
Le vrai problème global est l’absence de dynamique de  paix quel que soit le « front » concerné. Les tentatives de relancer des  passerelles entre Israël et la Syrie, avec l’espoir caché de couper  l’axe Damas-Téhéran, ont échoué, et côté palestinien, c’est l’impasse.  [La France a nommé mercredi Jean-Claude Cousseran, ancien ambassadeur de  France à Damas, et ancien patron des services de renseignement  français, émissaire spécial chargé de contribuer à la relance du volet  israélo-syrien du processus de paix au Proche-Orient].
La nature du gouvernement israélien actuel, le plus à  droite de l’histoire du pays, est évidemment au cœur du débat. Et si le  Premier ministre Benyamin Netanyahou se dit désireux de négociations  directes avec les Palestiniens, il est fortement soupçonné par les plus  conciliants des Palestiniens de chercher seulement à gagner du temps et à  endormir l’administration américaine, tout en poursuivant, en  sous-main, la colonisation de la Cisjordanie.
Quel que soit l’angle de vision, les perspectives  proche-orientales sont sombres. La mobilisation des troupes à la  frontières israélo-libanaise n’est peut-être qu’une flambée de tension  éphémère au cœur de l’été. Mais quoi qu’il en soit, il y a bel et bien  dans cette région un climat de confrontation qui ne demande qu’un champs  de bataille pour passer à l’acte.